Œdème maculaire : différences sémiologiques selon les étiologies

L’œdème maculaire (OM) est défini comme un épaississement maculaire lié à une accumulation de liquide et de protéines dans le tissu rétinien maculaire. Il a longtemps été considéré comme étant secondaire à la rupture de la barrière hématorétinienne (BHR) interne et/ou externe visible en angiographie à la fluorescéine mais cette définition est réductrice. En effet, depuis l’avènement de la tomographie en cohérence optique (OCT), on retrouve des situations dans lesquelles l’épaississement maculaire n’est pas associé à une rupture de la BHR et, inversement, des ruptures angiographiques de la BHR sans épaississement du tissu maculaire en OCT. Dès lors, il est nécessaire de distinguer les épaississements rétiniens liés à une rupture de la BHR de ceux qui ne le sont pas (dégénérescence rétinienne, tractions mécaniques, défaut de régulation liquidienne intrarétinienne, etc.), afin de déterminer le choix thérapeutique adapté.

L’accumulation liquidienne retrouvée dans l’OM est essentiellement extracellulaire mais elle peut aussi toucher le compartiment intracellulaire. La distinction entre OM intra- et extracellulaires permet de mieux comprendre les œdèmes sans diffusion angiographique. Peuvent se combiner ainsi l’OM intracellulaire, sans altération des BHR avec gonflement des cellules de Müller, et l’OM extracellulaire, secondaire à une rupture de la BHR interne et/ou externe. Ajoutons à cela que la pression hydrostatique et la pression osmotique des différents secteurs s’intriquent parfois, notamment dans l’OM diabétique ou les occlusions veineuses, ce qui modifie encore l’accumulation de fluides dans les différents secteurs.
Il faut cependant avoir à l’esprit qu’il existe souvent des intrications physiopathologiques dans lesquelles plusieurs de ces composantes peuvent être en jeu, avec malgré tout une prépondérance de l’un des mécanismes.
Avant l’avènement de l’OCT, qui a permis de véritablement révolutionner le diagnostic et le suivi des pathologies maculaires, l’analyse clinique de l’OM était relativement limitée à l’examen de signes indirects (kystes, exsudats, etc.). Cependant, la simple analyse quantitative d’une coupe OCT en B-scan de la macula, qui permet la visualisation objective de l’épaississement maculaire, n’est que d’un apport limité. En effet, même si l’épaississement maculaire est très souvent un critère essentiel pour évaluer l’efficacité clinique d’un traitement, il n’existe qu’une faible corrélation entre l’épaisseur maculaire et l’acuité́ visuelle ; ce qui souligne bien que nombre d’autres acteurs sont impliqués dans la baisse visuelle due à l’OM.
L’analyse de plus en plus précise des structures intraré́tiniennes, grâce à la résolution croissante des nouvelles générations d’OCT, permet d’appréhender le lien entre l’intégrité́ de ces structures et l’acuité́ visuelle. On peut raisonnablement penser que, à̀ terme, le raffinement des analyses de l’OCT nous permettra de mieux prédire les capacités de récupération d’un patient donné ́à un temps donné en fonction des signes observés et des facteurs de mauvais pronostic identifiés.
L’OCT permet ainsi d’apprécier l’architecture rétinienne intrinsèque et de définir des critères anatomiques liés à l’œdème et à l’exsudation. Le premier d’entre eux est l’épaississement rétinien retrouvé sur le mapping maculaire et comparé à des bases normatives. C’est un élément central du diagnostic de l’OM et de son importance. Il est cependant nécessaire d’analyser les lignes de profils servant à mesurer son épaisseur afin de ne pas négliger des artefacts de mesure.
Par ailleurs, des éléments qualitatifs doivent être recherchés sur les coupes B-scan, en particulier la coupe fovéolaire : une perte de la dépression fovéolaire, ainsi que la présence de logettes kystiques ou d’un décollement séreux rétinien qui sont des marqueurs d’OM aspécifiques. D’autres éléments exsudatifs seront plus spécifiques de certaines pathologies : décollement de l’épithélium pigmentaire vascularisé (DEP) (DMLA), DEP séreux (DMLA, CRSC, etc.), FIPED (Flat Irregular Pigment Epithelium Detachment) (ERD, DMLA), etc.
L’analyse fine permet aussi de déterminer des facteurs de mauvais pronostic, comme l’atteinte de la ligne ellipsoïde de la membrane limitante externe ou de la nucléaire externe, et bien souvent la cause de l’œdème : néovaisseaux choroïdiens (DMLA), pachychoroïde (choroïde épaissie) dans la CRSC, macroanévrysmes (diabète et occlusions veineuses rétiniennes [OVR]), membrane épimaculaire, traction vitré́omaculaire, etc.
Nous décrirons ici des exemples de pathologies maculaires et leurs signes d’activité.

Dégénérescence maculaire liée à l’âge

Il est nécessaire de savoir repérer les différentes manifestations de l’activité de la maladie néovasculaire et les distinguer des signes de non-activité. Ainsi, les signes d’activité seront des signes de fluides intrarétinien (OM, logettes cystoïdes), sous-rétinien (DSR, SHE [Subretinal Hyperreflective Exudation]) et sous-épithélial (DEP séreux, vasculaire ou mixte) (figures 1 et 2). Il faut cependant distinguer ces différents éléments selon leur gravité sur le plan du pronostic fonctionnel. Ainsi, le fluide intrarétinien comme l’épaississement maculaire et, de façon plus importante, les logettes cystoïdes sont de mauvais pronostic et doivent donc être traités de façon agressive. Le DSR est une exsudation à ne pas négliger mais dont l’impact fonctionnel est moindre. Enfin, le DEP n’a qu’un impact limité sur le pronostic fonctionnel final [1].
On notera aussi la présence de points hyperréflectifs comme signes d’une activité néovasculaire.
Enfin, la présence de sang sous-rétinien sous la forme d’une lame de DSR hyperréflectif est aussi un signe d’activité exsudative et de moins bon pronostic.
À l’inverse, la présence d’une lésion fibreuse (lésion dense sous-rétinienne) en lieu et place d’une zone de SHE, la présence de tubulations sous-rétiniennes (figure 3) et la présence de logettes à bords carrés ou anguleux sont des signes de dégénérescence rétinienne souvent retrouvés dans le cadre de lésions inactives et/ou dépassées.

Œdème maculaire diabétique et œdème des occlusions veineuses rétiniennes

Il s’agit d’OM dont les caractéristiques globales sont relativement proches mais qui présentent cependant des différences.
L’OM diabétique (OMD) est classiquement d’apparition relativement progressive. On le rencontre souvent dans les couches rétiniennes internes car il est secondaire à des diffusions à partir de microanévrysmes des plexicapillaires superficiels et profonds bien observés en OCT-A. Il est souvent associé à des exsudats secs du fait de son caractère chronique et progressif (figure 4).
À l’inverse, l’OM des OVR est le plus souvent beaucoup plus brutal. Il est consécutif au ralentissement des flux circulatoires avec une accumulation prédominante de fluides dans la plexiforme externe [2] et prédomine le plus souvent dans les couches externes (plexiforme et nucléaire) (figure 5).
On retrouvera fréquemment un DSR dans l’OM des OVR (80% des cas) et du diabète (20%). Ces DSR ne se remplissent pas de fluorescéine, ce qui laisse penser qu’ils proviendraient d’un dysfonctionnement de l’EP (défaut de réabsorption) plutôt que d’une hyperperméabilité́ choroïdienne. Cependant le DSR ne constitue pas un marqueur de mauvais pronostic visuel.
Les exsudats secs qui correspondent à une accumulation de phospholipides intrarétiniens (figure 4) sont des signes d’une exsudation active chronicisée mais ils peuvent aussi apparaître lors de la résorption d’un OM traité. Ils se présentent sous la forme de masses hyperréflectives au sein du tissu rétinien. Ils sont à l’origine d’une déstructuration tissulaire entraînant des altérations fonctionnelles, notamment lorsqu’ils atteignent la région fovéolaire.

Œdème maculaire inflammatoire

L’OM inflammatoire des uvéites est principalement retrouvé dans les uvéites intermédiaires et postérieures. Il peut parfois être retrouvé dans des uvéites antérieures sévères avec un phénomène de débordement inflammatoire sur le segment postérieur. Sur le long terme, il est particulièrement délétère sur la fonction visuelle même s’il n’existe que peu de symptômes au stade initial de la maladie. Il peut prendre des caractéristiques extrêmement variées, allant d’un simple épaississement périfovéolaire au DRS isolé ou associé aux autres aspects, en passant par un épaississement maculaire diffus avec ou sans lésions cystoïdes.
À noter que le DSR peut être la conséquence d’un œdème papillaire. Il sera alors localisé en interpapillo-maculaire.
Les DEP sont plus rares et sont retrouvés dans le cadre d’uvéites avec choroïdite intense (VKH, ophtalmie sympathique, etc.) 

Œdème ischémique

Il peut être isolé, comme dans le cas des occlusions artérielles rétiniennes, ou associé à un œdème exsudatif comme dans les OMD et les OM des OVR et être alors secondaire à une occlusion capillaire.
Les œdèmes des occlusions artérielles rétiniennes ne présentent pas de signes d’exsudation intrarétinienne (logettes) et affichent un épaississement hyperréflectif des couches internes en phase aiguë, suivi d’une atrophie secondaire de ces couches internes à la phase séquellaire.


Les ischémies d’origine capillaire retrouvées dans le cadre des OMD engendrent une désorganisation des couches internes de la rétine appelée DRIL (Disorganization of Retinal Inner Layers). Elles sont de mauvais pronostic quant à la récupération fonctionnelle (figure 6) [3].
On retrouvera aussi ce type de lésions dans les OM des OVR mal perfusées à l’origine d’une ischémie provoquant une désorganisation des couches internes de la rétine autour des veines (blanc périveinulaire en infrarouge).

Œdème tractionnel

Un œdème tractionnel sera évoqué devant un OM cystoïde associé à une membrane épirétinienne (MER) ou à une traction vitréomaculaire (TVM) qui persiste ou s’aggrave après le contrôle de l’absence de cause sous-jacente ou après le traitement d’une étiologie probable de l’OM (diabète, DMLA, etc.). Le fond d’œil et surtout l’analyse OCT permettent de visualiser la MER ou la TVM (figure 6). La chirurgie sera discutée après un contrôle strict d’une pathologie sous-jacente si elle existe et selon la gêne visuelle [4].

• L’OCT a permis, par l’amélioration de sa résolution, de redéfinir la description sémiologique des B-scan en utilisant les connaissances histologiques.
 L’analyse de l’OCT permet de caractériser l’œdème par la mesure de l’épaississement rétinien, la perte de la dépression fovéolaire, la présence de logettes kystiques ou d’un décollement séreux rétinien, et surtout d’étudier l’évolution dans le temps. 
• Son analyse permet aussi de mettre en exergue des éléments spécifiques de certaines pathologies (DEP : DMLA, pachychoroïde), ou moins spécifiques comme les DSR et les points hyperréflectifs, signes d’une activité exsudative.
• Les mécanismes de l’œdème sont multiples et souvent intriqués. Leur caractérisation permet d’adapter la prise en charge thérapeutique et de réaliser une meilleure évaluation du pronostic.  

Références bibliographiques
[1] Serra R, Coscas F, Boulet JF et al. Predictive activation biomarkers of treatment-naive asymptomatic choroidal neovascularization in age-related macular degeneration. Retina. 2019;doi:10.1097/IAE.
[2] Berry D, Thomas AS, Fekrat S, Grewal DS. Association of disorganization of retinal inner layers with ischemic index and visual acuity in central retinal vein occlusion. Ophthalmol Retina. 2018;2(11):1125-32.
[3] Radwan SH, Soliman AZ, Tokarev J et al. Association of disorganization of retinal inner layers with vision after resolution of center-involved diabetic macular edema. JAMA Ophthalmol. 2015;133(7):820-5.
[4] Stopa M, Marciniak E, Rakowicz P et al. Imaging and measurement of the preretinal space in vitreomacular adhesion and vitreomacular traction by a new spectral domain optical coherence tomography analysis. Retina. 2017;37(10):1839-46.

Auteurs

  • Frédéric Matonti

    Ophtalmologiste

    Centre Monticelli Paradis, Marseille ; Aix-Marseille université, CNRS, institut de neurosciences de la Timone, Marseille.

  • John Conrath

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

  • François Devin

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

  • Christophe Morel

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

  • Bruno Morin

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

Les derniers articles sur ce thème

L'accès à la totalité de la page est protégé.

Je m'abonne

Identifiez-vous