Les métastases choroïdiennes
Les métastases choroïdiennes (MC) ont été décrites pour la première fois par Perls en 1872. Longtemps considérées comme une pathologie rare, elles sont aujourd’hui reconnues comme les tumeurs malignes intraoculaires les plus fréquentes. Leur prévalence est probablement sous-estimée chez des patients avec un état général souvent altéré. Néanmoins, elles sont la première manifestation de tumeur maligne systémique dans plus d’un tiers des cas. L’analyse histologique peut aider à confirmer la nature maligne de la lésion et à localiser la tumeur primitive. Le traitement des MC n’est pas consensuel pour ces patients à l’espérance de vie limitée. Il doit être simple à mettre en place, peu risqué, mais néanmoins efficace pour maintenir une vision nécessaire afin d’améliorer la fin de vie.
Épidémiologie
Les MC sont les tumeurs choroïdiennes les plus fréquentes, plus encore que les mélanomes choroïdiens. Leur prévalence est estimée entre 2 et 10% chez les patients atteints d’un cancer. Les localisations les plus fréquentes de la tumeur primitive sont le sein (40 à 53%), le poumon (20 à 29%), la tractus gastro-intestinal (4%), la prostate (2%), le rein (2%) et la peau (2%) [1]. D’autres localisations plus anecdotiques ont été décrites (glandes salivaires, thyroïde, organes génitaux, voies urinaires, sarcomes, tumeurs neuroendocrines). Dans environ 8 à 30% des cas, le diagnostic de MC précède celui du cancer primitif [2]. Devant la découverte d’une MC, il convient donc de réaliser des examens systémiques, en particulier pulmonaires et sénologiques, afin de dépister le cancer primitif.
Diagnostic
Les patients rapportent majoritairement une baisse de vision (55 à 70%) et plus rarement un scotome (15,5%) ou des phosphènes et des myodésopsies (12%). Cliniquement, les MC apparaissent comme des masses jaune pâle ou blanc crémeux plus ou moins en relief, associées à du liquide sous-rétinien (LSR) (28 à 73%). Une couleur orange orientera vers une tumeur carcinoïde, rénale ou thyroïdienne, alors qu’une teinte brune nous dirigera vers un probable mélanome. Les MC sont majoritairement localisées postérieurement à l’équateur. Les formes bilaté rales, multifocales et diffuses sont plus souvent associées à un cancer du sein. En échographie, elles apparaissent comme une masse aplatie, hétérogène iso- ou hyperéchogène, souvent associée à un décollement de rétine exsudatif périlésionnel. Il peut exister une excavation choroïdienne dans la moitié des cas. L’angiographie à la fluorescéine est peu spécifique, avec une lésion hypofluorescente au temps précoce et hyperfluorescente au temps tardif, parfois associée à des pin points et des zones de diffusion. L’angiographie au vert d’indocyanine permet de mieux visualiser les limites des MC. Elles apparaissent comme des lésions hypofluorescentes sur un fond isofluorescent à tous les temps. Il est également possible d’y détecter des lésions infracliniques. L’OCT retrouve un aspect typique irrégulier bosselé ou « lumpy bumpy ». Il peut également exister du LSR contenant des points hyperréflectifs appelés « speckles » (figure 1). Le mode EDI de l’OCT, grâce à sa précision, permet de diagnostiquer des MC de petite taille, parfois infracliniques. Cet examen retrouve une lésion de faible réflectivité interne associée à un élargissement des espaces suprachoroïdiens. Le tableau résume les principaux signes retrouvés à l’OCT [3]. L’OCT-angiographie peut aider à éliminer les diagnostics différentiels. On retrouve dans les MC une perte de flux au niveau de la lésion par compres sion de la choriocapillaire, sans anomalie de flux de la rétine externe contrairement aux autres tumeurs. L’IRM orbitaire, lorsqu’elle est réalisée, retrouve une lésion en isosignal en séquence T1 et en hyposignal en séquence T2.
Évaluation générale
Un examen général approfondi complété par l’imagerie (TDM-TAP, PET-scanner) est nécessaire pour rechercher la tumeur primitive, mais également d’autres métastases. Environ deux tiers des patients ayant une MC présentent également des métastases extrachoroïdiennes. Une biopsie peut s’envisager pour des MC suffisamment épaisses (supérieures à 3 mm) lorsque la tumeur primitive n’est pas connue et qu’il n’existe pas d’autres localisations secondaires systémiques. Celle-ci peut se faire par biopsie aspiration à l’aiguille fine par voie transsclérale ou transvitréenne, ou directement par aspiration au vitréotome. La principale difficulté est d’obtenir suffisam ment de matériel à analyser. Il n’est pas rapporté de cas de dissémination de cellules tumorales, ni d’augmentation du risque de récurrence locale ou de métastase systémique [4].
Stratégie thérapeutique
La gestion thérapeutique des MC est complexe et reste controversée du fait de l’espérance de vie limitée des patients et du faible bénéfice des traitements entrepris. La décision sera multidisciplinaire avec l’oncologue et le radiothérapeute. L’arsenal thérapeutique comporte des traitements systémiques (chimiothérapie, immunothérapie), plusieurs types d’irradiation (radiothérapie externe conventionnelle, brachythérapie, protonthérapie) et des traitements locaux entrepris par l’ophtalmologue (photothérapie dynamique [PDT], injection intravitréenne d’anti-VEGF). Avant de traiter, plusieurs questions doivent être posées : quelle espérance de vie pour le patient ? existe-t-il d’autres métastases ? y a-t-il une baisse de vision liée aux MC ? La figure 2 propose un algorithme de prise en charge des MC.
Patients avec une longue espérance de vie
Dans le cas d’une longue espérance de vie, un traitement efficace et durable est nécessaire. Les traitements systémiques anticancéreux semblent agir sur les métastases choroïdiennes, mais il existe des échappements fréquents à long terme pouvant altérer l’acuité visuelle. Ainsi, un traitement local est donc généralement prescrit dans ces conditions. Pour des MC multiples, disséminées et/ou les atteintes bilatérales, on entreprendra une radiothérapie externe. Dans le cas d’une atteinte unilatérale et unique, on pourra utiliser une radiothérapie plus ciblée (protonthérapie principalement, brachythérapie ou radiochirurgie stéréotaxique), notamment si la tumeur primitive est connue pour sa radiorésistance (cancer du rein, thyroïde...). Pour les tumeurs proches de la fovéa ou de la papille, on pourra réaliser une PDT avec un suivi soutenu du fait d’un important risque de récidive. Les MC asymptomatiques peuvent d’abord être surveillées ; en cas de croissance, une radiothérapie externe sera alors proposée.
Patients avec une courte espérance de vie
Pour ces patients dont la prise en charge devient palliative, le traitement est avant tout systémique. En cas d’échec ou de résultat insuffisant, on pourra avoir recours à des traitements locaux. Pour une MC unilatérale et unique, une PDT ou des injections intravitréennes d’anti-VEGF semblent être un bon compromis. Pour les MC multiples ou bilatérales, on pourra réaliser une courte radiothérapie externe hypofractionnée à visée palliative.
Conclusion
L’imagerie multimodale de la rétine et de la choroïde permet une meilleure compréhension et un diagnostic plus précis des MC, bien que celles-ci soient visibles au fond d’œil. Le diagnostic est majoritairement fait chez des patients porteurs de cancers connus, avec ou sans autres localisations métastatiques. Néanmoins, les manifestations visuelles des MC précèdent le diagnostic de cancer pour un tiers des patients. Pour ces patients, l’ophtalmologiste se doit de réaliser un examen systémique, complété par l’imagerie, à la recherche de la tumeur primitive afin de débuter le traitement au plus vite. La stratégie thérapeutique doit prendre en compte l’état général du patient et son espérance de vie. Elle repose sur le traitement systémique, plus ou moins associé à un traitement local dont le but sera de contrôler la tumeur et de maintenir une vision pour améliorer la fin de vie des patients.
Références bibliographiques
[1] Shields CL, Shields JA, Gross NE et al. Survey of 520 eyes with uveal metastases. Ophthalmology. 1997;104(8):1265-76.
[2] Konstantinidis L, Rospond-Kubiak I, Zeolite I et al. Management of patients with uveal metastases at the Liverpool Ocular Oncology Centre. Br J Ophthalmol. 2014;98(1):92-8.
[3] Al-Dahmash SA, Shields CL, Kaliki S et al. Enhanced depth imaging optical coherence tomography of choroidal metastasis in 14 eyes. Retina. 2014;34(8):1588-93.
[4] Mathis T, Jardel P, Loria O et al. New concepts in the diagnosis and management of choroidal metastases. Prog Retin Eye Res. 2019;68:144-76.