Lésions malignes de l’iris
Les lésions iriennes malignes de l’iris regroupent les mêmes tumeurs que celles retrouvées au niveau des corps ciliaires et de la choroïde, avec néanmoins une incidence plus rare. Leur diagnostic s’appuie sur l’imagerie multimodale, rarement par confirmation anatomopathologique. Leur traitement, lorsqu’il est possible, est conservateur, généralement la protonthérapie dans le cas d’une tumeur maligne primitive, ou par irradiation externe et chimiothérapie devant des lésions secondaires.
La composition histologique particulière de l’iris, avec une exposition directe du stroma irien à la lumière naturelle – l’épithélium irien est au contact du cristallin – explique que les lésions tumorales cancéreuses soient d’abord dominées par le mélanome de l’iris, puis par des tumeurs secondaires telles les métastases iriennes et les hémopathies malignes avec localisation intraoculaire.
Diagnostic
La problématique, lors de l’évaluation d’une lésion irienne, est multiple. Il faut déterminer :
- si cette lésion est bien irienne et non pas ciliaire au départ ;
- s’il s’agit d’une lésion tumorale maligne ;
- s’il s’agit d’une lésion primitive ou secondaire ;
- son extension intraoculaire et les complications qu’elle entraîne (hypertonie, essaimage angulaire à distance, envahissement angulaire, glaucome néovasculaire, etc.).
Afin de considérer une lésion comme étant d’origine irienne, il faut qu’au moins la moitié de celle-ci soit localisée au niveau de l’iris par rapport au corps ciliaire. Il est facile de déterminer cette réponse cliniquement en présence d’une atteinte exclusive de la zone pupillaire de l’iris, mais une imagerie sera nécessaire pour le confirmer si on retrouve une lésion de plus grande taille au niveau de la zone ciliaire de l’iris (figure 1).
La nature tumorale maligne de la lésion peut en revanche être plus délicate à déterminer par le seul examen clinique. Une tumeur est une prolifération cellulaire excessive aboutissant à une masse tissulaire ressemblant au tissu normal et ayant tendance à persister et à croître, témoignant de son autonomie biologique. Le caractère malin est défini par la propension de cette tumeur à disséminer à distance de son site d’apparition. Chaque terme de cette définition a son importance car il permet de distinguer une tumeur d’une collection liquidienne, d’une tuméfaction inflammatoire, d’une hypertrophie tissulaire d’origine dystrophique ou d’une dysembryoplasie (lésion liée à des désordres d’origine embryologique). C’est donc avant tout le contexte de la découverte de cette lésion qui pourra guider l’ophtalmologiste, complété par une évaluation à la fois clinique (en gonioscopie notamment) et par une imagerie de la lésion. Les photographies du segment antérieur, idéalement à la lampe à fente, sont incontournables pour le diagnostic et la surveillance de ces lésions. Une surveillance clinique sera systématiquement proposée dans les cas incertains, avec un rythme de surveillance adapté en fonction de l’évaluation du risque s’il s’agit bel et bien d’une tumeur maligne.
Dans le cas d’une tumeur pigmentée, 3 situations cliniques permettent de diagnostiquer un mélanome de l’iris :
- il existe une croissance documentée : celle-ci a été estimée à 0,3 mm/an pour l’épaisseur et 0,6 mm/an pour le diamètre ; - il existe des facteurs de risque de croissance. Il s’agit de la règle « ABCDEF », d’après les critères de Shields :
• A : Age (inférieur à 40 ans) ;
• B : Blood (hyphéma) ;
• C : Clock Inferior (localisation inférieure de 4 h à 9 h) ;
• D : Diffuse Configuration (configuration diffuse) ;
• E : Ectropion (ectropion de l’uvée) ;
• F : Feathery Margin (contour en plumeau de canard).
- il existe des caractéristiques cliniques suspectes : grande taille, vaisseaux proéminents en surface de la tumeur, forme diffuse et envahissement angulaire (figure 2).

Une imagerie ultrasonore par UBM permettra de s’assurer de la croissance de ces tumeurs ou donnera des arguments forts pour décider d’emblée d’un traitement, notamment en cas d’épaisseur supérieure à 2,3 mm, d’atteinte ciliaire, de rupture de l’épithélium irien ou de consistance solide en échographie. L’OCT de segment antérieur, notamment avec la technologie Swept-Source, offre des informations intéressantes dont la pertinence reste néanmoins à prouver.
Dans le cas d’une tumeur non pigmentée (figure 3), il faudra s’attacher à déterminer si cette lésion peut révéler une tumeur solide au stade métastatique ou un mélanome achrome. L’histoire clinique (antécédent de tumeur primitive), la vitesse de croissance rapide, la présence d’une inflammation intraoculaire (Tyndall associé aux métastases), une localisation multiple ± bilatérale, et surtout la réalisation d’un bilan d’extension par TEP-TDM et IRM cérébrale, permettront de donner des arguments forts pour l’une ou l’autre étiologie. Le fond d’œil dilaté reste incontournable car des atteintes postérieures synchrones ont été rapportées dans près de 33% des cas en cas de métastases iriennes.
Quelle place pour la biopsie ?
Deux situations peuvent nécessiter la réalisation d’une biopsie :
- la présence d’un pseudo-hypopion : une fois la possibilité d’une forme atypique de rétinoblastome écartée, il est possible de réaliser une ponction d’un présumé pseudo-hypopion associé à une tumeur irienne, notamment si l’on suspecte une hémopathie maligne ;
- la présence d’une lésion irienne tissulaire indéterminée : la biopsie tumorale reste l’exception. La technicité d’un tel geste n’est pas le problème principal car il peut se réaliser par cytoponction (aiguille fine ou canule de Rycroft) ou par aspiration au moyen d’un vitréotome. Outre le risque de saignement ou de complications peropératoires lors de la réalisation du geste, c’est surtout le risque d’essaimage dans l’œil, de récidive locale ou d’extériorisation tumorale d’une tumeur primitive maligne plusieurs années après qui fait surseoir à ce type de geste.
Dans les 2 cas, il faut qu’un pathologiste entraîné, avec un plateau technique adapté, puisse interpréter le matériel prélevé, qui sera nécessairement de faible quantité. Il faut également optimiser toute la chaîne d’acheminement pour limiter la phase préanalytique de l’échantillon prélevé. D’une manière générale, toute biopsie est proscrite en l’absence de validation préalable en réunion de concertation pluridisciplinaire.
Traitement
En 2023, la prise en charge des tumeurs malignes de l’iris est dominée par les traitements conservateurs. Les rares situations nécessitant un traitement radical par énucléation vont concerner les patients dont le risque estimé de complications postradiques est trop important (mélanome diffus avec insuffisance en cellules souches limbiques prévisibles après irradiation, glaucome évolué résistant, comorbidités compliquant une surveillance optimale).
Dans le cas d’une tumeur maligne primitive irienne (mélanome), une irradiation par faisceau de protons est généralement proposée en France. À la différence des tumeurs du corps ciliaire ou de la choroïde, il n’est pas nécessaire de réaliser une pose de clips de repérage avant le traitement (figure 4). Les radiothérapeutes peuvent alors se fonder sur une photographie à la lampe à fente en position primaire de l’œil, associée aux informations biométriques de la tumeur obtenues en UBM (épaisseur et diamètre, atteinte ciliaire éventuelle). Ce traitement, lorsqu’il est disponible, a montré un taux de récidive locale similaire aux autres techniques proposées (brachythérapie et chirurgie) mais il a l’avantage de sa simplicité et d’indications étendues, même dans des formes diffuses.
Dans le cas d’une tumeur maligne secondaire de l’iris, le traitement sera personnalisé et dépendra de l’atteinte uvéale globale de l’œil concerné et, éventuellement, de l’œil adelphe, de l’atteinte cérébrale synchrone et de l’histologie et la biologie moléculaire (si disponible) de la tumeur primitive. Il se fera en concertation avec l’oncologue du patient et pourra associer une chimiothérapie, une radiothérapie, une immunothérapie et/ou une thérapie ciblée. Les décisions de traitement sont dans tous les cas décidés collégialement, en réunion de concertation pluridisciplinaire de cancérologie.
Conclusion
Bien que plus rares que les autres tumeurs malignes de l’uvée, les tumeurs malignes de l’iris restent cependant graves et peuvent révéler une maladie métastatique dès le diagnostic. Il importe de réaliser systématiquement un bilan clinique complet comprenant photographie et gonioscopie de ces lésions. L’imagerie, dominée par l’UBM, doit pouvoir caractériser rapidement la nature tissulaire d’une lésion suspecte et en donner les caractéristiques biométriques. L’ensemble de ces données permettra de proposer un traitement et/ou un suivi adapté de ces patients.
Pour en savoir plus
Shields CL, Kaliki S, Hutchinson A et al. Iris nevus growth into melanoma: Analysis of 1611 consecutive eyes: the ABCDEF guide. Ophthalmology. 2013;120(4):766-72.
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Giuliari GP, McGowan HD, Pavlin CJ et al. Ultrasound biomicroscopic imaging of iris melanoma: A clinicopathologic study. Am J Ophthalmol. 2011;151(4):579-85.
Shields JA, Shields CL, Kiratli H, de Potter P. Metastatic tumors to the iris in 40 patients. Am J Ophthalmol. 1995;119(4):422-30.
Popovic M, Ahmed II, DiGiovanni J, Shields CL. Radiotherapeutic and surgical management of iris melanoma: A review. Surv Ophthalmol. 2017;62(3):302-11.
Singh AD, Dupps Jr WJ, Biscotti CV et al. Limbal stem cell preservation during proton beam irradiation for diffuse iris melanoma. Cornea. 2017;36(1):119-22.