Réfraction : une méthode vectorielle de détermination du cylindre (1/2)

La technique de réfraction utilisée pour la recherche du cylindre a peu évolué depuis longtemps, en raison des limites imposées par les réfracteurs subjectifs utilisant des verres par pas de 0,25 D. Aujourd’hui, avec les réfracteurs à variations continues de puissances* permettant d’agir simultanément sur la sphère, le cylindre et l’axe de la correction, avec une résolution de 0,01 D, il est possible de développer de nouvelles techniques de réfraction subjective. Ce premier article décrit les principes d’une nouvelle technique vectorielle utilisée pour la détermination de l’axe et de la puissance du cylindre. Il sera suivi d’un second article présentant la méthode de réfraction correspondante et la logique d’un algorithme automatisé de recherche du cylindre qui lui est associée.

Depuis près d’un siècle, la technique de réfraction utilisée pour la recherche du cylindre correcteur d’un patient n’a que très peu évolué. Elle consiste à utiliser un cylindre croisé de Jackson et à étudier la variation de ses effets, afin de rechercher l’axe du cylindre puis sa puissance et, ensuite, à ajuster la puissance de la sphère [1]. Si cette technique n’a pas beaucoup progressé, c’est parce que les réfracteurs subjectifs ont peu évolué dans leur principe : ils permettent de présenter aux patients des verres sphériques et cylindriques, par pas de puissance de 0,25 D et par pas d’axe de 5°, sans qu’il soit possible d’agir simultanément sur la sphère, le cylindre et l’axe de la correction.
Aujourd’hui, grâce aux nouveaux réfracteurs à variations continues de puissance, contrôlés avec une résolution de 0,01 D sur la puissance et de 0,1° sur l’axe, et qui permettent d’agir simultanément sur la sphère, le cylindre et son axe, il est possible de proposer une nouvelle approche de la réfraction subjective [2]. Ainsi, pour la détermination du cylindre, une méthode vectorielle à la fois plus cohérente et plus précise a pu être développée.
L’objet de ces articles est d’en présenter les principes et d’en expliquer la logique. Dans cette première partie, nous rappellerons la définition vectorielle de la réfraction et sa représentation dans l’espace dioptrique et nous décrirons succinctement les principes utilisés dans la technique vectorielle de réfraction pour la recherche de l’axe du cylindre, puis pour celle de sa puissance.

Représentation vectorielle de la réfraction dans un espace dioptrique

S’il est de tradition, en optique ophtalmique, d’exprimer la formule d’une réfraction par son expression polaire – sphère, cylindre et axe –, il est aussi possible d’en donner une expression cartésienne sous la forme de 3 coordonnées :
- la sphère équivalente ou sphère moyenne M, égale à la puissance de la sphère augmentée de la moitié de celle du cylindre ;
- la composante du cylindre selon l’axe horizontal à 0° (J0°) ;
- la composante oblique du cylindre selon l’axe oblique à 45° (J45°).
Cette expression cartésienne présente l’avantage d’exprimer la formule réfractive sous la forme de 3 composantes indépendantes et exprimées dans une unité unique, la dioptrie. Celles-ci peuvent remplacer les composantes de l’expression polaire classique qui sont interdépendantes et exprimées dans des unités différentes, en dioptries pour la sphère et le cylindre et en degrés pour l’axe.

L’intérêt de l’expression cartésienne de la réfraction est aussi qu’elle permet de représenter toute formule réfractive dans un repère orthogonal tridimensionnel appelé espace dioptrique [3,4]. La réfraction y est représentée par un vecteur unique, dont les projections sur les 3 axes du repère sont les coordonnées cartésiennes de la formule réfractive (figure 1)**. Cette représentation permet d’étudier les variations de ce vecteur au cours de la réfraction. L’intérêt de cette approche est de pouvoir déterminer indépendamment les composantes d’axe et de puissance du cylindre, ce qui n’est pas réalisable par la technique traditionnelle où l’axe et la puissance du cylindre sont indissociablement liés. Détaillons plus précisément cette nouvelle approche.

Figure 1. Représentation vectorielle de la réfraction dans un espace dioptrique. Exemple d’une formule réfractive de +1,00 (-2,00) 30°.

Recherche de l’axe du cylindre, à puissances cylindrique et sphérique constantes

La technique traditionnelle la plus universelle pour rechercher l’axe du cylindre d’une correction est celle des cylindres croisés de Jackson, du nom de l’ophtalmologiste américain qui l’a proposée au début du XXe siècle. Pour cela, on place le manche du cylindre croisé selon la direction de l’axe du cylindre correcteur et on propose au patient 2 positions du cylindre croisé en retournant ce dernier. La combinaison du cylindre croisé avec l’astigmatisme résiduel de l’œil du patient et la correction en place induit une perception de flou plus ou moins élevée pour le patient. L’orientation du cylindre croisé dans sa position perçue la moins floue indique la direction dans laquelle il faut ajuster l’axe de la correction. On recherche ainsi, par approches successives, l’orientation pour laquelle le patient ne perçoit pas de différence de flou entre 2 propositions ; l’orientation du manche du cylindre croisé indique alors la direction de l’axe correcteur.
Or, à chaque fois que l’on modifie la direction de l’axe du cylindre en le faisant tourner dans le réfracteur, on modifie la puissance cylindrique perçue par le patient et, en conséquence, la puissance sphérique équivalente. 

C’est précisément ce que la technique vectorielle, associée à un réfracteur à variations continues de puissance, permet d’éviter : en effet, toute rotation du cylindre s’accompagne systématiquement d’un ajustement de sa puissance et, simultanément, de la compensation de la sphère équivalente (d’une quantité dioptrique moitié opposée à l’ajustement réalisé sur la puissance du cylindre), et ce, avec une résolution de 0,01 D. Cela permet, lors de la recherche du cylindre, d’explorer l’espace dioptrique selon une direction constante et rectiligne (figure 2), c’est-à-dire de tester l’axe du cylindre dans des conditions cohérentes, à l’inverse de la technique traditionnelle dans laquelle les conditions de test varient avec chaque rotation de l’axe du cylindre. Il s’ensuit une approche plus précise de l’axe du cylindre correcteur.

Par ailleurs, dans cette technique, les rotations de l’axe du cylindre sont effectuées avec des pas dioptriques constants et non avec des pas angulaires constants (de 5° par exemple) : les rotations de l’axe sont calculées de manière à produire le même effet optique, quelle que soit la puissance du cylindre, c’est-à-dire avec des rotations de l’axe d’autant plus faibles que le cylindre est plus fort, et vice versa. Les effets optiques perçus par les patients sont ainsi cohérents quelle que soit la puissance du cylindre correcteur recherché. De plus, le pas dioptrique de rotation de l’axe du cylindre a été choisi de façon à être égal à celui utilisé pour la recherche de la puissance du cylindre, afin d’assurer une cohérence des perceptions du patient tout au long de l’examen de réfraction.  

Recherche de la puissance du cylindre, à puissance sphérique équivalente constante

La technique traditionnelle la plus universelle pour vérifier la puissance d’un cylindre correcteur consiste à tester, au moyen d’un cylindre croisé de Jackson, si la puissance du cylindre doit être augmentée ou réduite. Pour cela, le cylindre croisé est orienté devant la correction en place en positionnant ses méridiens principaux en correspondance avec l’axe du cylindre correcteur. Le cylindre croisé est présenté dans une première position puis retourné, et il est demandé au patient de préciser dans quelle position sa vision est la moins floue. Lors du retournement, les axes positif et négatif du cylindre croisé s’inversent et la puissance du cylindre correcteur est augmentée dans une position et réduite dans l’autre, sans effet sur la puissance sphérique moyenne de la correction puisque la puissance sphérique équivalente du cylindre croisé est nulle. En fonction des réponses du patient, on augmente ou on diminue la puissance du cylindre de (-0,25) D, selon le pas minimal imposé par les réfracteurs traditionnels. Et on poursuit ainsi de suite, de proche en proche, jusqu’à ce que le patient ne voie plus de différence entre les 2 positions du cylindre croisé ou qu’il se produise une inversion de ses réponses.
Or, au cours de cette recherche, chaque modification du cylindre induit inévitablement une modification indésirable de la puissance sphérique équivalente, laquelle dérive progressivement. 

C’est précisément ce que la technique vectorielle, associée à un réfracteur à variations continues de puissance, permet d’éviter : en effet, tout changement de puissance du cylindre s’accompagne simultanément d’une compensation de la variation induite sur la puissance sphérique équivalente (d’une quantité opposée et de moitié du cylindre introduit), et avec une résolution de 0,01 D (figure 3). Cela n’est pas réalisable par la technique traditionnelle avec des réfracteurs utilisant des verres, lesquels ne permettent généralement l’ajustement de la puissance de la sphère qu’après une variation de la puissance du cylindre de (-0,50 D), par l’introduction d’une compensation de +0,25 D.

C’est ainsi qu’avec la technique vectorielle, la recherche de la puissance du cylindre peut être réalisée à puissance sphérique équivalente exactement constante, donc dans des conditions cohérentes permettant une approche plus précise.

Conclusion

La technique vectorielle de recherche du cylindre, rendue possible par les réfracteurs à variations continues de puissance, permet une recherche plus précise de l’axe et de la puissance du cylindre. Nous verrons, dans un second article, comment elle a permis de développer des algorithmes automatisés de recherche du cylindre facilitant l’exercice de la réfraction pour les praticiens.

Références bibliographiques
[1] Meslin D. Réfraction Pratique. Les Cahiers d’Optique Oculaire. 2008;pp 24-30. Essilor Academy Europe, www.essiloracademy.eu (2008).
[2] Longo A, Meslin D. Une nouvelle approche de la réfraction subjective. Les Cahiers d’Ophtalmologie. 2019;230:59-63. Points de Vue, Essilor International, www.pointsdevue.com, (May 2020).
[3] Touzeau O, Costantini E, Gaujoux T et al. Réfraction moyenne et variation de réfraction calculées dans un espace dioptrique. J Fr Ophtalmol. 2010;33(9):659-69.
[4] Touzeau O, Scheer S, Allouch C et al. Astigmatisme : analyses mathématiques et représentations graphiques. EMC – Ophtalmologie. 2004;1(3):117-74.

* Réfracteur Vision-R 800 développé par Essilor Instruments.
** Pour plus de précisions, se référer à la publication : Starynkevitch H, Marin G, Meslin D. Réfraction subjective : une nouvelle méthode vectorielle de détermination du cylindre. Points de Vue, International Review of Ophthalmic Optics, www.pointstdevue.com, partie 1/3 (Nov 2020), partie 2/3 (Dec 2020), partie 3/3 (Jan 2021).

Auteurs

  • Hélène Starynkevitch

    Responsable d'études Recherche et développement

    Essilor International, Créteil

  • Gildas Marin

    Responsable d'études Recherche et développement

    Essilor International

  • Dominique Meslin

    Directeur Solutions Réfraction

    Essilor International

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