Prévention et prise en charge des endophtalmies en 2022. Guide de bonnes pratiques

Les endophtalmies sont des complications postopératoires rares mais redoutées de l’ophtalmologiste. Les rencontres 2022 de l’association de rétinologues P1,5 ont eu lieu lors du congrès In Video Veritas à Aix-en-Provence. Cette rencontre a été l’occasion d’organiser une table ronde d’experts autour de ce thème afin d’actualiser les bonnes pratiques.

Incidence

Injections intravitréennes (IVT)
L’incidence est estimée à 0,02% [1,2]. Néanmoins, il existe un rôle cumulatif du nombre d’IVT. Le taux cumulatif d’endophtalmies par patient passe de 0,05% après 10 IVT à 0,36% après 30 IVT, puis 0,84% pour 60 IVT [1].
Concernant les anti-VEGF, le risque est identique quelles que soient les molécules utilisées. En revanche, il est 3 fois plus élevé pour les corticostéroïdes par rapport aux anti-VEGF [2]. Il est probable que ce surrisque soit lié aux modalités d’injection plutôt qu’à la classe thérapeutique (utilisation d’une aiguille 22 G pour la dexaméthasone retard contre 30 ou 32 G pour les anti-VEGF).

Cataracte
L’incidence est estimée à 0,05% [3]. Malgré l’augmentation croissante du nombre de procédures réalisées, une diminution significative par 10 de l’incidence a été objectivée au cours de la dernière décennie. Celle-ci est imputable à la généralisation de l’utilisation de céfuroxime, largement favorisée par la mise sur le marché en 2012 d’une préparation commerciale adaptée [4].

Vitrectomie
L’incidence est estimée à 0,16% [4]. Elle est augmentée dans le cas d’une chirurgie combinée à la cataracte et diminuée pour les vitrectomies avec tamponnement gazeux (vitrectomies probablement plus complètes lors de l’utilisation de tamponnement). 

Prophylaxie (tableau)

IVT
Des recommandations de la Société française d’ophtalmologie (SFO) et de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) ont été publiées en 2020 [5] afin d’actualiser les bonnes pratiques émises par l’AFFSAPS/ANSM en 2011. Elles précisent qu’aucun collyre antibiotique ou antiseptique n’est recommandé avant ou après la réalisation des IVT. Leur utilisation est même délétère puisqu’elle entraîne la sélection de germes conjonctivaux résistants pouvant être à l’origine d’une augmentation du taux d’endophtalmie. Ce surrisque est d’autant plus marqué pour les collyres associant un antibiotique à un corticostéroïde (risque multiplié par 2).
L’utilisation de povidone iodée (solution ophtalmique 5%) est recommandée pour la désinfection cutanée et conjonctivale avant le geste. Mais que faire dans le cas d’une allergie ou d’une intolérance sévère à la povidone iodée ? La SFO et la SF2H proposent l’utilisation d’hypochlorite de sodium (solution aqueuse 0,06%) après avoir discuté avec le patient du risque accru d’endophtalmie et l’avoir mis en balance avec le risque d’arrêt de traitement par le patient.
Dans le cas de l’injection d’un implant de dexaméthasone, nous proposons d’utiliser un tampon imbibé de povidone iodée pour réaliser un glissement conjonctival et une injection tunellisée. Nous proposons également de disposer d’une paire de ciseaux de Vannas jetables afin de pouvoir libérer une éventuelle mèche de vitré en fin de procédure.

Cataracte
Les recommandations de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) sur l’antibioprophylaxie en chirurgie oculaire datent de 2018. La réalisation d’une antibioprophylaxie topique avant le geste n’est pas nécessaire.
Une antibioprophylaxie peropératoire avec de la céfuroxime intracamérulaire à la fin de la chirurgie est recommandée. Nous souhaitons insister sur le fait que la céfuroxime doit toujours être utilisée, même, et surtout, en présence d’une rupture capsulaire ou d’une autre complication chirurgicale (en l’absence d’allergie).
En cas d’allergie aux céphalosporines, la lévofloxacine per os sera utilisée chez les patients à risque (diabète, implantation d’un dispositif intraoculaire autre que pour la phacoexérèse, antécédent d’endophtalmie sur œil adelphe, monophtalmie, extraction intracapsulaire et implantation secondaire). Cette notion de population à risque, notamment pour le diabétique, est de plus en plus débattue et fera probablement l’objet d’une révision dans le futur.
Une antibioprophylaxie topique postopératoire reste recommandée.

Vitrectomie
La réalisation d’une antibioprophylaxie topique avant le geste n’est pas nécessaire. La SFAR propose l’administration per os de lévofloxacine la veille et le jour même de la chirurgie (500 mg par prise) pour les patients à risque (diabète, implantation d’un dispositif intraoculaire autre que pour la phacoexérèse, antécédent d’endophtalmie sur œil adelphe).
Une antibioprophylaxie topique postopératoire reste recommandée.
La prophylaxie repose également sur diverses mesures visant à obtenir des sclérotomies étanches pour prévenir toute issue de vitré. Lors de la mise en place des trocards, la tunnellisation sclérale devra être faite de manière oblique après glissement conjonctival. Une vitrectomie suffisamment complète (même pour une chirurgie maculaire) est également un élément de prévention. Enfin, au moment du retrait des trocards, nous conseillons de couper l’infusion, de vérifier les berges, de réaliser une infiltration sous-conjonctivale de bétaméthasone (pour éloigner les orifices conjonctival et scléral) et de terminer par un rinçage à la povidone iodée.
Dans le cas d’une chirurgie vitréo-rétinienne combinée d’une cataracte, l’utilisation de céfuroxime reste recommandée. 

Traitement

Traitement médical
Il s’agit d’une extrême urgence où toutes les heures comptent. L’initiation d’un traitement prime donc devant une éventuelle hospitalisation, les prélèvements bactériologiques ou la disponibilité d’un rétinologue.
Le traitement repose sur une antibiothérapie probabiliste à large spectre par IVT de 1 mg de vancomycine (0,05 cc à 20 mg/ml) et de 2 mg de ceftazidime (0,05 cc à 40 mg/ml). Si le patient est allergique aux céphalosporines, la ceftazidime sera remplacée par 0,20 mg d’amikacine (0,05 cc à 4 mg/ml). Ces injections peuvent être répétées toutes les 48 heures en fonction de l’évolution. 

Afin d’optimiser le temps de prise en charge, les protocoles doivent être écrits et connus de tous, et le parcours du patient au bloc opératoire doit être prioritaire. Nous proposons de disposer d’un « kit IVT endophtalmie » (figure 1). Ce kit contient le protocole de dilution des antibiotiques, un flacon de vancomycine et un de ceftazidime, une poche de chlorure de sodium, 2 aiguilles 23 G, 1 aiguille 25 G, 3 cupules en plastique, 3 seringues 1 ml, 2 seringues 60 ml, 1 paire de gants, 2 tubes d’hémocultures pédiatriques. 

La documentation bactériologique du prélèvement peut être réalisée par culture ou par PCR, avec recherche de l’ARN 16S.
Concernant le traitement systémique, une antibiothérapie per os par tavanic 500 mg et linézolide 600 mg (2 prises par jour) ainsi qu’une antalgie adaptée seront prescrites. Le linézolide a pour avantage son administration per os et le ciblage des staphylocoques blancs méti-R résistants au tavanic. Le traitement systémique sera administré pendant 5 à 15 jours (selon l’agent infectieux responsable et l’évolution). Le traitement sera réévalué sur la base des prélèvements à J2 et surtout à J7.
Le recours à une hospitalisation n’est pas obligatoire et un suivi ambulatoire rapproché est possible en l’absence de tableau initial grave (endophtalmie grave purulente, cellulite associée…) et de fragilité du patient. L’antibiothérapie systémique peut également être prescrite dans ce cas. Cependant, le linézolide étant disponible uniquement en rétrocession par pharmacie hospitalière avec une ordonnance issue d’un établissement de santé, les modalités pratiques de cette prescription peuvent compliquer son application.

Traitement chirurgical
La vitrectomie peut être proposée si on ne constate pas d’amélioration à 24 heures de l’initiation du traitement, indépendamment de l’acuité visuelle (sans attendre une acuité visuelle effondrée). Elle permet de diminuer la charge bactérienne et toxinique et assure une meilleure diffusion des antibiotiques dans la cavité postérieure. Une vitrectomie large et précoce permet ainsi d’obtenir de meilleurs résultats fonctionnels [6]. On précise que le décollement de la hyaloïde postérieure n’est pas systématique et que l’étendue de la vitrectomie sera adaptée à la visualisation du segment postérieur.

À retenir
• Pas d’antibiotique ou d’antiseptique avant ou après la réalisation d’IVT, quelle que soit la molécule injectée.
• En cas d’intolérance sévère à la povidone iodée, utilisation d’hypochlorite de sodium en solution aqueuse à 0,06% possible après information du patient sur la balance bénéfice/risque.
• Utilisation de céfuroxime en intracamérulaire pour toutes les chirurgies de la cataracte et les chirurgies combinées à une cataracte, sans exception (en dehors d’une allergie).
• Optimiser le temps de prise en charge de l’endophtalmie : protocole écrit et « kit IVT » toujours disponible, IVT d’antibiotiques le plus tôt possible.
• Vitrectomie en l’absence d’amélioration après 24 heures de traitement.
• Prise en charge ambulatoire envisageable si le tableau clinique le permet, avec prescription d’une bi-antibiothérapie per os tavanic 500 mg et linézolide 600 mg.

Références bibliographiques
[1] Daien V, Nguyen V, Essex RW et al. Incidence and outcomes of infectious and noninfectious endophthalmitis after intravitreal injections for age-related macular degeneration. Ophthalmology. 2018; 125(1):66-74.
[2] Baudin F, Benzenine E, Mariet AS et al. Association of acute endophthalmitis with intravitreal injections of corticosteroids or anti-vascular growth factor agents in a nationwide study in France. JAMA Ophthalmol. 2018;136(12):1352-8.
[3] Creuzot-Garcher C, Benzenine E, Mariet AS et al. Incidence of acute postoperative endophthalmitis after cataract surgery: A nationwide study in France from 2005 to 2014. Ophthalmology. 2016; 123(7):1414-20.
[4] Baudin F, Benzenine E, Mariet AS et al. Epidemiology of acute endophthalmitis after intraocular procedures: A national database study. Ophthalmol Retina. 2022;6(6):442-9.
[5] Cohen SY, Kodjikian L, Devin F et al. [Experts’ opinion: Updating good practices for intra-vitreous injection. Recommendations of the French Ophthalmology Society & the French Hospital Hygiene Society]. J Fr Ophtalmol. 2020;43(1):59-62.
[6] Dib B, Morris RE, Oltmanns MH et al. Complete and early vitrectomy for endophthalmitis after cataract surgery: An alternative treatment paradigm. Clin Ophthalmol. 2020;14:1945-54.

Auteurs

Les derniers articles sur ce thème

L'accès à la totalité de la page est protégé.

Je m'abonne

Identifiez-vous