Naevus et mélanomes choroïdiens
Les tumeurs mélaniques du fond d’œil peuvent affecter des sujets de tout âge mais sont plus fréquemment rencontrées chez l’adulte. Elles posent souvent des difficultés diagnostiques. Il est crucial de ne pas les méconnaître compte tenu du risque vital qu’implique le diagnostic de mélanome, véritable tumeur maligne, et du risque de transformation de certains naevus vers un mélanome. Cet article a pour but de détailler les caractéristiques qui aident à reconnaître un naevus choroïdien bénin, un naevus suspect et un mélanome.
Naevus choroïdien bénin
Les naevus choroïdiens sont très fréquents. Il est important de les identifier afin d’adapter le rythme de suivi et ne pas inquiéter le patient si la lésion ne présente pas de caractéristiques suspectes [1].
Classiquement, on considère qu’une épaisseur en échographie mode B inférieure à 2 mm et un diamètre inférieur à 5 mm sont en faveur d’une lésion bénigne (figure 1).
Il existe d’autres signes rassurants : la présence de drusens (figure 1A) et la présence d’un halo périlésionnel dépigmenté témoignant d’une probable exsudation très chronique (figure 1B).
Par ailleurs, certains signes qui sont parfois associés à un naevus bénin n’en font pas une lésion suspecte, par exemple une néovascularisation (figure 1D) qui peut être traitée par injections intravitréennes d’anti-VEGF si l’exsu dation entraîne une baisse visuelle. Certaines lésions sont associées à un DSR périlésionnel. Si celui-ci atteint la macula, on pourra réaliser une angiographie à la fluorescéine afin de rechercher un éventuel point de fuite ou pin point isolé, que l’on pourra tenter de traiter par une photocoagulation laser focale.
Naevus choroïdien suspect
Les signes permettant de catégoriser un naevus comme suspect ne permettent pas d’affirmer qu’il s’agit d’une lésion maligne, mais ce sont des facteurs de risque de croissance ultérieure de la lésion. Ces signes ont été compilés par l’équipe d’onco-ophtalmologie de Philadelphie (Jerry et Carol Shields), qui a proposé le moyen mnémo technique « To Find Small Ocular Melanoma Using Helpful Hints Daily » [2], récemment simplifié en « To Find Small Ocular Melanoma Doing Imaging » (tableau) [3,4]. En fonction du nombre cumulé de ces facteurs, les auteurs ont estimé entre ~10% (1 facteur) et ~50% (5 facteurs) le risque de croissance vers un mélanome à 5 ans [5].
En pratique clinique, les signes les plus utiles sont la présence de symptômes à type de photopsies ou de myodésopsies, l’épaisseur (supérieure à 2-3 mm environ), le diamètre (supérieur à 5 mm environ) de la lésion, la présence d’un pigment orange (au fond d’œil ou en autofluorescence) (figures 2A et 2B), de pin points angiographiques (non mentionnée dans les travaux des Shields en raison de la pratique moins systématique de l’angiographie outre-Atlantique) (figure 2D), d’un décollement séreux rétinien (DSR) franc en OCT (figures 2C et 2E) (une lame de DSR étant fréquemment observée dans les naevus bénins), et les caractéristiques en échographie mode B (hypoéchogénicité de la lésion, excavation choroïdienne) (figure 2F).
Mélanome choroïdien
Le mélanome choroïdien survient à un âge médian de 60 ans. Le diagnostic peut être affirmé dans 2 circonstances :
- devant une masse volumineuse, saillante, en relief, pigmentée, d’implantation choroïdienne, ciliaire ou cilio-choroïdienne (figure 3). À partir d’une épaisseur de 3 à 3,5 mm, on peut en général affirmer le diagnostic de mélanome. Ces masses peuvent prendre une morphologie en « dôme » ou en « champignon », qui correspond à une croissance avec effraction de la membrane de Bruch (figure 3).
- devant une lésion de toute taille présentant une croissance documentée sur 2 examens séparés dans le temps, que ce soit en diamètre ou en épaisseur (d’où l’importance des rétinophotographies systématiques et des échographies répétées dans le suivi de toute lésion à partir de 2 mm d’épaisseur).
Néanmoins, il existe des circonstances dans lesquelles le diagnostic de mélanome choroïdien peut poser des difficultés et doivent être connues :
- lésion choroïdienne achrome : ces lésions peuvent correspondre à des lésions mélaniques (naevus ou mélanome achrome en fonction des dimensions de la lésion) (figure 3D) mais elles peuvent aussi être des métastases et doivent donc faire rechercher une lésion primitive extraoculaire si celle-ci n’est pas connue. On recommande la réalisation au minimum d’un scanner thoraco-abdomino-pelvien et d’un TEP-scanner, et d’autres explorations (mammographie, marqueurs biologiques tumoraux, etc.) en fonction du terrain ;
- décollement de rétine exsudatif : un mélanome s’associe souvent à une exsudation en raison de la rupture des barrières hématorétiniennes. Celle-ci se traduit par un décollement séreux périlésionnel qui peut sédimenter en inférieur et induire un véritable décollement de ré tine (figure 4A). C’est pourquoi un examen attentif de la périphérie pour affirmer la présence de déhiscence est impératif devant tout décollement de rétine supposé rhegmatogène. En l’absence de déhiscence, il faut suspecter un décollement exsudatif et, au besoin, éliminer la présence d’une tumeur par une échographie B ;
- mélanome choroïdien infiltrant diffus : certaines lésions, bien que peu épaisses, sont très étendues (figure 4B). En cas de lésion dépassant ~10 mm de diamètre, le diagnostic de mélanome choroïdien infiltrant diffus doit être évoqué et nécessite donc un traitement ;
- signes au niveau du segment antérieur et de la surface oculaire : un mélanome ciliaire ou cilio-choroïdien peut se traduire par une invasion de la racine de l’iris (figures 5A et 5B), une extériorisation extrasclérale visible en lampe à fente (figure 5C) ou la présence d’une dilatation vasculaire épisclérale (« vaisseaux sentinelles ») (figure 5D).
En conclusion, la distinction clinique entre naevus et mélanome choroïdien peut être simple devant des lésions de très petite ou de très grande dimension. Mais il est important de reconnaître un naevus suspect pour adapter le rythme de surveillance, et de savoir identifier des signes moins fréquents mais néanmoins typiques d’un mélanome.
Références bibliographiques
[1] Singh AD, Grossniklaus HE. What’s in a Name? Large choroidal nevus, small choroidal melanoma, or indeterminate melanocytic tumor. Ocul Oncol Pathol. 2021;7(4):235-8.
[2] Shields CL, Furuta M, Berman EL et al. Choroidal nevus transformation into melanoma: analysis of 2514 consecutive cases. Arch Ophthalmol. 2009;127(8):981-7.
[3] Dalvin LA, Shields CL, Ancona-Lezama DA et al. Combination of multimodal imaging features predictive of choroidal nevus trans formation into melanoma. Br J Ophthalmol. 2018;103(10):1441-7.
[4] Shields CL, Lally SE, Dalvin LA et al. White paper on ophthalmic imaging for choroidal nevus identification and transformation into melanoma. Transl Vis Sci Technol. 2021;10(2):24.
[5] Shields CL, Dalvin LA, Ancona-Lezama D et al. Choroidal nevus imaging features in 3,806 cases and risk factors for transformation into melanoma in 2,355 cases: The 2020 Taylor R. Smith and Victor T. Curtin lecture. Retina. 2019;39(10):1840-51.