Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada pédiatrique : une étude de cas
Une enfant de 8 ans, caucasienne, sans antécédents, consulte aux urgences ophtalmologiques pour une baisse d’acuité visuelle bilatérale douloureuse avec altération de l’état général depuis une semaine. Elle a présenté un épisode de fièvre quelques jours plus tôt, accompagné de céphalées, d’asthénie et d’anorexie. Elle a pour antécédents familiaux une hyperthyroïdie d’étiologie indéterminée chez sa grand-mère.
L’acuité visuelle (AV) retrouvée est de 1/10 à l’œil droit et de 3/10 à l’œil gauche. L’examen du segment antérieur met en évidence une réaction inflammatoire importante aux 2 yeux et des précipités rétrodescemétiques non granulomateux, sans synéchie iridocristallinienne. On ne retrouve pas d’hypertonie oculaire.
L’examen du fond d’œil montre une hyalite modérée, un œdème papillaire bilatéral, des vaisseaux tortueux et dilatés ainsi que des taches blanc-jaunâtre d’allure profonde (figure 1).
L’examen OCT retrouve de multiples décollements séreux rétiniens (DSR) polylobés du pôle postérieur de façon bilatérale. L’OCT-SS grand champ révèle une augmentation de l’épaisseur choroïdienne rétromaculaire bilatérale (figure 2).
Devant ce tableau de panuvéite bilatérale non granulomateuse, non hypertonisante, avec DSR multiples et œdèmes papillaires, le diagnostic de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (VKH) est évoqué. L’enfant est hospitalisée en pédiatrie pour un bilan étiologique et préthérapeutique comportant un audiogramme, une IRM cérébrale, une ponction lombaire, une recherche HLA, ainsi qu’un bilan sanguin.
Le bilan biologique est sans particularité, à part un profil d’EPP inflammatoire. L’audiogramme, la ponction lombaire et l’IRM cérébrale ne retrouvent pas d’anomalies.
Un traitement par bolus de cortisone intraveineux à 15 mg/kg/jour est instauré.
La patiente est revue après 3 jours de traitement. Son état général s’est amélioré de façon spectaculaire. L’examen en lampe à fente retrouve toujours une inflammation non granulomateuse du segment antérieur, l’aspect du fond d’œil s’est amélioré, avec une diminution de la tortuosité vasculaire, de l’œdème papillaire et des DSR à l’OCT (figure 3).
L’angiographie à la fluorescéine retrouve une hyperfluorescence du nerf optique témoignant de l’œdème papillaire, un aspect de choriocapillarité périphérique et un pooling des DSR. L’angiographie au vert d’indocyanine montre des taches hypofluorescentes aux temps intermédiaires et le restant tout au long de la séquence angiographique (figure 4).
L’enfant sort d’hospitalisation après un relais par cortisone per os à 1 mg/kg/jour.
Après 1 mois de traitement par corticothérapie à 1 mg/kg/jour, l’AV remonte à 9/10 à l’œil droit et 6/10 à l’œil gauche. L’œdème papillaire et l’épaisseur choroïdienne diminuent, les vaisseaux sont moins tortueux et les DSR ont disparu. Cependant l’examen en OCT-HD maculaire révèle une altération de la rétine externe au niveau des précédents DSR (figures 5 et 6).
À la décroissance progressive de la corticothérapie, l’œdème papillaire récidive et on constate une augmentation de l’épaisseur choroïdienne et la réapparition d’un petit DSR interpapillomaculaire de l’œil droit.
Malgré la majoration du traitement par cortisone per os, l’œdème papillaire de l’œil droit continue d’augmenter. De plus l’enfant souffre de polyarthralgies, d’une prise de poids de 5 kilogrammes, de troubles de l’humeur et d’une hypertonie oculaire que l’on rattache à l’utilisation de corticoïdes à forte dose. Un traitement par mycophénolate mofétil est donc introduit au bout de 2 mois d’évolution de la maladie.
La patiente est revue 2 semaines après l’introduction du traitement immunosuppresseur. La corticothérapie a pu être diminuée progressivement depuis l’introduction du mycophénolate mofétil. La tolérance du traitement est bonne.
L’AV est remontée à 10/10 aux 2 yeux, le segment antérieur est calme, le fond d’œil ne retrouve plus de hyalite mais un léger œdème papillaire persistant au niveau de l’œil droit.
L’OCT maculaire ne met pas en évidence de DSR, les différentes couches de la rétine externe sont mieux indiviualisées et la continuité de la limitante externe est rétablie (figure 7).
Discussion
Le VKH est une panuvéite chronique, classiquement granulomateuse, bilatérale. À la phase aiguë de la maladie, les DSR et l’œdème papillaire constituent les éléments les plus caractéristiques qui conduisent au diagnostic [1]. À cette atteinte oculaire peut s’associer une atteinte du système nerveux central, de l’oreille interne et des téguments. Cette maladie auto-immune, à médiation lymphocytaire T, ciblerait les cellules contenant de la mélanine chez des individus présentant des facteurs de susceptibilité génétique.
L’OCT maculaire, et notamment l’OCT-SS grand champ, est d’une aide primordiale pour le diagnostic en mettant en évidence de multiples DSR polylobés associés à un épaissement choroïdien [2].
À la phase aiguë, le traitement repose sur la corticothérapie à forte dose avec relais par voie orale et décroissance très progressive par paliers. Toutefois, le recours aux immunosuppresseurs est nécessaire dans certains cas, notamment lors de corticodépendance ou en raison d’effets indésirables graves de la corticothérapie au long cours [3].
Le VKH représente environ 2% de l’ensemble des cas d’uvéite vus dans un centre de référence et 5,9% des uvéites postérieures. Une prédominance féminine, avec un âge moyen au diagnostic de 35 ans, est relevé dans la plupart des études [4].
La population pédiatrique est rarement touchée par la maladie, avec une prévalence de 3 à 15% des cas selon les études [5-7].
Le tableau reprend les différentes caractéristiques des formes pédiatriques et leur évolution selon la littérature. En effet, l’âge jeune au diagnostic est associé à un plus grand nombre de complications (cataracte, kératopathie en bandelette, synéchies postérieures, complications néovasculaires) [8] et probablement à un retard diagnostique lié à l’examen parfois difficile des enfants et à des plaintes moins fréquentes que chez les adultes. Tabarra et al. rapportent notamment, dans une étude de cohorte, 61% de chirurgie de cataracte à la suite d’une maladie de VKH dans une population pédatrique contre seulement 17% dans une population adulte, de même qu’une AV finale inférieure à 1/10 chez 61% des enfants contre moins de 26% chez les adultes [5].
L’enjeu est également thérapeutique chez ces êtres en croissance qui peuvent rencontrer de sévères complications de la cortisone au long cours, à l’origine d’une altération importante de la qualité de vie. On se posera, en effet, plus volontiers la question d’un traitement immunosuppresseur dans cette population de patients [9].
Conclusion
Bien que le VKH soit une entité inflammatoire rare en pédiatrie, il est important d’y penser devant la présence d’une panuvéite bilatérale avec œdème papillaire et DSR multiples au fond d’œil.
Références bibliographiques
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