Faut-il traiter les œdèmes maculaires diabétiques avec une haute acuité visuelle ?

Les anti-VEGF sont des traitements de première intention de l’œdème maculaire diabé tique (OMD). Leur autorisation de mise sur le marché précise qu’il s’agit de molécules indiquées dans le traitement de la baisse d’acuité visuelle (AV) due à l’OMD dans le cas d’une forme diffuse ou de fuites proches du centre de la macula chez les patients adultes ayant une AV inférieure ou égale à 5/10 et chez lesquels la prise en charge du diabète a été optimisée. Mais qu’en est-il lorsque les patients atteints d’un OMD central ont une haute AV ?

Dans la pratique, la plupart des praticiens n’attendent pas que le niveau d’AV ait atteint ce seuil de 5/10. En effet, quelques mois après la mise à disposition des anti-VEGF dans cette indication, une majorité d’ophtalmologistes français déclarait initier le traitement devant un OMD central même lorsque le niveau d’AV était supérieur à 5/10 [1]. Concernant le délai d’instauration du traitement d’un OMD central, une conférence de consensus, sous l’égide de la Société française d’ophtalmologie, rappelait que « s’il existe un grand déséquilibre inaugural des facteurs systémiques, sans prise en charge antérieure, on peut attendre 2 à 3 mois avant d’instaurer un traitement par IVT, sinon, même s’il n’y pas d’urgence, il est recommandé de ne pas trop attendre » avant de traiter [2]. La légitimité à ne pas attendre pour traiter étant liée aux résultats de nombreuses études suggérant qu’un retard prolongé à l’instauration d’un traitement dans le cadre d’un OMD a des conséquences délétères sur la fonction visuelle avec des pertes d’AV non rattrapées au terme du suivi [3]. Si bien qu’il est fréquent de traiter dès que l’AV est inférieure à 79 lettres ETDRS.
Mais qu’en est-il pour les OMD centraux avec bonne AV, c’est-à-dire supérieure à 8/10 ? Jusqu’à récemment, la plupart des grandes études exigeaient que les patients aient une AV maximale de 20/32 (protocoles T et I du DRCR) ou de 20/40 (PANORAMA, RISE/RIDE, VISTA/VIVID) pour instaurer un traitement. Cependant, de nombreux patients souffrant d’un OMD ont une bonne vision (8/10 ou plus). Comment les prendre en charge ? Le protocole V du DRCR.net a cherché à répondre à cette question. Ces résultats ont été publiés en 2019 [4].

Le protocole V du DRCR.net

Cette étude a inclus 702 patients atteints d’un OMD avec une AV de 20/25 (79 lettres ETDRS) ou plus [4]. Les patients ont été randomisés en 3 groupes de traitement : traitement initial par aflibercept en Treat and Extend, traitement initial au laser avec retraitement au laser possible en PRN toutes les 13 semaines, et observation initiale. Au terme du suivi, le recours à l’aflibercept ou au laser a été autorisé pour les groupes laser et observation dans des conditions préspécifiées. Le principal critère de jugement a été défini comme la perte d’au moins 5 lettres ETDRS d’AV à 2 ans. Le pourcentage d’yeux présentant une diminution d’au moins 5 lettres à 2 ans était de 16% pour le bras aflibercept, de 17% pour le laser et de 19% pour la première observation. Il n’y a pas eu de différence significative entre les groupes de traitement rapide par aflibercept et le groupe observation en ce qui concerne le changement moyen d’AV (0,9 et -0,4 lettre, respectivement) ou l’épaisseur rétinienne centrale (-48 et -42 µm, respec tivement) à 2 ans. Par ailleurs, cette étude confirmait que l’OM peut se résorber spontanément sans traitement ; en effet, dans le protocole V, l’OMD central s’est résorbé sans traitement dans 31% des yeux à 2 ans dans le bras observation.
Les auteurs concluaient que chez les patients atteints d’un OMD central et ayant une bonne AV, l’observation pouvait donc être une stratégie raisonnable, avec instauration d’un traitement uniquement dans les cas où l’AV s’aggrave. Cependant, un certain nombre d’auteurs ont récemment relativisé les conclusions du protocole V.

Des études récentes viennent nuancer les conclusions du protocole V

En 2022, Do, Moini, Wykoff ont souligné que l’approche privilégiant l’observation ne convenait pas à tous les patients atteints d’un OMD central [3]. Ces nuances d’appréciation reposent notamment sur la prise en compte de données issues d’analyses en sous-groupe du proto cole V. Les auteurs ont rappelé que dans le cadre du protocole V, un critère d’évaluation secondaire prédéfini était la proportion d’yeux ayant une AV supérieure ou égale à 84 lettres (équivalent Snellen de 20/20 ou plus) au terme du suivi. Dans le bras traitement non différé, une propor tion clini quement significative plus importante d’yeux a atteint une AV de 20/20 à 2 ans par rapport à l’observation initiale (77% vs 66%, respectivement ; taux supérieur de 18% d’atteinte d’une vision supérieure ou égale à 20/20 avec traitement immédiat par rapport à la simple observation).
Un autre élément noté par ces auteurs est que le retard à l’instauration du traitement peut, à terme, aboutir à des niveaux d’AV absolus plus faibles par rapport à l’instauration rapide d’un traitement anti-VEGF. Dans le protocole V, le sous-groupe d’yeux qui a été randomisé pour une observation initiale et qui a ensuite reçu un traitement (37%) avait une AV moyenne de 84,8 lettres (équivalent Snellen médian 20/20) au départ et a terminé l’étude avec une perte de près de 5 lettres, soit une AV moyenne de 80,0 lettres (équivalent Snellen médian 20/25). Ce déclin suggère que le fait de retarder l’initiation du traitement anti-VEGF peut avoir entraîné des résultats visuels finaux sous-optimaux et, plus inquiétant selon les auteurs, une perte de vision ne pouvant pas être récupérée avec un traitement.
Enfin à juste titre, Do et al. ont signalé que dans le cadre d’une étude telle que celles menées par le DRCR.net, le suivi des patients est étroit, obligatoire et défini par le protocole ; les patients du monde réel sont plus susceptibles de présenter une faible adhésion aux visites et un mauvais contrôle de la maladie systémique, 2 aspects qui sont intentionnellement minimisés dans le cadre d’un essai clinique.

Dans une étude menée par le FRB, Gabrielle et al. se sont intéressés aux données de vraie vie des patients ayant un OMD et une bonne AV [5]. Il s’agissait d’une analyse rétrospective d’yeux n’ayant jamais reçu de traitement et présentant un OMD avec une bonne AV (AV de base supérieure ou égale à 79 lettres) et initialement pris en charge avec un traitement (traitement intravitréen et/ou laser maculaire) ou une observation avec un traitement possible après 4 mois.
Cent cinquante yeux étaient éligibles. La proportion d’yeux présentant une perte d’AV d’au moins 5 lettres à 24 mois n’était pas significativement différente entre les groupes : 65% avec l’observation initiale et 42% avec le traitement initial. Cependant, les yeux observés initialement étaient plus susceptibles d’avoir une perte d’AV de 10 lettres à 24 mois (OR = 4,6).
La plupart des yeux du groupe d’observation initiale ont reçu au moins un traitement (une injection intravitréenne dans 66% des cas et un laser maculaire dans 20% des cas) au cours de la période de 24 mois. Les auteurs concluaient que même si le risque de perte de 5 lettres était similaire entre les 2 groupes de gestion, les yeux observés initialement étaient plus à risque de développer une perte visuelle modérée et plus de 80% d’entre eux ont nécessité un traitement au cours des 24 mois.
De plus, concernant les traitements à la fin du suivi et du nombre de visites requises : le nombre médian d’injec tions dans les 3 groupes sur 24 mois était remarquablement similaire, même si le traitement a été retardé d’au moins 4 mois dans le groupe d’observation, et les yeux initialement observés ont eu un nombre médian de visites significativement plus élevé sur 24 mois (17 contre 13 pour les yeux initialement traités).
Ces résultats suggèrent qu’un retard dans l’initiation du traitement entraîne la nécessité d’un traitement et d’un suivi plus intensifs pour maintenir une bonne vision. L’inconvénient d’un début de traitement précoce peut donc être compensé par une réduction du nombre de visites à long terme, tant pour les patients que pour les médecins. Les auteurs soulignent à juste titre que les avantages présumés du report du traitement, tels que la réduction du risque d’endophtalmie et les avantages économiques pour le système de soins de santé en termes d’économies sur les médicaments et les procédures, méritent donc d’être reconsidérés.
Enfin, comme le souligne avec justesse, R. Gary Lane, si le fait de mettre tous les patients dans le même sac nous donne le résultat « tous les traitements se valent », la stratification des patients en fonction du risque pourrait nous aider à orienter le traitement vers les patients qui en ont besoin et à éviter de traiter les autres [6]. On le rappelle dans le protocole V, près de 40% des patients initialement observés ont eu besoin d’un traitement [4] et plus de 80% des patients de l’étude du FRB en ont finalement eu un [5]. Dans une analyse des données du protocole V, Glassman et al. ont constaté que les yeux initialement observés étaient 2 fois plus susceptibles de nécessiter des injections d’aflibercept au cours de leur suivi s’ils présentaient initialement une épaisseur rétinienne centrale d’au moins 300 µm, une rétinopathie diabétique plus sévère (niveau 47 ou plus de l’échelle de gravité de la rétinopathie diabétique [DRSS]), ou s’ils nécessitaient un traitement de leur œil non étudié [7].
De même, dans une autre étude s’intéressant aux facteurs prédictifs de la perte de vision dans les yeux présentant un OMD et une bonne AV initiale, Lent- Schochet et al. ont constaté que les facteurs cliniques les plus fortement associés à la perte de vision étaient l’âge et la gravité de la RD [8].
Un dernier élément incite à la prudence lorsque l’on choisit de ne pas traiter : les injections anti-VEGF différées ont été positivement associées aux fluctuations de l’épaisseur rétinienne au cours du suivi [9]. Or un certain nombre d’études ont suggéré que les fluctuations de l’épaisseur de la rétine étaient associées à une détérioration de la vision chez les patients atteints d’un OMD.

Conclusion

Le protocole V a montré que la simple surveillance pouvait être une attitude légitime dans le suivi des patients ayant un OMD et une bonne AV. Mais même si les résultats du protocole V ne doivent pas être intégralement remis en question, il convient cependant de les nuancer en soulignant que des facteurs doivent être soigneusement pris en compte lorsque l’on choisit de ne pas traiter. Ainsi les caractéristiques de la maladie associée, telles que la gravité de la rétinopathie diabétique, l’épaisseur rétinienne et l’état de l’œil controlatéral sont des paramètres importants à prendre en compte. De même, l’initiation du traitement peut être une meilleure option que la simple observation dans le cas de patients dont l’adhésion aux traitements et l’observance sont faibles.

Références bibliographiques
[1] Qu-Knafo L, Fajnkuchen F, Giocanti-Aurégan A. Enquête de pratique sur l’OMD. SFO mai 2017.
[2] Massin P, Baillif S, Creuzot C et al. Fiche d’information aux médecins : traitement de l’œdème maculaire diabétique. J Fr Ophtalmol. 2015;38(9):e191-7.
[3] Do DV, Moini H, Wykoff CC. Frequency and timing of antivascular endothelial growth factor treatment for eyes with centre-involved diabetic macular oedema and good vision: Protocol V results in context. BMJ Open Ophthalmol. 2022;7(1):e000983.
[4] Baker CW, Glassman AR, Beaulieu WT et al. Effect of initial management with aflibercept vs laser photocoagulation vs observation on vision loss among patients with diabetic macular edema involving the center of the macula and good visual acuity: A randomized clinical trial. JAMA. 2019;321(19):1880-94.
[5] Gabrielle PH, Nguyen V, Bhandari S et al. Initial observation or treatment for diabetic macular oedema with good visual acuity: two-year outcomes comparison in routine clinical practice: data from the Fight Retinal Blindness! registry. Acta Ophthalmol. 2022;100(3):285-94.
[6] Gary Lane R. Putting protocol V into practice for patients with DME. Retinal Physician. 2022;19:35-9.
[7] Glassman AR, Baker CW, Beaulieu WT et al. Assessment of the DRCR retina network approach to management with initial observation for eyes with center-involved diabetic macular edema and good visual acuity: A secondary analysis of a randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2020;138(4):341-9.
[8] Lent-Schochet D, Lo T, Luu KY et al. Natural history and predictors of vision loss in eyes with diabetic macular edema and good initial visual acuity. Retina. 2021;41(10):2132-9.
[9] Torjani A, Mahmoudzadeh R, Salabati M et al. Factors associated with fluctuations in central subfield thickness in patients with diabetic macular edema using diabetic retinopathy clinical research protocols T and V. Ophthalmol Sci. 2022;3(1):100226.

Auteurs

  • Franck Fajnkuchen

    Ophtalmologiste

    Centre d’Imagerie et de Laser, Paris ; Hôpital Avicenne, Bobigny

Les derniers articles sur ce thème

L'accès à la totalité de la page est protégé.

Je m'abonne

Identifiez-vous