Évolution à long terme des occlusions veineuses rétiniennes

Cela fait maintenant un peu plus de 10 ans que les injections intravitréennes (IVT), avec l’implant de dexaméthasone puis avec les anti-VEGF (ranibizumab puis aflibercept), ont trouvé une place de choix dans la panoplie thérapeutique des occlusions veineuses rétiniennes (OVR). La pratique courante a confirmé leur efficacité dans le traitement de l’œdème maculaire, avec des résultats parfois meilleurs que ceux des études princeps, résultant en une amélioration très significative du pronostic visuel des patients. Aujourd’hui, des études avec un suivi de 5 à 8 ans montrent que grâce à un effort soutenu de la part du patient et du praticien, avec des visites et des injections souvent régulières, le bénéfice visuel obtenu la première année peut généralement se maintenir sur le long terme.

Dès que l’on parle de long terme, il faut cependant prendre en compte les patients perdus de vue qui, eux, connaissent souvent une perte visuelle impossible à récupérer par la suite, même si le patient réintègre le circuit des consultations. La pandémie de Covid a malheureusement permis de vérifier ce schéma. L’allègement du fardeau thérapeutique doit être une priorité pour que le patient puisse bénéficier sur le long terme de ces avancées thérapeutiques.

Études avec un suivi à long terme

Dans l’étude RETAIN, qui a observé pendant 4 ans les patients des études princeps CRUISE et BRAVO, la deuxième année semblait être une année charnière. Dans cette étude où les patients ont été traités par ranibizumab en mode pro re nata (PRN), la résolution de l’œdème à 4 ans concernait 50% des occlusions de branche veineuse rétinienne (OBV) et 44% des occlusions de la veine centrale de la rétine (OVCR). Lorsque les IVT pouvaient être interrompues, la suspension intervenait dans les trois quarts des cas dans le courant de la deuxième année, aussi bien pour les OBV que pour les OVCR. Le pronostic visuel final était cependant meilleur dans les OBV où 80% des patients récupéraient 5/10 ou plus, par rapport à seulement 64% des OVCR qui bénéficiaient d’une résolution de l’œdème et 28% des OVCR qui avaient un œdème récidivant.

Cette importance de la deuxième année était aussi soulignée par Spooner dans une étude australienne de vraie vie avec un suivi de 5 ans. Le gain visuel obtenu la première année se maintenait sur le long terme, en contrepartie d’un rythme soutenu d’en moyenne 5,5 IVT par an, aussi bien dans les OVCR que dans les OBV après la première année. Dans les OCVR, le gain était en moyenne de 9,6 lettres et de 14,2 lettres dans les OBV. Le nombre d’IVT la deuxième année était un bon prédicteur du nombre d’IVT pour les quatrième et cinquième années. Contrairement à ce qui est observé dans l’œdème maculaire diabétique, le rythme des IVT ne semblait pas diminuer au fil des ans. Un certain nombre de patients « happy few », soit 10% des OBV et 5% des OVCR, n’avaient pas eu besoin d’IVT après la phase d’induction (figure 1). Le nombre de « happy few » dans les OVCR était légèrement supérieur dans l’étude BORÉAL (12,2%) et dans celle du FRB (12%) [1].
Dans le même groupe de patients suivis 8 ans [2], les auteurs australiens notent que le gain moyen est encore très confortable (14,6 lettres), mais ils soulignent l’importance de continuer à surveiller la perfusion de la périphérie rétinienne car une progression des territoires de non-perfusion était observée dans 16% des cas. L’étude RAVE avait bien démontré qu’avec les anti-VEGF, le risque de complication néovasculaire du segment antérieur n’avait pas diminué, mais était seulement retardé de plusieurs années (2 en moyenne).
Le suivi avec l’implant de dexaméthasone est également documenté sur une durée de 3 ans dans une étude multicentrique française dans un contexte de « vraie vie » [3]. Sur les 66 patients qui avaient démarré un traitement par IVT de l’implant de dexaméthasone, un switch vers un anti-VEGF a eu lieu dans 24,2% des cas. Le gain moyen d’acuité visuelle était de 10 lettres dans les 2 groupes (avec ou sans switch), et de 15 lettres ou plus dans 41% des cas. L’intervalle moyen de retraitement avec l’implant de dexaméthasone était de 4,8 mois et le nombre d’IVT en 3 ans s’échelonnait de 1 à 10. Sur le moyen et le long terme, les IVT gardaient la même efficacité sur l’acuité visuelle et sur l’œdème maculaire. L’extraction de la cataracte a eu lieu chez 70% des patients au cours du suivi.


Recul sur les protocoles de suivi – éviter le sous-traitement

L’étude BORÉAL a été demandée par la Haute Autorité de santé pour évaluer dans la vraie vie les résultats de l’administration de ranibizumab en France dans les OVR avec un suivi de 2 ans. Cette étude prospective observationnelle a démarré au moment de la mise sur le marché du produit avec inclusion des patients entre 2013 et 2015. À cette époque, le protocole de suivi était majoritairement le PRN. Après la série de 3 IVT d’induction, le gain moyen était confortable (16 lettres), légèrement supérieur à celui des études princeps. Cependant, sur les 2 ans de l’étude, seules 7 IVT ont été réalisées, ce qui est nettement inférieur aux 12 IVT des études princeps et explique probablement le gain visuel moindre de 8,3 lettres à 2 ans. Ces résultats montraient une tendance à un sous-traitement dans la vraie vie, encourageant donc des modes de suivi plus proactifs comme le Treat & Extent (TAE).
Dans une autre étude de vraie vie, AURIGA, utilisant l’aflibercept et plus tardive avec des patients traités entre 2017 et 2021, la majorité des patients étaient suivis en TAE. Les résultats visuels étaient meilleurs, avec un gain moyen de 14,3 lettres à 1 an et 11,6 à 2 ans, et une moyenne de 6,5 IVT à 1 an et 8,8 à 2 ans. L’intervalle entre les dernières IVT était de 10 semaines ou plus pour 60% des patients, et de 16 semaines ou plus pour 20%.

Patients perdus de vue

Dans une large étude sur les données d’une assurance sociale aux États-Unis, les auteurs ont mis en évidence que 25,9% des patients avaient interrompu leur suivi au moins 1 an après l’initiation d’IVT. Les patients les plus à risque étaient les plus éloignés des centres, ceux qui présentaient la baisse visuelle la plus importante (OVCR ou acuité visuelle inférieure à 4/10), les moins de 65 ans et plus de 85 ans, ainsi que les populations défavorisées et non couvertes vis-à-vis des frais de santé. Dans l’étude observationnelle du FRB, le taux de perte de vue était bien supérieur dans les OVCR : 50% à 3 ans [1].
Si les patients réintègrent le circuit des consultations après plus de 6 mois d’interruption, la reprise des IVT va à nouveau donner un bon résultat pour la régression de l’œdème maculaire mais l’acuité visuelle reste souvent définitivement abaissée [4]. D’où l’importance de convaincre le patient qu’un suivi régulier est indispensable pour la qualité de sa vision à long terme. Pour cela, l’allègement du fardeau thérapeutique est un atout majeur.

Comment alléger le fardeau du suivi dans les OVR +++ ?

Rendre le traitement et le suivi moins contraignants est une condition fondamentale pour que le patient adhère sur le long terme à la prise en charge optimale de sa maladie.

• Le mode de suivi TAE permet d’espacer les visites et les injections, avec un intervalle pouvant aller jusqu’à 4 mois avec les anti-VEGF (18 semaines). Comme le délai de récidive est relativement stable dans les OVR, il est possible de combiner quelques injections fixes une fois le délai connu, ce qui allège les consultations.

• Le fait d’inclure une phase d’observation après celle d’induction permet d’éviter de traiter de manière inutile les 10 à 15% de patients « happy few ».

• Se baser sur la zone centrale de la grille ETDRS du mapping OCT et sur l’acuité visuelle pour définir le délai de l’IVT suivante, comme dans les études princeps. Un début de récidive de l’œdème dans la zone extrafovéale ne doit pas conduire à diminuer l’espacement des IVT (figure 2). Tant que la zone centrale n’est pas atteinte par l’œdème et que l’acuité visuelle est conservée, il faut continuer à augmenter l’intervalle entre les IVT.

• Tenir compte du gain visuel, de l’atrophie et de la non-perfusion dans l’appréciation du bénéfice lié au traitement. Si l’acuité visuelle n’est pas chiffrable (inférieure à 1/10), il existe probablement d’autres lésions que l’œdème pour expliquer la mauvaise vision, par exemple une ischémie maculaire ou une atrophie, séquelle à long terme de la non-perfusion (figure 3). Dans ces cas, l’IVT fait disparaître l’œdème mais la vision ne remonte pas [5]. L’absence d’amélioration de la vision dans ces conditions peut conduire à l’arrêt ou à l’espacement des IVT, quel que soit le degré de l’œdème.

• Tenter l’arrêt du traitement lorsque l’espacement devient supérieur à 18 semaines (c’est-à-dire une absence de récidive à 18 semaines). Il faut, dans ce cas, continuer à suivre régulièrement le patient pour déceler une éventuelle récidive plus tardive.

• Arrêter un collyre dérivé des prostaglandines, connu pour favoriser l’œdème maculaire, en particulier chez les patients pseudophakes. Il ne faut cependant pas renoncer au bon équilibre de la pression intraoculaire, qui joue un rôle important dans l’OVR. On remplacera les prostaglandines par d’autres collyres, en association si nécessaire. Les collyres inhibiteurs de l’anhydrase carbonique et les bêtabloquants sans action sympathicomimétique intrinsèque sont à préférer car ils exercent un rôle favorable sur le débit circulatoire de la rétine et du nerf optique.

• Pour les OBV et OVR hémicentrales, penser à la photocoagulation au laser en grille (grid) maculaire en deuxième intention si l’œdème maculaire récidive, et au traitement focal des télangiectasies capillaires qui se développent à moyen terme à partir de la deuxième année [6]. Les nombreuses études sur le résultat de la grille maculaire sont discordantes, beaucoup d’entre elles étant fondées sur de petits effectifs hétérogènes. La possibilité d’espacer davantage, voire de stopper les IVT, a été rapportée dans plusieurs études mais cela n’est pas retrouvé de manière consensuelle dans toutes les études.

Switcher sur le long terme, lorsque les risques des formes ischémiques sont identifiés et traités, vers l’implant de dexaméthasone en l’absence de contre-indication [6]. Les nouveaux traitements qui pourraient permettre d’espacer encore davantage les IVT (faricimab, brolucizumab, etc.), comme c’est le cas dans le diabète, n’ont pour l’instant pas reçu d’autorisation dans les OVR.

Conclusion

Les IVT ont permis un réel progrès dans le pronostic des OVR, qui se maintient dans le temps au prix d’un suivi très régulier, avec pour la plupart des patients des injections à un rythme encore soutenu à 5 ans. Pour que nos patients puissent bénéficier de ce progrès thérapeutique sur le long terme, tout doit être mis en œuvre pour alléger les contraintes liées au suivi en espaçant au maximum les injections.

Références bibliographiques
[1] Hunt A, Nguyen V, Bhandari S et al. Central retinal vein occlusion 36-month outcomes with anti-VEGF: The Fight Retinal Blindness! registry. Ophthalmol Retina. 2023;7(4):338-45.
[2] Spooner KL, Fraser-Bell S, Hong T et al. Long-term outcomes of anti-VEGF treatment of retinal vein occlusion. Eye (Lond). 2022;36(6): 1194-201.
[3] Blanc J, Deschasse C, Kodjikian L et al. Safety and long-term efficacy of repeated dexamethasone intravitreal implants for the treatment of cystoid macular edema secondary to retinal vein occlusion with or without a switch to anti-VEGF agents: a 3-year experience. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2018;256(8):1441-8.
[4] Yang KB, Liu L, Feng H et al. Outcomes of eyes lost to follow-up in patients with central retinal vein occlusion who are receiving anti-vascular endothelial growth factor treatment. Ther Clin Risk Manag. 2021;17:489-96.
[5] Martinet V, Guigui B, Glacet-Bernard A et al. Macular edema in central retinal vein occlusion: correlation between optical coherence tomography, angiography and visual acuity. Int Ophthalmol. 2012; 32(4):369-77.
[6] Paques M, Philippakis E, Bonnet C et al. Indocyanine-green-guided targeted laser photocoagulation of capillary macroaneurysms in macular oedema: a pilot study. Br J Ophthalmol. 2017;101 (2):170-4.

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