Œdème maculaire vasogénique : existe-t-il de vrais biomarqueurs ?
L’œdème maculaire (OM) est dû à la rupture des jonctions serrées entre les membranes des cellules de la barrière hématorétinienne (BHR) interne. Cette rupture entraîne une pénétration de plasma et de protéines plasmatiques dans le tissu rétinien. Lorsque les capacités de réabsorption rétinienne de fluides sont dépassées, un OM se crée. Dans cet article, nous aborderons les principaux biomarqueurs d’OM au cours de la rétinopathie diabétique (RD) et des occlusions veineuses rétiniennes (OVR) qui pourraient orienter vers l’une ou l’autre des physiopathogénies : OM vasogénique ou inflammatoire.
Il existe probablement 2 formes d’OM de pathogénie différente : l’un à prédominance inflammatoire, au cours duquel des processus de l’inflammation sont à l’origine de la rupture de la BHR, et un autre, vasogénique, au cours duquel l’hypoxie rétinienne conduit à une expression importante de VEGF à l’origine de l’augmentation de la perméabilité capillaire.
Œdème maculaire diabétique
Au cours du diabète, l’hyperglycémie induit une dégradation des éléments constitutifs des jonctions serrées entre les cellules endothéliales des vaisseaux rétiniens (occludines, claudines, JAM-A, zonula occludens-1 et V-cadhérines) par la production de cytokines telles que VEGF, TGFß et interleukine-6. Sous l’influence du VEGF, les leucocytes adhèrent aux parois vasculaires par l’intermédiaire de la molécule d’adhésion intercellulaire (ICAM-1). La migration des leucocytes à travers les parois capillaires favorise également la fragilisation des jonctions serrées.
Tous ces phénomènes aboutissent à la rupture de la BHR interne. L’accumulation de fluide rétinien provient d’un déséquilibre entre les entrées de fluides au sein des couches de la rétine par rupture de la BHR interne, et les capacités de réabsorption des fluides par la rétine assurée par les cellules gliales de Müller (CGM) et l’épithélium pigmentaire. Les CGM sont quant à elles responsables de l’homéostasie rétinienne et participent à la régulation aqueuse et potassique extracellulaire de la rétine par élimination du surplus hydrique vers les vaisseaux sanguins et le vitré. Ces cellules sont ballonisées en présence d’un œdème maculaire, ce qui pourrait expliquer en partie l’aspect kystique du fluide intrarétinien.
D’autre part, au cours de l’OMD, les cellules microgliales, qui sont des cellules sentinelles de la rétine, deviennent réactives et produisent des cytokines qui participent à la mort cellulaire neuronale et vasculaire, et donc à la progression de la RD.
Sont présentés ci-dessous les biomarqueurs dont la part potentielle à la physiopathogénie d’un OM inflammatoire ou vasogénique a été analysée dans la littérature.
Points hyperréflectifs
Il a été suggéré que les points hyperréflectifs (PHR) visibles en OCT (figure 1) pourraient correspondre à des cellules microgliales activées. Les PHR présentant des caractéristiques précises – dimension inférieure à 30 µm, réflectivité similaire à celle des fibres optiques, absence de cône d’ombre postérieur et localisation à la fois dans les couches internes et externes – sont suggérés comme représentant des agrégats de cellules microgliales activées et pourraient donc être considérés comme des biomarqueurs d’imagerie de la réponse inflammatoire de la rétine à l’OM diabétique vasogénique.
Études comparatives anti-VEGF vs corticoïdes
Une augmentation du nombre de PHR dès les stades précoces de RD et d’OMD a été observée. Un nombre plus important de PHR est présent dans l’OMD associé à un décollement séreux rétinien (DSR) comparativement à l’OMD sans DSR. Les PHR diminuent après un traitement par anti-VEGF aussi bien que par corticoïdes (CT), mais la baisse est plus importante avec ces derniers.
Valeur pronostique des PHR
La valeur pronostique des PHR est très variable. Pour certains auteurs, il n’existe pas de différence d’évolution fonctionnelle et anatomique entre les OMD avec ou sans PHR [1]. Pour d’autres, un nombre élevé de PHR est un marqueur de bonne réponse au traitement anti-VEGF [2]. Pour d’autres encore, le nombre important et la localisation des PHR sur toute l’épaisseur de la rétine sont plutôt associés à un faible gain visuel sous traitement par dexaméthasone [3]. Enfin, d’autres équipes retrouvent également une meilleure réponse au traitement par implant de dexaméthasone que par anti-VEGF en cas de PHR.
Même s’il s’agit d’un marqueur paraissant intéressant, les études sont discordantes et ne permettent pas pour l’instant son utilisation. L’amélioration anatomique en présence de PHR semble meilleure dans la plupart des études sous dexaméthasone, sans que l’acuité visuelle (AV) diffère en fonction des traitements.
Limites de cet outil
Les raisons expliquant les discordances de pronostic de ces PHR pourraient être les suivantes : le comptage des PHR est difficile car plusieurs structures apparaissent hyperréflectives sur un OCT (microanévrysmes, débris d’exsudats, cellules microgliales activées). De plus, ces PHR sont évalués sur des coupes de différentes tailles selon les études cliniques, ce qui explique la variabilité des résultats chiffrés de comptage.
Décollement séreux rétinien
Il a été montré que la présence d’un DSR (figure 1) était associée à une élévation de la concentration intravitréenne d’IL6 au cours de l’OMD [4]. Par la suite, d’autres études cliniques rétrospectives se sont intéressées à la comparaison de l’utilisation d’anti-VEGF et de CT chez les patients atteints d’un DSR, afin de vérifier que l’un ou l’autre des traitements était plus efficace et de qualifier ainsi ce biomarqueur d’inflammatoire.
Études comparatives anti-VEGF vs corticoïdes
Demircan et al. [5] retrouvaient une amélioration anatomique supérieure dans le groupe traité par dexaméthasone vs par ranibizumab. A contrario, Ozsaygili et al. [6] retrouvaient de meilleurs résultats fonctionnels sous aflibercept que sous dexaméthasone.
Globalement, la plupart des études comparatives montrent que le DSR régresse souvent davantage sous dexaméthasone que sous anti-VEGF. C’est pour cette raison que ce biomarqueur est qualifié d’inflammatoire.
Valeur pronostique du DSR
L’amélioration anatomique en présence d’un DSR semble meilleure dans la plupart des études sous dexaméthasone, sans que l’AV diffère en fonction des traitements.
Limites de cet outil
La limite de la plupart des études comparatives entre les traitements CT et anti-VEGF réside dans leur caractère le plus souvent rétrospectif. Il est également difficile de définir un temps d’évaluation optimal de comparaison de l’effet de ces 2 types de traitements en raison des pics d’efficacité survenant à des intervalles différents et des schémas de traitement variables.
Désorganisation des couches internes de la rétine
La notion de désorganisation des couches internes de la rétine (DRIL) a été introduite récemment. Elle est définie comme l’extension horizontale en micromètres de la zone au sein de laquelle les limites entre les complexes plexiforme interne/cellules ganglionnaires, nucléaire interne et plexiforme externe ne peuvent pas être identifiées (figure 2). La présence d’une DRIL est évaluée de façon indépendante de celle de l’œdème. Les DRIL ont également été suggérées comme étant de potentiels biomarqueurs de l’inflammation car un traitement par dexaméthasone permet de les améliorer. La présence d’une DRIL initiale, quel que soit le traitement, semble associée à un moins bon résultat fonctionnel. Malheureusement, aucune étude à ce jour ne compare les CT aux anti-VEGF chez les patients atteints d’un OMD avec DRIL. Par ailleurs, cet outil est difficile à caractériser, particulièrement en présence d’un œdème, et sa quantification reste pour l’instant du domaine de la recherche clinique et non de la pratique courante.
Biomarqueurs biologiques
Une étude récente [7] a comparé l’évolution fonctionnelle et anatomique des OMD sous traitement anti-VEGF en la corrélant au taux plasmatique initial de CRP (C-réactive protéine) et de VEGFA (Vascular endothelial growth factor A). Les patients ayant les taux les plus faibles de VEGFA ainsi que ceux avec les taux de CRP les plus élevés présentaient une moins bonne réponse aux anti-VEGF. Ces résultats nécessitent bien sûr d’être répétés et interprétés avec prudence mais ils pourraient, à l’avenir, apporter des pistes pour le phénotypage initial d’un patient atteint d’un OMD.
Œdème au cours des occlusions veineuses rétiniennes
La physiopathogénie des OM au cours des occlusions veineuses rétiniennes (OVR) est encore en grande partie non élucidée. Il est suspecté qu’une modification localisée de la paroi de la veine aboutisse à une diminution du calibre et à des modifications rhéologiques en amont. Ces modifications rhéologiques détectées par les cellules endothéliales et le ralentissement du flux circulatoire détecté par les cellules gliales entraînent des cascades biologiques et la production de cytokines. Comme dans l’OMD, une augmentation des taux cytokiniques dans l’humeur aqueuse et dans le vitré a été mesurée. Cette augmentation touche particulièrement les taux d’IL-6, IL-8, MCP-1 et VEGF chez les patients atteints d’un OVR.
Impact des traitements
Do et al. [8] ont comparé l’effet des 2 classes pharmacologiques (dexaméthasone et anti-VEGF) au cours d’une étude rétrospective portant sur 139 yeux, et ont particulièrement exploré également l’évolution des PHR. Dans cette étude, lorsque les OM sont récents, dexaméthasone et anti-VEGF semblent avoir une efficacité comparable. Cependant, il semble exister des gains fonctionnels supérieurs dans les OM plus anciens (plus de 3 mois) sous dexaméthasone (figure 3).
Points hyperréflectifs
Il s’agit de particules bien circonscrites, visibles en SD-OCT et mesurant de 20 à 40 µm de diamètre. Ces points hyperréflectifs pourraient être des biomarqueurs de l’inflammation et correspondre à des migrations de cellules microgliales activées vers la rétine externe en réponse à l’inflammation. Par ailleurs, il semblerait que le nombre de PHR dans la rétine externe soit plus important dans les œdèmes d’une durée supérieure ou égale à 3 mois (figure 4) [8]. Si l’on extrapole sur les résultats de cette étude, la composante inflammatoire de l’OM des OVR pourrait donc augmenter au cours du temps et de la chronicité de l’œdème.
Conclusion
L’objectif de l’étude de ces biomarqueurs est de tenter de mieux comprendre la physiopathogénie de l’OM. En effet, la présence ou l’augmentation de certains de ces biomarqueurs pourrait être associée à un profil plus vasogénique ou plus inflammatoire de l’OM. Actuellement, seuls les PHR et la présence d’un DSR (au cours de l’OMD) sont assez largement étudiés et pourraient constituer des biomarqueurs. À l’heure actuelle, aucun de ces marqueurs n’est suffisamment robuste pour entraîner une adaptation du traitement initial de l’OMD en fonction de leur présence ou de leur absence. C’est probablement l’intelligence artificielle, appliquée à notre imagerie multimodale, qui permettra de définir de nouveaux biomarqueurs, jusqu’à présent non suspectés.
Références bibliographiques
[1] Fonollosa A, Zarranz-Ventura J, Valverde A et al. Predictive capacity of baseline hyperreflective dots on the intravitreal dexamethasone implant (Ozurdex®) outcomes in diabetic macular edema: a multicenter study. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2019;257(11): 2381-90.
[2] Schreur V, Altay L, van Asten F et al. Hyperreflective foci on optical coherence tomography associate with treatment outcome for anti-VEGF in patients with diabetic macular edema. PloS One. 2018;13(10):e0206482.
[3] Zur D, Iglicki M, Busch C et al. OCT biomarkers as functional outcome predictors in diabetic macular edema treated with dexamethasone implant. Ophthalmology. 2018;125(1):267-75.
[4] Sonoda S, Sakamoto T, Yamashita T et al. Retinal morphologic changes and concentrations of cytokines in eyes with diabetic macular edema. Retina. 2014;34(4):741-8.
[5] Demircan A, Ozkaya A, Alkin Z et al. Comparison of the effect of ranibizumab and dexamethasone implant on serous retinal detachment in diabetic macular edema. J Fr Ophtalmol. 2018;41(8):733-8.
[6] Ozsaygili C, Duru N. Comparison of intravitreal dexamethasone implant and aflibercept in patients with treatment-naive diabetic macular edema with serous retinal detachment. Retina. 2020;40(6): 1044-52.
[7] Brito PS, Costa JV, Barbosa-Matos C et al. Association of serum vasogenic and proinflammatory factors with clinical response to anti–vascular endothelial growth factor for diabetic macular edema. Retina. 2021;41(2):345-54.
[8] Do JR, Park SJ, Shin JP, Park DH. Assessment of hyperreflective foci after bevacizumab or dexamethasone treatment according to duration of macular edema in patients with branch retinal vein occlusion. Retina. 2021;41(2):355-65.