Chirurgie en 3D : est-ce vraiment utile ?

L’ophtalmologie moderne a véritablement été révolutionnée par les avancées technologiques. De la même façon que le numérique a remplacé l’imagerie argentique dans le domaine des explorations, la chirurgie ophtalmologique va très certainement évoluer dans le même sens. Les évolutions technologiques nous amèneront à passer progressivement de systèmes optiques conventionnels à une visualisation numérique des sites opératoires. Cette (r)évolution fait certes encore face à quelques obstacles ou freins technologiques, mais ces derniers seront sans nul doute levés par les développements techniques futurs.

Les vastes possibilités offertes par cette technologie en termes d’interfaçage numérique génèrent une dynamique positive pour son essor dans les années à venir. Cet article vise à décrire les évolutions technologiques, l’intérêt et les limites actuelles de la visualisation sur écran UHD-3D en chirurgie oculaire.
Sous le terme de chirurgie en 3D se cache la dernière évolution technologique qui prend place au sein de nos blocs opératoires, à savoir l’introduction d’écrans 3D ultra-haute définition (UHD) permettant une chirurgie dite « tête haute ». Plusieurs laboratoires se sont lancés dans l’aventure de la chirurgie 3D-UHD, dont 3 proposent des systèmes commerciaux : le système Ngenuity® d’Alcon a été le premier dispositif ophtalmologique abouti ayant été mis sur le marché, rejoint ensuite par l’Artevo 800 de Zeiss et le TrueVision 3D de Leica.
Ces dispositifs représentent sans aucun doute une avancée importante dans la visualisation pour la chirurgie ophtalmologique et ouvrent certainement des perspectives vers ce que sera la chirurgie de demain. Mais lorsqu’une nouvelle technologie est développée, la création d’une nouvelle terminologie est indispensable, comme nous le rappelle un éditorial récent du Pr Steve Charles [1]. Plusieurs termes sont ainsi utilisés de façon vague par rapport à cette technologie et il est nécessaire de les préciser avant de décrire plus en détail cette nouvelle modalité de visualisation peropératoire.
En premier lieu, ce dispositif fournit certes une visualisation 3D, mais les microscopes opératoires permettent eux aussi, via leurs 2 oculaires, une visualisation 3D stéréoscopique. Le terme de système de visualisation 3D n’est donc pas totalement satisfaisant.
De même, il permet la visualisation « tête haute », mais les oculaires à inclinaison autorisent eux aussi une chirurgie « tête haute » sans réel problème ergonomique à résoudre.
Au contraire, en fait, le système actuel exige une légère rotation de la tête pour que le chirurgien puisse voir l’écran d’affichage chirurgical correctement placé, de sorte que cette nouvelle technologie introduit en fait une nouvelle contrainte ergonomique même si elle est minime.
Lorsque l’on considère ces points, il devient clair que le terme chirurgie tête haute 3D pour décrire cette technologie est une erreur d’appellation.
De plus, le terme visualisation numérique a été utilisé en référence au système Ngenuity®, mais bien qu’il soit techniquement correct, il s’applique à la mise en œuvre de la technologie plutôt qu’à ses avantages cliniques, qui sont par ailleurs considérables. Comprendre la différence entre une caractéristique (visualisation numérique) et un avantage (visualisation améliorée) est important pour évaluer la valeur d’une nouvelle technologie.

Cet article vise donc à exposer les caractéristiques et avantages cliniques des systèmes utilisant des écrans 3D en ultra-haute définition (3D-UHD) tout en en discutant les limites actuelles.

Une ergonomie nouvelle

Le design sans oculaire permet potentiellement d’améliorer la posture et l’ergonomie par rapport à l’usage d’un microscope traditionnel. En effet, des travaux rapportent les contraintes musculo-squelettiques rencontrées chez les chirurgiens ophtalmologistes, en particulier dans le cadre de la chirurgie vitréo-rétinienne pour laquelle des changements fréquents de focus, et donc de position des oculaires, sont nécessaires, obligeant à des contraintes cervicales répétées [2-4]. À cela s’ajoute le caractère statique de la position cervicale durant plusieurs heures.
Dans l’étude de Dhimitri et al. les auteurs ont constaté que 51,8% des 697 ophtalmologistes nord-américains interrogés se plaignaient de symptômes au niveau du cou, du haut du corps ou des lombaires [2]. Toutefois, leur étude ne fait pas état de l’implication relative des activités chirurgicales et non chirurgicales dans le déclenchement de ces douleurs.
Même si les oculaires inclinables des microscopes peuvent éliminer la flexion et l’extension du cou, ils ne permettent pas les mouvements latéraux du cou ni les mouvements du dos.
Aussi la liberté de mouvement de la tête et des yeux durant une chirurgie utilisant un système 3D-UHD permet-elle d’améliorer potentiellement cet inconfort, comme rapporté par l’étude de Claus Eckardt qui observe que plus 90% des utilisateurs ont préféré l’ergonomie de ce type de système à celle d’un microscope conventionnel [5]. Cette préférence était particulièrement vraie pour les interventions vitréo-rétiniennes où la tête du chirurgien reste parfois « fixée » aux oculaires pendant plus d’une heure.
En plus des plaintes musculo-squelettiques, une vision prolongée à travers les oculaires peut, chez certains, donner lieu à des problèmes d’asthénopie, affectant ainsi le niveau de confort général du chirurgien [2]. Là encore l’étude de Claus Eckardt a constaté que l’utilisation d’un système 3D-UHD causait moins de phénomènes d’asthénopie [5].

La taille de l’écran peut avoir joué un rôle. La visualisation des images sur un écran de 55 pouces permet au chirurgien de choisir entre des mouvements oculaires et/ou de la tête pour visualiser les différentes parties du champ opératoire, rendant ainsi l’analyse visuelle du champ opératoire plus naturelle.
Cependant, une limite persiste à l’heure actuelle du fait de la colonne optique du microscope située au-dessus du malade. Celle-ci empêche le positionnement de l’écran 3D face au chirurgien au pied du malade, ce qui oblige à légèrement décaler l’écran de quelques degrés sur le côté (10-15°) afin de ne pas être gêné. La distance idéale de positionnement étant de 1,30 à 1,50 m (figure 1).

Enfin un dernier point d’ergonomie est à discuter, celui des contraintes vis-à-vis du port de lunettes. En effet les lunettes de correction, qui peuvent parfois être gênantes du fait du contact sur les bonnettes des oculaires des microscopes, ne le sont nullement pour l’utilisation des systèmes 3D-UHD. Les verres polarisés peuvent se présenter sous la forme de verres clippés ou de masques superposés devant les lunettes, permettant une utilisation simplifiée (figure 2). De même le port de verres progressifs n’est pas un facteur limitant avec un écran, ce qui n’est pas le cas avec les microscopes.

En dernier lieu, nous pouvons élargir le sujet de l’ergonomie par la possibilité de s’adapter à des patients présentant des limitations musculo-squelettiques sévères (cyphose sévère) [6] ou d’autres problèmes de positionnement (orthopnée). Ainsi, quelle que soit la position du patient, le microscope pourra être placé de façon à être centré sur l’œil du patient même si les oculaires ne sont plus accessibles au chirurgien [6].

À noter, tout de même, quelques points limitants. D’une part dans le domaine de la chirurgie rétinienne ab externo : le maniement de ce dispositif peut parfois être moins aisé et nécessiter une courbe d’apprentissage plus prolongée. En effet, bien que la latence de l’image produite par la caméra pendant les procédures intraoculaires ne soit pas gênante, les mouvements plus rapides des procédures extraoculaires, telle la suture d’un matériel d’indentation, peuvent rendre cette latence de l’image plus perceptible pour le chirurgien, et donc gênante. Cependant, en réduisant la latence initialement de 93 à 70 ms actuellement, cette gêne n’est presque plus ressentie pour les procédures sclérales.
D’autre part pour l’aide opératoire : l’ergonomie actuelle n’est pas optimale lorsqu’elle doit maintenir un verre contact puisqu’elle se retrouve tournée à 90° par rapport à l’écran ou doit alors suivre l’intervention de façon classique dans les oculaires prévus pour l’aide. Un second écran 3D serait une solution potentielle pour pallier ce problème.

Profondeur de champ améliorée et champ visuel élargi net en tout point

Par l’utilisation d’une caméra comportant une paire de capteurs couplés en stéréo et des diaphragmes contrôlables, ce dispositif permet d’obtenir une bien plus grande profondeur de champ qu’un microscope opératoire conventionnel. Cette augmentation de la profondeur de champ est une caractéristique intéressante puisqu’elle permet l’utilisation d’un grossissement beaucoup plus important et l’obtention d’une mise au point optimale sur l’ensemble de l’image opératoire, que l’on soit au centre ou en périphérie. Ainsi le champ opératoire utile est-il mieux contrôlé dans son ensemble.
Le système est ajustable et permet de jouer sur l’ouverture de la caméra, donnant au chirurgien la possibilité de déterminer la profondeur de champ qui lui convient le mieux (en général l’ouverture recommandée pour le diaphragme est de 20 à 30%).
Cependant, il est nécessaire d’avoir à l’esprit que la fermeture du diaphragme pour augmenter la profondeur de champ a pour effet de réduire l’entrée de lumière dans la caméra. Ce problème est en grande partie compensé par le gain numérique ajustable de la caméra.

Illumination peropératoire

L’utilisation de caméras CMOS à haute sensibilité permet d’utiliser des niveaux d’illumination beaucoup plus faibles qu’avec un microscope standard. Dans notre expérience [7] et plus généralement [5], ce niveau d’illumination se situe autour de 20 à 30% du niveau de lumière maximal de l’appareil de vitrectomie employé, et avec une illumination encore plus réduite pour la chirurgie maculaire.
Par ailleurs, même s’il ne s’agit pas de l’objet de cet article, l’utilisation pour la chirurgie du segment antérieur s’en retrouve là aussi nettement améliorée, en particulier lors d’une chirurgie sous anesthésie topique où le faible éclairage donne un meilleur confort au patient, et donc au chirurgien aussi. Le confort chirurgical sur le segment antérieur est également amélioré par l’étendue de la profondeur de champ, qui est telle que l’image peut être nette de la cornée à la capsule postérieure sans qu’il soit nécessaire de changer le focus.
De plus, ces faibles niveaux d’illumination réduisent grandement les risques de photo-traumatisme et de photo-toxicité. Cela est rendu possible par l’augmentation très importante du gain numérique que le dispositif offre et par la sensibilité des caméras employées.
Il faut cependant noter qu’il est nécessaire, du fait de ce gain numérique important, d’adapter la position de sa sonde d’endo-illumination. Le niveau de lumière doit être optimisé en rapprochant et en éloignant la sonde de la rétine, en particulier pendant la chirurgie maculaire, cela afin d’éviter des phénomènes de saturation dans l’image.
Une plus grande distance de travail de la sonde d’endo-illumination augmentera donc le champ d’illumination sur la rétine mais réduira le niveau de lumière, ce qui sera compensé par un réglage du gain plus élevé.

Meilleure résolution de l’image

L’utilisation d’une caméra HD et d’un écran 3D-UHD offre la possibilité d’obtenir une résolution très élevée. Cela permet de travailler à fort grossissement, ce qui est d’autant plus aisé du fait du gain en stéréoscopie (cf. supra). Le système Ngenuity®, par exemple, utilise un écran 4k de 55 pouces de résolution totale 3 840 x 2 160 en affiche au format 3D, mais il faut garder à l’esprit que la résolution monoculaire est moitié moindre (1 920 x 1 080).
L’optimisation de la visualisation à un grossissement plus important exige que l’on prête attention à une mise au point optimisée en début de procédure.

Réalité augmentée ou améliorée 

L’utilisation d’un système de visualisation électronique offre, outre la possibilité de jouer sur la balance du gain et du contraste, la faculté d’utiliser des filtres numériques permettant d’appliquer des filtres couleurs à l’image. Ainsi les couleurs peuvent-elles être ajustées pour augmenter le contraste dans certaines situations. Par exemple l’utilisation d’un filtre jaune-orange rehausse la coloration obtenue par le bleu de Coomassie (Brilliant Blue), alors que la réduction du gain dans le spectre rouge améliore la visualisation du vitré. L’emploi d’un filtre permettant d’analyser l’image en niveau de gris accentue le contraste, en particulier sur des rétines avec une faible pigmentation de fond (ex : myopie forte) (figure 3) [7].
Par ailleurs, sur un écran 16:9, l’image circulaire générée par le fût du microscope laisse de l’espace sur les côtés. Cet espace permet par ailleurs d’incruster des informations complémentaires telles que des images numériques préopératoires (OCT, RNM, angiographie, etc.) (figure 1) et des données du dossier clinique du patient en plus des paramètres de vitrectomie habituellement visibles (pression d’infusion, vitesse de coupe, vide, débit, etc.).
Enfin, l’utilisation de microscopes équipés d’OCT (iOCT [intraoperative OCT]) permet d’incruster directement l’image OCT sur l’écran, ce qui offre une meilleure lisibilité des images et leur enregistrement combiné avec le fichier vidéo de la chirurgie (figure 4).

Enseignement et communication

Les écrans 3D-UHD permettent à toute l’équipe chirurgicale d’avoir exactement le même champ de vision que l’opérateur, avec la même profondeur de champ.
Cela est particulièrement utile dans le cadre de l’enseignement auprès des internes et des chirurgiens débutants, afin de bien comprendre où se situent les instruments dans les différents plans de l’espace lors des diverses étapes chirurgicales [8].
En outre, cette technologie trouve une place intéressante dans le cadre d’enseignements spécialisés pour permettre une diffusion plus rapide de techniques opératoires complexes.
Par ailleurs, à l’usage, le flux de patients pourrait être amélioré par une plus grande implication de l’équipe qui suit l’intervention en direct (panseuse, anesthésiste, etc.).
Enfin, les échanges avec les développeurs de nouveaux instruments peuvent bénéficier de la possibilité de voir en peropératoire leurs dispositifs afin de leur apporter des améliorations nécessaires à une meilleure efficience et ergonomie.

Conclusion

L’imagerie digitale 3D-UHD peropératoire de la rétine est probablement la modalité chirurgicale incontournable dans l’avenir. Même si ses performances actuelles déjà très intéressantes sont en partie bridées par certains freins techniques, son intérêt et ses potentialités seront sans nul doute encore améliorés dans le futur.
En effet, à l’heure de la multimodalité en imagerie dont bénéficie déjà l’imagerie rétinienne, la chirurgie rétinienne pourra bénéficier, par l’intermédiaire de ce type de plateformes, de la même multimodalité. L’écran devenant l’interface unique entre les chirurgiens, le patient et les divers instruments médicaux/chirurgicaux.

À retenir
• La chirurgie vitréo-rétinienne en ultra-haute définition offre une meilleure profondeur de champ et permet un fort grossissement, même au niveau de la macula, tout en conservant une très bonne résolution. Le champ opératoire utile est mieux contrôlé dans son ensemble.
• Des niveaux d’illumination plus faibles sont utilisables et réduisent les risques de photo-traumatisme.
• Ces dispositifs permettent un enseignement chirurgical plus aisé car tout le monde peut voir ce que le chirurgien voit.
• L’écran en UHD permet d’interfacer des données d’imagerie (iOCT) ainsi que des paramètres variés médicaux (RNM, dossier) et chirurgicaux (paramètres de chirurgie).

Références bibliographiques
[1] Charles S. Getting specific about 3-D visualization. Retina Today. 2017;nov-dec:48-9.
[2] Dhimitri KC, McGwin G, McNeal SF et al. Symptoms of musculoskeletal disorders in ophthalmologists. Am J Ophthalmol. 2005; 139(1):179-81.
[3] Kitzmann AS, Fethke NB, Baratz KH et al. A survey study of musculoskeletal disorders among eye care physicians compared with family medicine physicians. Ophthalmology. 2012;119(2):213-20.
[4] Pearce ZD, Zatkin MA, Bruner J. Musculoskeletal Disorders in ophthalmologists after simulated cataract operation: a pilot study. J Am Osteopath Assoc. 2017;117(12):749-54.
[5] Eckardt C, Paulo EB. Heads-up surgery for vitreoretinal procedures: an experimental and clinical study. Retina. 2016;36(1):137-47.
[6] Skinner CC, Riemann CD. “Heads up” digitally assisted surgical viewing for retinal detachment repair in a patient with severe kyphosis. Retin Cases Brief Rep. 2018;12(3):257-9.
[7] Palácios RM, Kayat KV, Morel C et al. Clinical study on the initial experiences of french vitreoretinal surgeons with heads-up surgery. Curr Eye Res. 2020;45(10):1265-72.
[8] Packer M. TrueVision 3D HD for teaching and training. Cataract & Refractive Surgery Today. 2011;11(3):41-2.

Auteurs

  • Frédéric Matonti

    Ophtalmologiste

    Centre Monticelli Paradis, Marseille ; Aix-Marseille université, CNRS, institut de neurosciences de la Timone, Marseille.

  • John Conrath

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

  • Bruno Morin

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

  • Christophe Morel

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

  • Rodolfo De Lima e Silva

    Ophtalmologiste

    Centre Monticelli Paradis, Marseille ; Departemento de Retina, Inst. Paulista de Estudos e Pesquisas em Oftalmologia, Sao Paulo

  • François Devin

    Ophtalmologiste

    Centre d’ophtalmologie Monticelli Paradis, Marseille

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