D’origine bactérienne, virale ou parasitaire, les uvéites peuvent altérer la vision, voire conduire à la cécité. Il est donc primordial d’établir précocement un diagnostic afin de mettre en place un traitement adapté.

Rétinochoroïdite toxoplasmique

La toxoplasmose oculaire représente la cause la plus fréquente d’uvéite postérieure et de cécité unilatérale. La présentation la plus fréquente est celle d’un foyer unilatéral, unique, associé à une hyalite, une inflammation granulomateuse de segment antérieur, volontiers hypertone (figure 1). Une vascularite rétinienne de nature veineuse, diffuse ou segmentaire, adjacente ou non au foyer rétinochoroïdien, ainsi qu’une artérite nodulaire (artérite de Kyrieleis) peuvent être associées.
La survenue d’une toxoplasmose oculaire peut correspondre à une infection acquise aiguë ou à la réactivation d’une infection acquise ancienne ou d’une d’infection congénitale.
Les formes les plus extensives sont retrouvées quand la primo-infection toxoplasmique survient après l’âge de 50 ans et chez les patients immunodéprimés.
Les anticorps sériques IgM et IgG contre T. gondii apparaissent 1 à 2 semaines après l’infection. Une sérologie non réactive IgG (c’est-à-dire négative) exclut le diagnos­tic de toxoplasmose oculaire chez un patient immuno­compétent [1].
La détection des anticorps spécifiques-Toxoplasma (Goldmann-Witmer coefficient [GWC] au moins égal ou supérieur à 3 ; le GWC compare les anticorps à Toxoplasma dans les liquides oculaires et le sérum) et la détection de l’ADN du parasite dans les liquides ­intra­oculaires par PCR sont également la base du diagnostic dans les cas difficiles.

 Traitements

Actuellement, le traitement classique de première intention de la toxoplasmose oculaire repose sur une trithérapie associant sulfadiazine + pyriméthamine ou azithromycine + pyriméthamine et des corticoïdes par voie systémique (tableau 1). Rothova et al. ont montré que ce traitement antitoxoplasmique, dit « traitement classique » par sulfadiazine + pyriméthamine permettait de réduire la taille de la lésion rétinienne chez les patients traités en comparaison des autres traitements testés et des sujets contrôles non traités (niveau de preuve III) [1]. La taille de la lésion était réduite de façon comparable au ­traitement par pyriméthamine et sulfadiazine avec le ­Bactrim® (ou triméthoprime associé au sulfaméthoxazole [160 à 800 mg, 2 fois par jour par voie orale]) et à une corticothérapie systémique [1].
Bosch-Driessen et al. ont réalisé une étude randomisée, prospective, comparant l’association pyriméthamine + sulfadiazine versus l’association pyriméthamine + azithromycine. Aucune différence en termes de bénéfice visuel, de réduction du score de hyalite, de taille de la lésion ou du nombre de récidives n’a été montré, mais les effets secondaires étaient plus fréquents dans le premier groupe. Le niveau de preuve de cette étude est bas [2].
D’après les données de la littérature, un traitement antitoxoplasmique est instauré lorsque l’inflammation intraoculaire associée présente les caractéristiques ­suivantes :
- lésions localisées à l’intérieur des arcades vasculaires ;
- lésions proches de la papille (en raison d’une menace pour le champ visuel) ;
- larges lésions supérieures à 2 diamètres papillaires pour diminuer les risques de perte visuelle ;
- rétinochoroïdites chez les patients immunodéprimés ;
- lésions responsables d’une hyalite dense (≥ 1+) afin de débuter un traitement corticoïde systémique ou toute inflammation intraoculaire nécessitant de débuter un traitement corticoïde systémique.
Un traitement corticoïde topique et des collyres mydriatiques sont utilisés en fonction du degré d’inflammation du segment antérieur, ainsi qu’un collyre hypotonisant si nécessaire.
La durée du traitement de la toxoplasmose est de 4 à 6 semaines en fonction de la taille de la lésion.

Alternatives au traitement de la toxoplasmose oculaire chez l’adulte
1) Clindamycine et sulfadiazine ;
2) atovaquone (750 mg 2 ou 3 fois par jour) ;
3) clindamycine (1 mg) et dexaméthasone (400 µg) intravitréens (toutes les 2 semaines si nécessaire) ou clindamycine en sous-conjonctival.

Traitement prophylactique
Un traitement préventif par triméthoprime (160 mg)/ sulfaméthoxazole (800 mg) à la dose d’un comprimé tous les 2 ou 3 jours s’est révélé efficace par rapport au ­placebo (niveau de preuve II). Il est préconisé en cas de ­récidives fréquentes (à partir de 2 poussées par an) [3].

Nécroses rétiniennes virales

Les critères de diagnostic des nécroses rétiniennes virales (ARN) ont été standardisés par l’American Uveitis Society :
- un ou plusieurs foyers de nécrose rétinienne à bordures nettes en rétine périphérique (figure 2) ;
- une progression de la maladie en l’absence de traitement antiviral ;
- une progression circonférentielle des lésions ;
- la présence d’une vasculopathie occlusive avec atteinte artérielle ;
- une réaction inflammatoire dans le segment antérieur ou dans la cavité vitréenne.
Les virus à rechercher devant un tableau d’ARN sont le varicella zoster virus (VZV), l’herpes simplex virus 1 et 2 (HSV1, HSV2) et, moins souvent, le cytomégalovirus (CMV) responsable de rétinite. Le VZV est l’agent causal le plus fréquent dans l’ARN syndrome, suivi par le HSV. Il faut rechercher des antécédents d’encéphalite herpétique.
Cette affection est très rare. L’ARN affecte les groupes de tous âges mais le HSV2 est identifié chez les patients jeunes et le VZV et le HSV1 chez les patients plus âgés.

Diagnostic

Une ponction de chambre antérieure (PCA) est systématiquement réalisée pour le diagnostic étiologique. Dans la littérature, les patients atteints d’une ARN ont un diagnostic étiologique positif par PCR dans près de 90% des cas. Devant une suspicion d’ARN, le traitement ne doit pas être retardé par l’attente des résultats de la PCR.

Traitement

Le traitement standard pour traiter l’ARN consiste en l’aciclovir intraveineux (IV) [10 mg/kg toutes les 8 heures] pendant 7 à 10 jours, suivi par de l’aciclovir oral (800 mg 5 fois par jour) pendant 2 à 4 semaines après le traitement initial. Le traitement par voie IV réduit le taux d’atteinte controlatérale. La durée du traitement oral d’entretien n’est pas standardisée, elle est d’au moins 6 semaines.
De plus, des injections intravitréennes de ganciclovir ou de foscarnet (1,2 à 2,4 mg/0,1 mL) sont utilisées comme thérapie adjuvante.
Il est à noter que l’ARN syndrome à CMV ne répond pas à l’aciclovir et requiert l’utilisation de ganciclovir ou de foscarnet par voie IV. Un traitement par valaciclovir oral (2 000 mg 3 fois par jour) a été montré récemment comme équivalent au traitement classique par voie IV et ­représen­te donc une alternative acceptable en adjonction ou non à un traitement additionnel antiviral en intravitréen [4].

Cas particulier du PORN

La responsabilité du VZV a été incriminée dans le cas du PORN (progressive outer retinal necrosis). Cette condition apparaît chez les patients profondément immunodéprimés. Les caractéristiques cliniques du PORN sont des lésions multifocales avec une atteinte rétinienne ­profonde incluant parfois des zones confluentes ; les lésions sont localisées en rétine périphérique, avec ou sans atteinte maculaire. La progression est extrêmement rapide et se présente classiquement par une inflammation ­oculaire minime ou absente.

Syphilis

L’atteinte oculaire de la syphilis est polymorphe, rarement observée au cours de la syphilis primaire, plus fréquente pendant les stades secondaire et tertiaire de la maladie. Elle peut atteindre toutes les structures de l’œil.
Classiquement, l’uvéite syphilitique est considérée être une neurosyphilis. L’uvéite est retrouvée chez 0,6 à 2% des patients atteints, chez 2 à 5% dans les cas de syphilis secondaires et chez 9% des patients avec co-infection syphilis et VIH.
La syphilis est réputée être la « grande simulatrice » et donc prend des aspects cliniques polymorphes : épisclérites, sclérites, kératites, uvéites antérieures, intermédiaires, postérieures et panuvéites (neurorétinites, névrites optiques, gommes iriennes ou du nerf optique, rétinites nécrosantes, vascularites rétiniennes, etc.). Une forme fréquente d’uvéite postérieure caractéristique de la syphilis oculaire est la choriorétinite postérieure placoïde, avec une inflammation de la rétine externe et de la choroïde interne (figure 3). Elle se présente sous la forme d’une zone circulaire discrète au pôle postérieur et par une interruption de la jonction IS/OS en OCT au diagnostic, s’accompagnant parfois d’un liquide sous-rétinien et d’un épaississement hyperréflectif de l’épithélium pigmentaire.
Le diagnostic de la syphilis oculaire dépend largement des tests sérologiques. Le traitement est celui de la ­neuro­syphilis, soit la pénicilline G 4-6 MU IV toutes les 4 heures pendant 2 semaines.

Tuberculose

La tuberculose (TB) oculaire se présente sous la forme d’uvéites postérieures et de panuvéites.
Certaines présentations sont fortement évocatrices de TB oculaire :
- l’uvéite antérieure granulomateuse chronique ou récidivante, avec des synéchies iridocristalliniennes à large base d’implantation ;
- la choroïdite multifocale serpigineuse tuberculeuse (figure 4). Au fond d’œil, on observe des lésions d’âges ­différents avec un aspect d’extension géographique et souvent une hyalite associée. Les lésions anciennes sont pigmentées, tandis que les lésions actives paraissent ­jaunâtres ;
- la vascularite rétinienne ischémique à prédominance veineuse (figure 5), qui se complique souvent de néovaisseaux prérétiniens. La présence d’une rétinite, associée ou non à une choroïdite, et de granulomes choroïdiens est fortement évocatrice de TB oculaire ;
- les granulomes choroïdiens, du nerf optique et les neuropathies optiques [5].
L’atteinte oculaire est principalement due à une réactivation de Mycobacterium tuberculosis (MT) favorisée par une altération du système immunitaire. L’inflammation choroïdienne est probablement secondaire à une réaction d’hypersensibilité croisée du système immunitaire vis-à-vis des antigènes de l’épithélium pigmentaire choroïdien ou rétinien.
L’infection est souvent paucibacillaire, les prélèvements à visée bactériologique ont un faible rendement. Il convient, devant une suspicion de TB respiratoire, de rechercher des bacilles alcoolorésistants (BAAR) à ­l’examen microscopique et à la culture (de prélèvements d’expectoration spontanée) ou sur le contenu gastrique prélevé par tubage gastrique soit par expectoration induite ± aspiration des sécrétions bronchiques.
Dans de rares cas, l’atteinte oculaire est liée à une ­dissémination hématogène de MT via les vaisseaux ­choroïdiens, souvent associée à un tableau de miliaire pulmonaire.
Les autres examens diagnostics sont l’IDR à la tuberculine dont la sensibilité chez l’adulte est de 70% (49 à 90%).
Les tests IGRA (Interferon Gamma Release Assay) : QuantiFeron®-TB Gold IT et T-Spot® TB, dont le résultat ne permet pas de différencier l’infection tuberculeuse latente de la TB maladie, ni de définir l’ancienneté de l’infection, sont maintenant très utilisés dans cette indication. Certaines équipes recommandent l’association IDR tuberculine et IGRA pour le test diagnostic des uvéites associées à la TB.
Aucun protocole de traitement ou durée de traitement n’est standardisé dans les uvéites tuberculeuses. Selon les recommandations américaines des Centers for Disease Control and Prevention, une quadrithérapie (isoniazide, rifampicine, éthambutol et pyrazinamide) est prescrite pendant 8 semaines initialement, suivie par une bithérapie (rifampicine et isoniazide) pendant au moins 18 semai­nes [6]. L’utilisation des corticoïdes oraux chez les patients ayant une TB présumée a été reconnue comme bénéfique dans plusieurs études.

Références bibliographiques

[1] Rothova A, Meenken C, Buitenhuis HJ et al. Therapy for ocular ­toxo­plasmosis. Am J Ophthalmol. 1993;115(4):517-23.
[2] Bosch-Driessen LH, Verbraak FD, Suttorp-Schulten MS et al. A prospective, randomized trial of pyrimethamine and azithromycin vs pyrimethamine and sulfadiazine for the treatment of ocular toxoplasmosis. Am J Ophthalmol. 2002;134(1):34-40.
[3] Silveira C, Muccioli C, Nussenblatt R, Belfort R Jr. The effect of long-term intermittent trimethoprim/sulfamethoxazole treatment on recurrences of toxoplasmic retinochoroiditis: 10 years of follow-up. Ocul Immunol Inflamm. 2015;23(3):246-7.
[4] Baltinas J, Lightman S, Tomkins-Netzer O. Comparing treatment of acute retinal necrosis with either oral valacyclovir or intravenous acyclovir. Am J Ophthalmol. 2018;188:173-80.
[5] Gupta A, Sharma A, Bansal R, Sharma K. Classification of intra­ocular tuberculosis. Ocul Immunol Inflamm. 2015;23(1):7-13.
[6] Targeted tuberculin testing and treatment of latent tuberculosis infection. This official statement of the American Thoracic Society was adopted by the ATS Board of Directors, July 1999. This is a Joint Statement of the American Thoracic Society (ATS) and the Centers for Disease Control and Prevention (CDC). This statement was endorsed by the Council of the Infectious Diseases Society of America. (IDSA), September 1999, and the sections of this statement. Am J Respir Crit Care Med. 2000;161(4 Pt 2), S221-47.

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