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Tumeurs rétiniennes vasoprolifératives associées aux uvéites

Peu de publications détaillent les caractéristiques des tumeurs rétiniennes vasoprolifératives associées aux uvéites. Ces lésions, différentes des hémangiomes rétiniens de la maladie de von Hippel-Lindau, sont rares, bénignes, et parfois difficiles à visualiser cliniquement. Idiopathiques dans 74 à 80% des cas, elles peuvent aussi être secondaires à d’autres pathologies ophtalmologiques. Le traitement implique la prise en charge étiologique de l’uvéite et celle, spécifique, des lésions vasoprolifératives.

Les tumeurs rétiniennes vasoprolifératives (TRVP) ont été décrites pour la première fois en 1983 par Schields et al. qui ont rapporté une série de 12 cas. Ils les ont appelées « presumed acquired nonfamilial retinal hemangioma » [1]. Plusieurs autres appellations ont été proposées, en particulier le terme de « masse télangiectasique périphérique ». En 1995, ces lésions ont été renommées « vasoproliferative tumor of the fundus », que l’on peut traduire par tumeur rétinienne vasoproliférative. C’est le terme actuellement utilisé pour les décrire [2].
Bénignes et rares, elles sont caractérisées par l’association d’une masse solide fibreuse à des télangiectasies de la vascularisation rétinienne périphérique, et une ­exsudation intrarétinienne [2]. Cliniquement, les TRVP corres­pondent à des lésions jaune-orangé à bords mal limités, avec une artère rétinienne nourricière moyennement dilatée et des veines de drainage. Les pathologies oculaires sous-jacentes les plus fréquentes sont les rétinites pigmentaires et les uvéites [3].

Cas pratique

Nous rapportons ici le cas d’un patient de 29 ans, suivi depuis l’âge de 5 ans en raison d’une uvéite intermédiaire bilatérale idiopathique, compliquée de TRVP. Le jeune homme est traité par corticothérapie orale depuis le début de la maladie, soit depuis vingt-quatre ans, associée à un traitement par interféron pendant 8 ans qui a été mal toléré.
L’uvéite a été compliquée de décollements de rétine ­opérés par cryo-indentation à droite et à gauche. Devant l’apparition d’une ostéopénie due à la corticothérapie ­prolongée à des doses non négligeables (30 mg/j), une décroissance des corticoïdes a été initiée et un traitement immunosuppresseur par azathoprine (Imurel®) mis en place.
Le mycophenolate mofetil (Cellcept®), dont l’efficacité a été démontrée dans le cas d’uvéites intermédiaires récalcitrantes [4], est contre-indiqué chez ce patient en âge de procréer. Rappelons les recommandations récentes de l’ANSM concernant la prescription de ce traitement : « Étant donné le potentiel génotoxique du mycophénolate, il est recommandé aux hommes de ne pas concevoir d’enfant pendant le traitement et au moins 90 jours après l’arrêt du traitement » (ANSM mars 2016). La diminution progressive, mais franche, de la ­cortico­thérapie (de 30 mg/j en mars 2018 à 10 mg/j en septembre 2018) s’est malheureusement soldée par une récidive inflammatoire responsable d’une baisse d’acuité visuelle de l’œil gauche à 2/10 et d’une augmentation de l’exsudation des TRVP (figures 1 et 2). La recrudescence inflammatoire et le myosis favorisé par l’uvéite chez ce patient ont rendu un traitement par laser à la lampe à fente impossible. Une vitrectomie est donc réalisée afin de ­photo­coaguler ab interno les lésions à l’endolaser.
La chirurgie a été encadrée par un traitement anti-inflammatoire adapté. Elle a permis de lever les synéchies antérieures qui gênaient la visualisation du fond d’œil et de traiter par photocoagulation laser les TRVP.
Deux mois après la chirurgie, l’acuité visuelle s’est améliorée à 9/10 au niveau de cet œil et on a constaté le blanchiment des anomalies vasculaires périphériques (figure 1D). À droite, il a été possible de photocoaguler les anomalies vasculaires à la lampe à fente.
Cette prise en charge a permis de réaliser une épargne cortisonique grâce à l’introduction des immunosuppresseurs. Les anomalies vasculaires rétiniennes ont, quant à elles, pu être contrôlées par le laser.

Critères diagnostiques de l’uvéite intermédiaire

Le diagnostic d’uvéite intermédiaire repose sur les ­critères SUN [5], qui définissent une inflammation principalement localisée au vitré, à la périphérie rétinienne et au corps ciliaire. Y sont associées des vascularites rétiniennes impliquant principalement les veines rétiniennes. L’uvéite intermédiaire peut menacer la vision et affecte des sujets plutôt jeunes. Elle peut être secondaire à des infections (tuberculose, lèpre, maladie de Lyme, syphilis, toxocara, Whipple, etc.), avec une importante variation selon des critères géographiques et culturels ; ou bien à des maladies systémiques (sclérose en plaques, sarcoïdose, etc.). Les autres cas sont considérés comme idiopathiques. La prévalence des uvéites d’origine inexpliquée, dites uvéites idiopathiques, est de 23 à 44% [5].

Complications de l’uvéite intermédiaire

Dans une série récente (159 patients) [7], 62% des patients souffrant d’une uvéite intermédiaire présentaient au moins une complication, l’œdème maculaire étant la plus fréquente (36,5%). Environ un quart des patients présentaient une cataracte ; 19%, une membrane épirétinienne ; 5%, un décollement de rétine, et 7%, un glaucome. Les TVRP n’étaient pas une complication rapportée. De la même façon, les rétinoschisis qui peuvent compliquer une uvéite intermédiaire ne sont pas décrits dans cette série. Peu d’études ont rapporté l’association des uvéites et les modifications rétiniennes périphériques, en dehors de la série récente de Pichi [8], concernant les rétinoschisis, et la série plus ancienne de Pollack [9].
Pollack et al. décrivaient 10 cas de rétinoschisis et/ou de décollements de rétine exsudatifs dans 13 yeux présentant une uvéite intermédiaire. L’histoire naturelle de ces lésions débuterait avec un engainement des veines rétiniennes périphériques, associé à des snowballs et des exsudats. Enfin, une néovascularisation antérieure favoriserait la survenue de vaisseaux télangiectasiques et ­parfois de néovaisseaux, voire la formation de TVRP. Pour Pollack et al. [9], le rétinoschisis et le décollement de rétine exsudatif seraient les conséquences d’une inflammation chronique et ancienne causée par la pars planite chez ces patients. L’inflammation résulte en effet de réactions cellulaires complexes impliquant des modifications vasculaires, et notamment des télangiectasies ou des néovaisseaux.
L’inflammation et l’ischémie rétinienne périphérique à des degrés variables induisent un degré correspondant d’angiogenèse et de néovascularisation, allant de la néovascularisation de la base du vitré à la formation de TVRP.
L’amélioration des techniques d’imagerie, et notamment l’imagerie ultra grand champ, a permis à Pichi et al. de mettre en évidence les diffusions angiographiques en périphérie rétinienne [8]. Les auteurs suggèrent que les anomalies rétiniennes périphériques secondaires aux uvéi­tes intermédiaires résultent d’un phénomène ­complexe associant des modifications vasculaires (diffusions périphériques et ischémie) et une composante vitréo-rétinienne tractionnelle favorisée par l’inflammation. Ainsi, la détection d’anomalies rétiniennes périphériques, comme un rétinoschisis chez les patients présentant une uvéite intermédiaire active (avec des diffusions en angiographie à la fluorescéine), suggère la nécessité d’un traitement systémique intensif même en cas de conservation d’une bonne acuité visuelle.

Traitement des TRVP

Le traitement des TRVP repose sur la photocoagulation au laser des anomalies vasculaires périphériques. Son efficacité a été bien démontrée par Krivosic et al. [10]. Quelle que soit l’étiologie, ces TRVP peuvent conduire à une perte visuelle sévère et à des complications oculaires graves, tels un décollement de rétine exsudatif ou un glaucome néovasculaire. Plusieurs traitements de ces lésions ont été proposés, comme la cryoapplication, la ­thérapie photodynamique, la radiothérapie, le laser et la chirurgie. L’avantage du laser sur la cryoapplication est l’éradication précise des télangiectasies. Dans le cas d’une exsudation ou d’un œdème maculaire, la photocoagulation des télangiectasies permet la régression du fluide sous-rétinien ou de l’œdème.
Si on utilise le laser à la lampe à fente, plusieurs séances sont parfois nécessaires afin de traiter entièrement les lésions. Le laser périphérique endoculaire permet de traiter les lésions en une séance. Cette procédure nécessite un système de visualisation de la rétine adapté (grand champ), une indentation sclérale et un laser éclairant afin de bien visualiser ces lésions périphériques.
La physiopathologie des TRVP n’est pas tout à fait ­élucidée. On ne sait pas si c’est la masse elle-même, ou seulement les vaisseaux télangiectasiques à sa surface, qui sont responsables de l’exsudation. La plupart des auteurs décrivent une lésion composée essentiellement de cellules gliales et de vaisseaux ectasiques en surface, mais il semble que les vaisseaux soient à l’origine de cette exsudation puisque le traitement sélectif de ces télangiectasies au laser permet la régression de l’exsudation.
Ce cas rare illustre la prise en charge des tumeurs vasoprolifératives secondaires aux uvéites – dont le suivi est largement facilité par la réalisation d’imageries ultra grand champ – et l’importance d’une prise en charge alliant internistes et rétinologues.

Références bibliographiques
[1] Shields JA, Decker WL, Sanborn GE et al. Presumed acquired retinal hemangiomas. Ophthalmology. 1983;90(11):1292-300.
[2] Shields CL, Kaliki S, Al-Dahmash S et al. Retinal vasoproliferative tumors: comparative clinical features of primary vs secondary tumors in 334 cases. JAMA Ophthalmol. 2013;131(3):328-34.
[3] Ali S, Kharel Sitaula R, Biswas J. Efficacy and Safety of Mycophe­nolate Mofetil in the Treatment of Recalcitrant Intermediate Uveitis. Ocul Immunol Inflamm. 2018:1-7. doi: 10.1080/09273948.2018. 1453524.
[4] Jabs DA, Nussenblatt RB, Rosenbaum JT; Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN) Working Group. Standardization of uveitis nomenclature for reporting clinical data. Results of the First Inter­national Workshop. Am J Ophthalmol. 2005;140(3):509-16.
[5] Abad S, Sève P, Dhote R, Brézin AP. [Guidelines for the management of uveitis in internal medicine]. Rev Med Interne. 2009;30(6): 492-500.
[6] Ness T, Boehringer D, Heinzelmann S. Intermediate uveitis: pattern of etiology, complications, treatment and outcome in a tertiary academic center. Orphanet J Rare Dis. 2017;12(1):81.
[7] Pichi F, Srivastava SK, Nucci P et al. Peripheral Retinoschisis in Intermediate Uveitis. Retina (Philadelphia, Pa). 2017;37(11):2167-74.
[8] Pollack AL, McDonald HR, Johnson RN et al. Peripheral Retino­schisis and Exudative Retinal Detachment in Pars Planitis. Retina. 2002;22(6):719-24.
[9] Krivosic V, Massin P, Desjardins L et al. Management of idiopathic retinal vasoproliferative tumors by slit-lamp laser or endolaser photocoagulation. Am J Ophthalmol. 2014;158(1):154-61.e1.

Auteurs

  • Sophie Bonnin

    Ophtalmologiste

    Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Hôpital Lariboisière, Paris

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