Téléconsultation pour les maladies rétiniennes : réalité ou fiction ?

La densité médicale hétérogène – une densité souvent suffisante dans les espaces urbains des métropoles et une configuration désertique dans les zones rurales – a donné le ton à un développement de la téléconsultation. En effet, le recours à une expertise médicale spécialisée sans avoir à déplacer le médecin ni le malade est une solution tentante pour répondre à cette problématique de répartition spatiale antagonique de l’offre et de la demande. La crise sanitaire de la Covid a précipité l’intérêt pour le développement des actes médicaux à distance, en un temps de confinement où déplacer un malade correspond à un surrisque de contamination. La prise en charge des pathologies rétiniennes, qui concernent beaucoup de personnes âgées fragiles (DMLA) ou ayant des pathologies chroniques fragilisantes (diabète, hypertension artérielle), est un des champs d’application possibles et prioritaires de la téléconsultation.

L’histoire de la télémédecine est parallèle à l’histoire du développement technologique des moyens d’imager et de numériser l’examen clinique. La première photographie d’une rétine date de 1886 (par Jackman et Webster), soit plus de 40 ans après le début de la photographie. Depuis se sont développés les moyens d’imager mais surtout de numériser, d’enregistrer et de transmettre ces images. Et l’avènement de l’OCT est venu parfaire la possibilité d’une imagerie quasi histologique, non invasive, in vivo, d’emblée numérique.

Une avancée liée à la performance des technologies d’imagerie rétinienne

La performance des rétinographes s’est développée en qualité d’image, en rendu chromatique, en rapidité, en largeur de champ. Ainsi, en support à un examen clinique performant par verre contact ou non contact, nous pouvons aujourd’hui utiliser des technologies dont chacune présente des avantages.

Principaux appareils de rétinophotographie
Il existe un grand nombre de rétinographes non mydriatiques qui permettent l’analyse précise du pôle postérieur avec une image de la papille optique, de l’aire maculaire et des vaisseaux rétiniens. Néanmoins, une des avancées récentes est le développement d’appareils rétinographes à plus grand champ, qui permettent d’aller jusqu’à l’équateur, voire jusqu’à l’ora serrata, avec des avantages respectifs :
- l’Optomap® (société Optos), qui offre le plus grand champ de vision de la périphérie (200° sur une seule image et 220° via le software de montage intégré) ;
- le Clarus® (société Zeiss), qui offre les meilleurs teintes chromatiques (4 sources : bleue, rouge, verte et infrarouge) ;
- le Mirante® (société Nidek), qui comporte un OCT intégré.

OCT
L’avènement de l’OCT, initialement time domain, puis depuis spectral domain et swept source, a révolutionné l’imagerie rétinienne en ce que les pathologies maculaires sont désormais analysées dans le cadre des différentes couches de la rétine et de la choroïde (et bientôt de la sclère ?), recomposées en B-scan à partir de multiples A-scan, et non plus sur le simple aspect du fond d’œil.

Cadre légal de collaboration

Grandes lois de la télémédecine
Le système de santé français donne le droit aux médecins de réaliser des téléconsultations pour des actes bien précis définis dans l’article R-6316-1 du code de la santé publique, avec des règles spécifiques bien résumées par la Haute Autorité de santé en mai 2019. Il existe un financement par la CPAM des actes de téléconsultation avec des cotations propres à ce circuit.

Quid des spécificités ophtalmologiques ?
L’ophtalmologie a la particularité d’avoir désormais une collaboration privilégiée avec les orthoptistes pour la réalisation des examens complémentaires (et notamment les rétinographies) : décret 2016-1670 du 5 décembre 2016 concernant la délégation des tâches aux orthoptistes.
Cette collaboration est un terrain fertile au développement de la téléconsultation en ce que les moyens d’imagerie, les exécutants de l’imagerie et les médecins qui les interprètent peuvent désormais être spatialement déconnectés, au prix d’un transfert optimal des données en termes de vitesse, de qualité, de sécurité et de secret médical.

Quelques exemples de pathologies rétiniennes

Dépistage : la rétinopathie diabétique
Le diabète nécessite, dans la majorité des cas, un fond d’œil annuel de dépistage de la rétinopathie diabétique dont la simplicité de réalisation et la disponibilité conditionnent largement l’adhérence du patient, avec des bénéfices en termes de morbidité, par des dépistages plus précoces, accessibles à un traitement préventif. La téléconsultation permet, dans ce cadre, d’organiser des circuits de dépistage délocalisés dans les services de diabétologie, dans les centres de santé, avec une efficacité équivalente et un coût acceptable [1]. Le réseau OPHDIAT a permis la mise en place de rétinographes dans de nombreux services de médecine et de diabétologie d’Île-de-France. Les images sont lues à distance par un rétinologue dont le compte rendu est envoyé dans les 72 heures. Cela facilite le dépistage des patients diabétiques ayant une rétinopathie absente ou minime.

Suivi : la DMLA
Les patients suivis pour une DMLA nécessitent des OCT maculaires à la recherche de signes d’activité de la maladie, à fréquence parfois mensuelle et sur un mode standardisé qui permet le développement de la télé consultation. Les premiers résultats de prise en charge de ces patients en télémédecine sont plus qu’encourageants. Récemment, une étude rétrospective de 200 consultations de télémédecine a été réalisée aux États-Unis chez 59 patients suivis pour une DMLA néovasculaire [2]. En moyenne, 3 consultations de télémédecine sur une période de 2 ans ont été réalisées ; seules 7% de ces consultations n’ont pas répondu aux recommandations des rétinologues référents. L’acuité visuelle est restée stable tout au long de la période d’étude et aucun patient n’a été perdu de vue. Le recours aux téléconsultations a permis d’éviter aux patients des déplacements importants pour se rendre aux rendez-vous et de maintenir un régime de traitement efficace. La principale raison de la non-conformité était les erreurs de planification de rendez-vous d’injection (8% des cas).

En pratique

Les circuits de téléconsultation en rétine sont déjà largement en cours d’évaluation et certains (comme mentionné plus haut pour le dépistage de la rétinopathie diabétique) fonctionnent déjà.
Il s’agit désormais d’évaluer les risques d’erreurs liés à la téléconsultation, le ressenti des patients, le rapport coût/efficacité des circuits pour réfléchir à les généraliser ou au moins à les valider.

Perspectives

Technologiques via les procédés d’imagerie
La téléconsultation a bénéficié des avancées en termes d’imagerie et la qualité des rétinographes et des OCT rendra l’indication formelle à un examen clinique peut-être superflue à moyen ou à long terme.
La performance des appareils photos sur les smartphones de dernière génération rend possible une imagerie rétinienne de bonne qualité au prix d’une lentille à adapter dessus. Cela laisse présager la possibilité d’avoir dans la poche un outil démocratisé d’analyse de la rétine, avec ses inconvénients mais aussi ses avantages, notamment concernant l’accès à des dépistages de masse.

Technologiques via les possibilités de transferts de données
La qualité des imageries implique des données de plus en plus lourdes, donc plus difficiles à stocker mais aussi à partager (point sensible en téléconsultation). Si certains appareils utilisent un serveur en ligne, d’autres choisissent des viewers en réseau. Ces options sont tributaires d’un flux de données important que le développement, notamment de la 5G, contribuera à favoriser.

Législatives
La tendance générale actuelle est à la délégation, des médecins vers les professionnels paramédicaux, des tâches qui peuvent l’être. Si les orthoptistes peuvent actuellement effectuer une rétinographie, ils ne peuvent ni prescrire d’examens complémentaires ni réaliser de dépistage généralisé des maculopathies par OCT. Ce cadre légal semble pour le moment assez fermé mais les possibilités de collaboration entre orthoptistes et ophtalmologistes pourraient évoluer dans ce sens.
Dans tous les cas, les données médicales sont hautement sensibles car elles sont soumises au secret médical et leur sécurité doit être assurée par le médecin.
La valeur importante des données d’imagerie – notamment parce qu’elles constituent les databases qui améliorent les algorithmes d’intelligence artificielle développés par l’industrie – les rend particulièrement sensibles.

Limites de la téléconsultation en rétine

Cas pour lesquels c’est impossible
La téléconsultation nécessite une imagerie facile. Elle sera probablement plus complexe à mettre en place en pédiatrie, où les examens d’enfants en bas âge nécessitent parfois l’intervention de plusieurs praticiens. Cependant le dépistage de la rétinopathie des prématurés par Retcam utilise déjà la téléexpertise d’un spécialiste ophtalmo-pédiatre.
L’examen de l’extrême périphérie rétinienne est également complexe. Malgré le champ toujours plus large, il semble encore illusoire de garantir un tel examen sans vérifications par un verre contact.
En ce qui concerne les patients avec des troubles de la compréhension, ou des patients dépendants, il est pour le moment plus facile d’imaginer qu’ils resteront dans un circuit de consultation présentiel.

Erreurs liées à la téléconsultation
Les premiers résultats des études évaluant la téléconsultation sont plus que rassurants quant aux risques. Il convient néanmoins d’être extrêmement attentif aux problématiques d’identito-vigilance, qui sont décuplées. Par ailleurs, la possibilité de réduire le temps non médical (lié aux contraintes administratives et d’installation des patients) permet d’augmenter potentiellement les cadences de consultation. Il faudra veiller à ce que l’augmentation du débit des tâches réalisées n’entraîne pas d’erreurs d’attention.

Conclusion

La téléconsultation en rétine est un circuit en voie de développement qui ouvre des perspectives intéressantes pour résoudre des problèmes démographiques en ophtal mologie. Il s’agit d’accompagner cette mutation en donnant toujours la priorité à l’intérêt du patient, afin de faire d’un modèle médical performant un atout pour l’offre de soins en rétine en France et dans le monde.

Références bibliographiques
[1] Li Z, Wu C, Olayiwola JN et al. Telemedicine-based digital retinal imaging vs standard ophthalmologic evaluation for the assessment of diabetic retinopathy. Conn Med. 2012;76(2):85-90.
[2] Starr MR, Barkmeier AJ, Engman SJ et al. Telemedicine in the management of exudative age-related macular degeneration within an integrated health care system. Am J Ophthalmol. 2019;208:206-10.

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