Rosacée oculo-cutanée

La rosacée est une pathologie cutanée et oculaire très fréquente, souvent considérée comme banale. C’est une grande pourvoyeuse d’irritation oculaire par dysfonctionnement meibomien (DGM). Elle se différencie d’un DGM banal par l’irritation, qui va entraîner des manifestations cliniques allant de la simple rougeur oculaire et palpébrale jusqu’aux redoutables formes inflammatoires cornéennes pouvant mettre en jeu le pronostic visuel.

Terrain

La rosacée est une maladie très fréquente, avec une prévalence plus importante dans les pays du nord alors qu’elle est rare chez le mélanoderme. Rare chez l’enfant, elle apparaît vers la quarantaine.
Dans la rosacée cutanée, la fréquence d’une atteinte oculaire est très variable selon les études, allant de 3 à 58% des cas. Une atteinte oculaire peut être isolée ou précéder une atteinte cutanée dans 25% des cas, ce qui peut rendre plus difficile le diagnostic pour le dermatologue.
La chaleur, l’émotion et l’ingestion de certains aliments comme les épices, les aliments acides, l’alcool, le thé, le café, favorisent les poussées cutanées.
La prise d’acide isotrétinoïque ou de rétinoïdes en général aggrave le dysfonctionnement meibomien. Leur effet peut perdurer même après l’arrêt en raison de l’atrophie meibomienne parfois définitive.

Physiopathogénie

Dans la rosacée cutanée, on incrimine un défaut de perméabilité de la veine angulaire, mais aussi une dysfonction des peptides antimicrobiens et une surinfection par demodex.
Sur le plan oculaire, le dysfonctionnement meibomien semble être l’altération primitive dans la rosacée. Au cours de la rosacée, le meibum est trop visqueux et stagne dans les glandes, ce qui a plusieurs conséquences :
- une sécheresse oculaire qualitative par hyperévaporation des larmes ;
- un enkystement des glandes de Meibomius, avec parfois une inflammation aiguë sous forme de chalazion ;
- une dénaturation physico-chimique du meibum primitive aggravée par une prolifération bactérienne, source d’inflammation du bord libre et de la conjonctive. On note en particulier une augmentation des acides gras libres et des peroxydes d’acides gras ;
- la prolifération de bactéries comme les staphylocoques et Propionibacterium acnes qui entraînent des réactions infectieuses (orgelet), toxiniques (hyperhémie) ou immunologiques (conjonctivite phlycténulaire, kératite inflammatoire catarrhale, sclérite) au niveau de la conjonctive et de la cornée ;
- la prolifération de demodex dont la pathogénicité oculaire n’est pas claire.

Clinique

Atteinte cutanée
Elle touche le visage. On distingue 4 stades :
- les bouffées vasomotrices du visage, favorisées par les émotions, la chaleur, l’alcool, les aliments acides, le thé, le café…
- l’érythrose permanente liée à une couperose avec la présence de télangiectasies situées sur les joues, le nez, le front, le menton, la région péri-orale ;
- l’éruption papulo-pustuleuse, qui peut faire penser à une acné vulgaire, sauf qu’il n’y a ni comédons ni points noirs (figure 1) ;
- le rhinophyma, un stade tardif, lié à une hypertrophie des glandes sébacées. Il se manifeste par une hypertrophie du nez, qui peut apparaître en forme de chou-fleur.

Figure 1. Rosacée cutanée, forme papulo-pustuleuse.

Atteinte oculaire
Symptômes
Ce sont avant tout ceux de la sécheresse oculaire évaporative : sensation oculaire de sécheresse, de corps étranger, de brûlure, de picotements avec parfois un larmoiement paradoxal au vent ou au froid. Une sensibilité particulière à l’environnement (climatisation, pollution, fumée…) est souvent notée.
Un prurit ou des sensations de brûlure du bord libre palpébral est fréquent.
Une rougeur oculaire ou palpébrale est souvent rapportée par les patients.
Dans les formes sévères avec atteinte cornéenne, une photophobie, des douleurs oculaires et une baisse d’acuité visuelle peuvent être présentes.
Des antécédents de chalazions ou d’orgelets sont importants à rechercher.

Signes cliniques
Le bord libre palpébral est souvent inflammatoire, hyperhémique et œdémateux, siège de télangiectasies et de bouchons obstruant les méats des glandes de Meibomius. Le meibum est le plus souvent visqueux et blanchâtre, mais il peut avoir un aspect tout à fait normal.
La présence de croûtes à la base des cils est liée à une surinfection staphylococcique, mais doit faire rechercher la présence de demodex si les croûtes ont un aspect en collerette ou en cylindre engainant le cil.
Les conjonctives bulbaire et palpébrale peuvent être hyperhémiques, avec présence de papilles et de follicules au niveau tarsal.
Une instabilité lacrymale est classique, avec un temps de rupture des larmes inférieur à 10 secondes.
Au niveau cornéen, l’atteinte est de siège inférieur, avec le plus souvent une kératite ponctuée banale. On peut également noter un pannus néovasculaire en pinceau inférieur, très évocateur du diagnostic (figure 2).

Complications
Au niveau de la paupière, le chalazion est une complication quasi pathognomonique de rosacée. C’est un granulome inflammatoire aigu d’une glande de Meibomius. Il se manifeste par une tuméfaction inflammatoire nodulaire profonde de la paupière, douloureuse. L’orgelet est plus rare, c’est un furoncle du cil qui apparaît sous la forme d’un point blanc à la base du cil.
De façon chronique, il peut exister une perte progressive des cils, ou un trichiasis.
Au niveau de la conjonctive, une fibrose conjonctivale chronique avec des symblépharons peut passer pour une pemphigoïde des muqueuses dont la rosacée est le principal diagnostic différentiel.
La sclérite et l’épisclérite sont des complications rares mais classiques.
La kératoconjonctivite phlycténulaire est une forme immunologique particulière peu fréquente mais mal connue et sous-diagnostiquée. Elle touche surtout les enfants (rosacée de l’enfant) et l’adulte jeune. Elle se caractérise par des poussées d’œil rouge, souvent unilatérales chez l’enfant et bilatérales chez l’adulte. La photophobie est classique et signe l’atteinte cornéenne. On retrouve presque toujours des chalazions dans le passé. L’atteinte cutanée est en revanche souvent discrète chez l’enfant. Le signe pathognomonique est la présence chronique de phlycténules conjonctivales bulbaires, limbiques, voire cornéennes, sous forme de petites élevures transparentes en tête d’épingle (figure 3). Elles sont mieux objectivées par la fluorescéine qui est repoussée par leur relief (effet pull out). La cornée est le siège d’une kératite ponctuée superficielle chronique parfois majeure, qui s’accompagne de micronodules inflammatoires épithéliaux punctiformes pouvant passer pour une kératite de Thygeson. Ces nodules cicatrisent sous la forme de petites opacités cornéennes caractéristiques, de siège plutôt inférieur. Une néovascularisation cornéenne périphérique inférieure est très classique. Des infiltrats catarrhaux aigus peuvent également survenir (cf infra), laissant des cicatrices (figure 4) parfois responsables d’une baisse visuelle par opacité, d’un astigmatisme irrégulier ou d’une amblyopie.
Les infiltrats catarrhaux sont une complication cornéenne redoutable car très aiguë et imprévisible. Ils prennent l’aspect de pseudo-abcès cornéens périphériques inférieurs, arrondis ou ovales, avec un intervalle sain par rapport au limbe (figure 5). Ils s’ulcèrent ensuite, pouvant rarement évoluer vers la perforation. Spontanément ou sous traitement, ils cicatrisent sous la forme de taies opaques (figure 4), amincies et finement néovascularisées. La présence de cicatrices est d’une grande aide pour le diagnostic différentiel avec des abcès infectieux.
Les atteintes inflammatoires chroniques sévères peuvent se compliquer d’une insuffisance en cellules souches sévère, avec une néovascularisation périphérique progressive.
Enfin, la cornée périphérique peut être le siège de différentes formes d’atteinte chronique de la membrane basale ou du stroma antérieur : pseudo-dystrophie de Cogan, pseudo-dégénérescence de Terrien, pseudo-ulcère de Mooren, pseudo-ptérygoïdes.

Traitements

Le traitement de l’atteinte cutanée repose surtout sur les antibiotiques oraux anti-inflammatoires : cyclines, azithromycine, métronidazole. Localement, on utilise les antibiotiques comme le métronidazole et l’acide azélaïque. L’ivermectine est aussi utilisée en topique dans les formes papulo-pustuleuses.
Le laser ou l’IPL (intense light therapy) sont utilisés pour traiter la couperose.
Le traitement oculaire est le même que dans les dysfonctionnements meibomiens (cf article de Christophe Baudouin : Les dysfonctionnements meibomiens revisités : soins d’hygiène des paupières, larmes artificielles, antibiotiques locaux (azithromycine, acide fucidique) ou oraux (comme dans l’atteinte cutanée).
Dans le cas d’infiltrats catarrhaux, une corticothérapie locale intensive est indispensable jusqu’à la cicatrisation. Face à des récidives trop fréquentes, la ciclosporine en collyre à 0,5-2% est indiquée.
Dans les kératoconjonctivites phlycténulaires, on associe soins des paupières à antibiothérapie ou ciclosporine collyre à 0,5-2% pendant au moins 6 mois. Chez l’enfant, les traitements topiques en collyres sont suffisants, l’antibiothérapie orale n’est jamais nécessaire. Nous utilisons dans ce cas le schéma suivant : en l’absence de menace cornéenne centrale : azithromycine collyre 3 jours tous les 10 jours pendant 2 mois, puis 3 jours tous les 15 jours pendant 2 mois, puis 3 jours par mois pendant 2 mois, puis arrêt. Si on constate un échec à 1 mois ou une forme sévère : ciclosporine collyre 2% 4 gouttes par jour initialement, avec diminution progressive sur 6 mois.
Dans le cas de chalazions, une pommade antibiocorticoïde est prescrite pendant 1 semaine, associée à des cataplasmes chauds avec massage. Certains proposent une injection de corticoïde dans le chalazion. La chirurgie est discutée plutôt une fois la phase aiguë passée, dans le cas d’un enkystement. Face à des récidives fréquentes, une antibiothérapie locale ou orale par azithromycine ou cyclines est souvent efficace.

Conclusion

La rosacée est une maladie fréquente, mais avec un spectre très large d’atteintes oculaires et des complications cornéennes parfois sévères. Certaines formes comme les infiltrats catarrhaux et les kératoconjonctivites phlycténulaires sont très trompeuses. Les différents traitements que sont les soins palpébraux, les antibiotiques, les corticoïdes et la ciclosporine doivent être utilisés en fonction des situations cliniques.

Pour en savoir plus
Doan S. Blépharites. EMC Ophtalmologie. 2012;9:1-9 [21-100-C-25]. Doan S. La sécheresse oculaire : de la clinique au traitement. Paris: Medcom ; 2009.

Auteurs

  • Serge Doan

    Ophtalmologiste

    Hôpital Bichat ; Fondation A. de Rothschild, Paris

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