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Rééducation basse vision et équipement optique dans la DMLA atrophique

L’atrophie, dans la DMLA comme dans les pathologies maculaires amenant à cet état, évolue lentement. L’annonce de cette pathologie signifie l’entrée dans une maladie irréversible handicapante, dont l’évolution, l’issue et le terme ne sont pas prédictibles. Cette situation fragilise la personne âgée et augmente le risque de dépression, et l’aspect psychologique ne peut être négligé.
Soins et accompagnement global doivent s’associer, quel que soit le degré d’atteinte, pour le maintien de l’autonomie, source de bien-être et de qualité de vie.
Des réponses doivent être apportées devant la gêne fonctionnelle, les fluctuations, les appréhensions, l’incompréhension, les interrogations. L’âge et l’isolement peuvent conduire la personne à abandonner des activités tout d’abord appréciées (lecture, jeu, bricolage, vie sociale…), puis indispensables (courses, sorties, gestion administrative, cuisine…) par souci de préserver sa vision.
Les ateliers d’éducation thérapeutique, par le biais des échanges autour de la maladie et des expériences vécues, rendent le patient acteur dans sa maladie chronique. Les associations de patients jouent aussi beaucoup. Réadapter, c’est aider le patient à se construire en s’adaptant au mieux à son déficit pour limiter le handicap. 

Les professionnels concernés en première intention dans la prise en soins sont les « 3 O » : ophtalmologiste, orthoptiste et opticien. La sévérité entraînant des incapacités (déplacements extérieurs, soins personnels, tâches de la vie quotidienne), d’autres compétences professionnelles sont à envisager : rééducation en locomotion, activités de la vie journalière, formation en informatique adaptée.
Les professionnels exercent en libéral, dans des centres ou dans des associations de proximité, inégaux en nombre et en répartition sur le territoire. Les CLIC (centres locaux d’information et de coordination) et les CCAS (centres communaux d’action sociale) existent dans de nombreuses villes pour informer les patients.
L’orthoptiste, pour beaucoup pilier de la prise en charge basse vision (BV), assure, par les actes orthoptiques de réadaptation, bilans et rééducation basse vision. Il élabore et propose un projet thérapeutique personnalisé dont les objectifs sont définis avec le patient. Il informe sur les aides et les structures existantes, en partenariat avec les différents acteurs de la prise en charge de la personne malvoyante et âgée. Le libre choix du patient est toujours respecté, ce dernier est l’instigateur de chacune des démarches qui lui est offerte.

Bilan orthoptique basse vision (BOBV)

Ce bilan évaluatif permet :
- d’analyser les plaintes, les besoins et les attentes du patient ;
- d’évaluer les différents paramètres de la fonction visuelle (moteur, sensoriel, fonctionnel) et leur retentissement sur le voir, le regarder, le toucher, l’équilibre et les déplacements ;
- d’aider le patient à mieux comprendre son déficit, ses capacités visuelles et leurs limites, le retentissement de l’affection sur son quotidien ;
- d’élaborer avec lui, le cas échéant, un projet de rééducation ;
- de constituer une base de données pour les autres rééducateurs.

Il se réalise sur prescription médicale et est coté AMY 30 pour une durée de 1 heure, quand l’acuité visuelle (AV) du meilleur œil corrigé est inférieure ou égale à 3/10, sans tenir compte des limites des capacités fonctionnelles. Au-delà, le bilan ne peut être coté BV, bien que l’acte pratiqué soit en tout point identique en temps, en gestion du stress et dans son déroulement. Le risque de réduction d’activité justifie pourtant la rencontre avec l’orthoptiste. Le handicap généré par l’atteinte de la vision centrale devrait s’évaluer surtout selon ses répercussions fonctionnelles et la qualité du champ visuel central. L’AV, en cas de DMLA atrophique, reflète mal l’ampleur de l’atteinte rétinienne et la perte fonctionnelle occasionnée (figure 1).

Figure 1. A. Patient 1, acuité visuelle 2/10. B. Patient 2, acuité visuelle 10/10. Pour exemple : les conséquences de l’altération rétienne du patient 2 ne peuvent être en rapport avec son AV. Si les plaintes des 2 patients diffèrent, le BOBV est justifié pour chacun.

Au cours de l’examen, l’orthoptiste écoute et observe la personne, qui relate son ressenti et les situations devenues pénibles. Tous les commentaires sont contributifs au cours de l’examen sensoriel (mesure de l’AV par exemple) ou des autres étapes. Attitudes, commentaires, erreurs, améliorations possibles sont notés. Ils amènent à comprendre la situation organique responsable et font naître le projet de rééducation : compensation, réadaptation, stratégies. On comprend l’importance d’un courrier précis et de la transmission des examens à l’orthoptiste.
La micropérimétrie sert en BV à visualiser sur une même représentation le fond d’œil, la sensibilité rétinienne et l’aire de fixation utilisée. L’OCT donne la localisation de la fovéa (figure 2).
La DMLA atrophique entraîne des altérations et donc des situations particulières : l’atteinte périfovéolaire, la préservation fovéolaire et l’atteinte fovéolaire.

Atteinte périfovéolaire

L’atrophie limitée, qui n’implique pas la fovéa, occasionne une détérioration réduite de la vision fine, un manque de contraste, un besoin d’éclairement, une sensibilité à l’éblouissement. L’AV reste préservée ou peu dégradée. Les patients recherchent la lumière et décrivent une vision floue permanente.
Au BOBV, la vitesse de lecture (et donc de la compréhension) est altérée, l’endurance réduite (risque d’abandon++), les erreurs sont liées à la position relative des scotomes par rapport à la fovéa, les troubles de l’équilibre binoculaire altèrent l’efficacité visuelle. Les paramètres binoculaires sont à évaluer, la gêne étant majorée si l’œil directeur est le plus atteint.

À ce niveau, le BOBV isolé suffit souvent à répondre à la personne grâce aux conseils, aux recommandations (éclairage, contraste…) et aux informations sur les aides techniques et optiques, et sur les verres filtrants. L’opticien spécialisé en BV intervient pour définir les solutions adéquates.
Pour maintenir l’accompagnement, ce bilan peut être renouvelé en suivant un rythme ou à la demande, selon les plaintes (figure 3).

Préservation fovéolaire

Cette situation fonctionnelle paradoxale, souvent incomprise, se produit quand les zones atrophiques confluent, laissant une fovéa fonctionnelle entourée d’une atrophie annulaire. Le patient est alors très gêné (figure 4).

Les conséquences sont particulières :
- même si les petits caractères sont identifiés, la lecture est altérée, fatigante, jamais fluide, se fait avec effort et uniquement en contraste optimal (rapprochement excessif de la lampe) ;
- la sensibilité à la lumière s’accentue, tout excès annihile le fonctionnement fovéolaire, transformant le scotome annulaire en scotome central complet. L’éclairement insuffisant a les mêmes effets puisque la fovéa n’est « opérationnelle » qu’en condition photopique ;
- l’endurance visuelle est réduite, la vitesse de lecture fluctue avec la taille des caractères et la lecture est optimale pour une taille de caractères correspondant à la surface de la préservation. La personne se perd sur la ligne. Paradoxalement, elle ne lit plus les grands caractères, ou très lentement, car la lecture d’une lettre ou d’un mot de cette taille nécessite plusieurs fixations avec cette surface de champ visuel réduite. Les difficultés concernent aussi toutes les tâches nécessitant de la précision : écriture, couture, peinture, bricolage…

L’image est parcellaire, la gêne fonctionnelle grande et le risque d’abandon important. L’AV restant préservée, le patient et son entourage s’étonnent de l’ampleur de la gêne.
Le BOBV est alors très utile dans son approche fonctionnelle, car c’est au gré de l’examen et des observations annoncées par l’orthoptiste au cours de la réalisation d’une tâche (premières lettres ratées sur les mots, plus grande imprécision pour pointer une cible moyenne que fine, rapprochement de la lumière…) que le patient fait le lien entre l’atteinte au fond d’œil et ses conséquences.
L’orthoptiste apporte ainsi une légitimité aux plaintes qui auraient pu paraître excessives. Et amène à rechercher des moyens de compensation. Le relais vision centrale/périphérique est alors important et doit être efficace.
La rééducation est ici à discuter, et si la compréhension est importante, quelques séances peuvent aider à assimiler les informations du bilan et favoriser l’appropriation de cet état si singulier.

La recherche de solutions optiques est complexe, car l’image rétinienne ne peut être agrandie au-delà de la taille de la préservation et il faut même parfois la réduire. Ainsi l’objectif est d’amener les très petits caractères à la taille lue avec confort (loupes de faible grossissement), d’améliorer le contraste (vidéoloupes en contraste maxi ou inversé), et de réduire les gros caractères (figure 5).
L’atteinte de la fovéa fait chuter rapidement l’AV, c’est pour le patient un moment difficile, car il navigue entre une fixation centrale de mauvaise qualité et une fixation excentrée non maîtrisée.

Atteinte fovéolaire

Cette étape est atteinte au dernier stade de la maladie, quand l’atrophie inclut la fovéa. L’AV est affaissée et le patient ne peut plus bénéficier pleinement des rôles de sa macula : malgré une bonne vision d’ensemble, ce qu’il fixe disparaît. Le détail n’est plus perçu, les couleurs s’effacent, le geste est imprécis (pour remplir un verre, appuyer sur une touche, écrire…). Le besoin d’éclairage et l’éblouissement se majorent.
Les répercussions dépendent des caractéristiques du scotome. S’il est de surface large, la compensation visuelle ne suffit pas et les autres modalités sensorielles sont à développer (toucher, audition) dans le cadre d’une prise en soin par d’autres professionnels : instructeur en locomotion, ergothérapeute…

La rééducation est nécessaire pour optimiser l’adaptation au scotome central et vise à chercher, puis à entraîner l’utilisation d’un moyen grossissant dont la puissance dépend de la taille et du niveau de maîtrise du scotome. Les systèmes proposés sont variés : loupes, systèmes microscopiques ou électroniques, nouvelles technologies. Celles-ci occupent de plus en plus de place, deviennent accessibles à tous, et leur coût est moindre. Le patient doit être informé de leur existence pour pouvoir les tester (figure 6).

Figure 6. A. Loupe. B. Système télescopique. C. Monoculaire de loin. D. Vidéoloupe.
Figure 6. A. Monoculaire de loin. B. Système télescopique. C. Loupe. D. Vidéoloupe.

Rééducation orthoptique basse vision

C’est une éducation visuelle qui vise à utiliser au mieux le potentiel visuel pour apprendre à voir autrement. Le but est d’optimiser les capacités visuelles pour répondre au mieux aux attentes du patient. La rééducation orthoptique basse vision (ROBV) est proposée à l’issue du bilan d’évaluation et se décide en posant des objectifs et des limites. Dix séances cotées en AMY 16.2 sont programmées selon un rythme et un contenu adaptés.
La macula altérée ne peut plus jouer pleinement ses rôles. La vision périphérique est considérée comme non affectée mais la zone altérée est parfois très large, allant bien au-delà des degrés centraux. En cas de DMLA atrophique, le patient doit s’adapter à la présence du (ou des) scotome(s) dans son champ visuel central.
Dans le but de personnaliser le travail et de le mener à bien, les exercices sont variés, suivent une progression dans la difficulté, tiennent compte des intérêts et des capacités de la personne. Le travail s’effectue à différentes distances, pour une adaptation dans toutes les situations de vie (vision de près et plus éloignée). La prise de conscience, entre autres de l’excentration, peut se faire plus aisément selon la distance d’observation.
La situation binoculaire est à considérer, car la situation est fréquemment asymétrique. Les atteintes de la capacité visuelle et de la binocularité modifient la perception de la profondeur, de la vitesse des déplacements, de la distance, et réduisent l’assurance en extérieur, la précision du geste et l’efficacité de lecture.

DMLA modérée

Tant que la fixation est centrale, la rééducation classique de l’excentration n’est pas envisageable. Cependant, toute aire de non-perception dans les degrés centraux affecte l’empan visuel et la lecture, avec des répercussions non négligeables.
Si la vision centrale est altérée (amenant flou et fluctuations), la vision périphérique est bien conservée mais ne permet pas l’identification. L’accent est mis sur sa participation, plus efficace selon les caractéristiques de l’objet fixé ou les conditions lumineuses. Le recours à ce champ de vision est donc nécessaire, sa fonction étant de percevoir les formes larges, en mouvement, bien contrastées, en ambiance lumineuse faible.

Ainsi l’orthoptiste va diriger sa prise en charge en cherchant à la fois à optimiser la vision centrale et à solliciter la vision périphérique, plus fonctionnelle dans certaines situations (figure 7).
Pour résumer, en cas d’atteinte périfovéolaire, les axes suivis au cours de la rééducation sont :
- le relais vision centrale/vision périphérique ;
- la vision binoculaire et les capacités en vision de près, intermédiaire et plus éloignée.

DMLA avec scotome central

Dans cette situation, la fixation n’est plus possible et une zone rétinienne doit être « réaffectée » pour assurer les rôles de la fovéa : recevoir la projection de l’image, l’analyser et contrôler le geste.
Aujourd’hui, la rééducation a fait ses preuves et elle est proposée de plus en plus spontanément, car l’adaptation au scotome central nécessite automatisme et efficacité. Il n’y a pas de maîtrise sans entraînement : le patient doit excentrer (consciemment ou pas) son regard (souvent vers le haut et vers la droite) pour diriger l’image vers une (plus rarement plusieurs) « zone de suppléance » (ou PRL ou néofixation) en région de rétine saine (figure 8).

Cette nouvelle fixation doit être suffisamment stable pour que l’objet soit identifié, puis saisi (figure 9). Elle est située à distance de la fovéa, ses capacités de discrimination sont amoindries, le grandissement de l’image est obligatoire et le patient doit être préparé à l’utilisation des moyens adaptés et à leurs contraintes (réduction du champ, rapprochement, retour à la ligne…).
La rééducation, en cas de scotome central, suit donc les axes suivants :
- ancrage de la fixation ;
- discrimination ;
- coordination du geste sous contrôle visuel ;
- préparation et entraînement à l’utilisation des systèmes grossissants.

Conclusion

La ROBV permet au patient de s’adapter à sa situation visuelle, de découvrir les moyens et les personnes pouvant l’accompagner, de limiter les risques de dégradation de la qualité de vie et de l’autonomie. Ce sont les raisons pour lesquelles chaque soignant participant au suivi clinique doit porter une vigilance accrue à la personne en étant à son écoute, en la conseillant, en l’informant, en la questionnant, pour agir à temps.

Références bibliographiques
[1] Clenet MF, Hervault C. Guide de l’orthoptie. Elsevier Masson, 2013.
[2] Cohen SY, Souied E, Quentel G. Dégénérescence maculaire liée à l’âge. Médecine Sciences Publications, Lavoisier, 2012.
[3] Haddad WM. Rééducation orthoptique basse vision : indications et buts dans les pathologies maculaires. Le point de vue de l’ophtalmologiste, RFO. 2018;11(1):29-35.
[4] Routon M. Orthoptie, DMLA et syndrome de pré-malvoyance. RFO. 2015;8(2):152-7.
[5] Routon M. DMLA et préparation aux aides optiques. Un temps fort de la rééduction orthoptique de proximité. RFO. 2015;8(2):158-64

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