Que faire en cas de progression trop rapide ?

Le glaucome est une neuropathie optique progressive. Le traitement de première intention est très souvent un traitement médical sous forme de collyres hypotonisants donnés en monothérapie. Un suivi régulier est ensuite effectué, au minimum deux fois par an, qui consiste à vérifier l’absence de progression des déficits fonctionnels et structuraux, ou alors une progression compatible avec l’espérance de vie du patient et la sévérité de son glaucome.

Une progression trop rapide de la neuropathie glaucomateuse sous traitement n’est pas rare. Plusieurs études se sont intéressées à la vitesse de progression chez des sujets glaucomateux traités et suivis en ­pratique clinique courante. Dans une étude des dossiers médicaux de 583 patients atteints d’un glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) ou d’un glaucome exfoliatif traité, une vitesse de progression annuelle moyenne de -0,80 dB a été mesurée sur une période moyenne de 7,8 ans de suivi [1]. Le taux de progression variait beaucoup parmi les patients suivis, 5,6% d’entre eux progressant très rapidement – plus de 2,5 dB/an de perte – malgré un traitement hypotonisant.

Dans une autre étude de 841 dossiers médicaux conduite aux États-Unis, on a retrouvé une perte moyenne de 0,48 dB/an sur une période moyenne de 6,4 ans chez des patients atteints de GPAO, une perte de 0,65 dB/an chez des patients atteints d’un glaucome exfoliatif, et une de 0,33 dB/an chez des patients atteints d’un glaucome à pression normale [2,3]. Dans l’étude de cohorte française PROG-F, 441 yeux atteints d’hypertonie ou de GPAO et suivis au minimum pendant 6 ans ont été étudiés [4]. Chez les glaucomateux, le taux de progression moyen était de -0,32 dB/an (-0,83% VFI/an) dans le cas d’un glaucome débutant, -0,52 dB/an (-1,81% VFI/an) dans celui d’un glaucome modéré, -0,54 dB/ an (-2,35% VFI/an) dans celui d’un glaucome évolué et -0,45 dB/an (-1,97% VFI/an) dans le cas d’un glaucome sévère (figure 1). Une progression significative était dé­tectée chez 159 des 320 yeux glaucomateux (49,7%) en analyse de tendance, et chez 183 des 320 yeux (57,2%) en analyse d’événements.

Cette étude confirme donc que le glaucome est très souvent une neuropathie évolutive même sous traitement, avec, pour une part importante des sujets, un taux de progression trop rapide lorsqu’il est rapporté à l’espérance de vie.

Vérifier l’observance au traitement

Comme dans toutes les pathologies chroniques pouvant être freinées ou stabilisées par une thérapeutique pharmacologique prise sur une longue période, voire souvent à vie, l’efficacité du traitement dépend très largement de l’observance thérapeutique [5].

Le glaucome présente de nombreuses spécificités pouvant influencer l’observance thérapeutique des patients traités par médicaments hypotonisants. C’est une maladie très longtemps, voire parfois toujours, asymptomatique. Ce caractère paucisymptomatique n’aide pas à la compréhension des conséquences potentielles de la maladie et ne motive pas les patients à prendre leur traitement. De plus, le glaucome affecte très souvent les sujets âgés. Ces patients ont couramment d’autres pathologies chroniques associées (cardiovasculaires, métaboliques) qui nécessitent des traitements contraignants et peuvent les conduire à négliger leur glaucome. Les effets secondaires des traitements topiques sont généralement plus fréquents chez ces patients. Par ailleurs, l’annonce du diagnostic de glaucome puis, à un stade plus tardif, l’apparition de déficits périmétriques ont souvent un caractère anxiogène en faisant craindre aux patients une évolution vers la cécité. Ces retentissements de la maladie sur la qualité de vie peuvent entraîner des prises médicamenteuses inadaptées, aussi bien des surdosages que des arrêts de traitement par désespoir. De même, le caractère ­unique­ment stabilisateur du traitement du glaucome, mais jamais curatif du fait du caractère irréversible des déficits structurels et fonctionnels, peut diminuer la croyance des patients en l’efficacité ou l’utilité des traitements. Enfin, l’instillation correcte des collyres antiglaucomateux ajoute une difficulté supplémentaire, en dehors de toute mauvaise observance, nécessaire à ­l’efficacité optimale de la thérapeutique.

De très nombreuses études se sont attachées à quantifier l’observance des patients glaucomateux, avec des méthodes objectives ou subjectives variées [6]. Elles ont globalement démontré une observance médiocre, et on peut estimer que 30 à 50% des sujets glaucomateux n’utilisent pas ou pas régulièrement les collyres qui leurs sont prescrits. Ces études montrent également qu’il est assez difficile d’identifier le profil type des sujets faiblement observants, et que le médecin qui suit un patient donné est souvent peu performant dans son estimation de ­l’observance de son patient.

En cas de progression trop rapide sous traitement, il est donc important de questionner le patient sur son observance et les obstacles possibles à un respect ­optimal du traitement, avec des questions ouvertes lui permettant d’exprimer facilement son ressenti sur le traitement qui lui est prescrit. Il est également indispensable de rappeler les bonnes techniques d’instillation, avec une démonstration de la méthode optimale.

Vérifier le diagnostic

Un tableau clinique atypique peut faire envisager une pathologie autre, neurologique ou neuro-ophtalmologique : papilles plus pâles qu’excavées, déficits périmétriques croisant la ligne horizontale, atteinte de la fonction sans atteinte de la structure, évolution unilatérale rapide, céphalées ou autres signes neurologiques associés. Dans ces cas, une imagerie cérébrale et un bilan de neuro­pathie optique (inflammatoire, auto-immun, infectieux, génétique, métabolique) doivent être envisagés.

Quel est l’effet d’une baisse pressionnelle additionnelle ?

Deux études récentes ont formellement démontré ­ l’effet d’une baisse pressionnelle additionnelle par renforcement du traitement antiglaucomateux pour ralentir l’évolution d’un glaucome déjà traité. Cela est vrai quelle que soit la modalité thérapeutique : augmentation du nombre de classes thérapeutiques, trabéculoplastie laser additionnelle ou chirurgie filtrante.

L’étude Canadian Glaucoma Study comprenait essentiellement des sujets atteints d’un GPAO nouvellement diagnostiqué [7]. Le protocole de prise en charge initiale était laissé à l’appréciation de l’ophtalmologiste, mais devait permettre de réduire de 30% au moins la pression intraoculaire (PIO) cible de première intention. En analyse multivariée, chaque mm de Hg de réduction de la PIO réduisait de 19% le risque d’évolution. Lorsque des critères prédéfinis de progression étaient atteints, un renforcement de traitement également laissé à l’appréciation de l’ophtalmologiste (multithérapie, trabéculoplastie laser, chirurgie filtrante) devait permettre une réduction pressionnelle additionnelle de 20% (PIO cible de deuxième intention). Une réduction importante et significative du taux de progression a été observée (taux de progression annuel de -0,36 dB avant versus -0,11 dB après) (figures 2 et 3).

Une deuxième étude réalisée en France a montré chez 139 sujets glaucomateux sous traitement médical et ayant bénéficié d’une majoration de traitement qu’une baisse additionnelle de 11,1% de la PIO réduisait la vitesse ­d’évolution de 0,57 dB/an à 0,29 dB/an, avec une relation ­quasiment linéaire entre la baisse pressionnelle induite par le changement de traitement et le ralentissement de la vitesse d’évolution (figure 4) [8].

Quelles options thérapeutiques ?

Majoration du traitement médical
Les quatre classes thérapeutiques utilisées dans le domaine du glaucome (analogues de prostaglandines, bêtabloquants, alpha2agonistes et inhibiteurs de l’anhydrase carbonique) ont des mécanismes d’action ou des cibles moléculaires différents et de ce fait, leur combinaison a un effet synergique. Il n’est en revanche pas conseillé d’associer plusieurs molécules d’une même classe thérapeutique, ni d’augmenter les doses d’une molécule au-delà de la posologie préconisée, le risque étant une augmentation des effets secondaires sans gain d’efficacité.

Lorsqu’un deuxième traitement est nécessaire, une association fixe – formulation associant plusieurs principes actifs dans un même flacon – est très souvent privilégiée et recommandée par la Société européenne du glaucome [9]. Les avantages des associations fixes par rapport à la prescription séparée des principes actifs qui les composent sont en effet nombreux : simplification du schéma thérapeutique et amélioration de l’observance des patients au traitement prescrit, absence de risque de wash-out du premier collyre par un deuxième instillé juste après, et enfin diminution de la quantité de conservateur administrée et donc de la toxicité potentielle pour la surface oculaire.

Qu’attendre de la majoration du traitement ? Dans l’étude française discutée ci-dessus, le passage d’une monothérapie à une bithérapie permettait une baisse supplémentaire de 9,8% de la PIO (réduction du taux de progression de 0,35 dB/an à 0,24 dB/an), celui d’une bithérapie à une trithérapie, une baisse supplémentaire de 10,2% (réduction du taux de progression de 1,01 dB/an à 0,48 dB/an), et le passage direct d’une monothérapie à une trithérapie, une baisse supplémentaire de 20,8% (réduction du taux de progression de 1,04 dB/an à 0,35 dB/an) [8].

Trabéculoplastie laser
Une trabéculoplastie laser peut être réalisée en ­complément du traitement médical qui sera poursuivi. Les études ne semblent pas montrer une diminution de l’effet de la trabéculoplastie chez les sujets sous traitement médical comparativement aux sujets naïfs de tout traitement. Ainsi, dans l’étude de cohorte citée ci-dessus, une trabéculoplastie additionnelle permettait une réduction supplémentaire de 9,4% de la PIO (réduction du taux de progression de 0,60 dB/an à  0,24 dB/an) [8].

Chirurgies du glaucome
Lorsque la progression reste trop rapide sous traitement médical maximal (notion dépendante du nombre de collyres utilisés, mais également de la tolérance à ces collyres) éventuellement complété d’une ­trabéculoplastie laser, une chirurgie du glaucome ou la chirurgie ­combinée cataracte + glaucome peut être envisagée. Le choix de la technique dépend de nombreux facteurs, dont le type de glaucome, le stade de sévérité, l’état de la surface ­oculaire, le souhait du patient, etc. [9]. Il est à noter que les ­nouvelles chirurgies micro-invasives (en France, les dispositifs iStent et XEN peuvent être utilisés) étendent probablement les indications du fait d’un meilleur profil de sécurité que les chirurgies conventionnelles.

Références bibliographiques
[1] Heijl A, Buchholz P, Norrgren G, Bengtsson B. Rates of visual field progression in clinical glaucoma care. Acta Ophthalmol. 2013;91(5):406-12.
[2] De Moraes CG, Liebmann JM, Liebmann CA et al. Visual field progression outcomes in glaucoma subtypes. Acta Ophthalmol. 2013;91(3):288-93.
[3] De Moraes CG, Liebmann JM, Park SC et al. Optic disc progression and rates of visual field change in treated glaucoma. Acta Ophthalmol. 2013; 91(2): e86-91.
[4] Aptel F, Aryal-Charles N, Giraud JM et al. Progression of visual field in patients with primary open-angle glaucoma - ProgF study 1. Acta Ophthalmol. 2015;93(8):e615-20.
[5] DiMatteo MR. Variations in patients‘ adherence to medical recommendations: a quantitative review of 50 years of research. Med Care. 2004;42(3):200-9.
[6] Schwartz GF. Compliance and persistency in glaucoma follow-up treatment. Curr Opin Ophthalmol. 2005;16(2):114-21.
[7] Chauhan BC, Mikelberg FS, Balaszi AG et al. Canadian Glaucoma Study: 2. risk factors for the progression of open-angle glaucoma. Arch Ophthalmol. 2008;126(8):1030-6.
[8] Aptel F, Bron AM, Lachkar Y, Schweitzer C. Change in visual field progression following treatment escalation in primary open-angle glaucoma. J Glaucoma. 2017;26(10):875-80.
[9] European Glaucoma Society. Terminology and guidelines for glaucoma. http://www.eugs.org/eng/guidelines.asp. 4th édition, Savona : PubliComm, 2014.

Auteurs

  • Florent Aptel

    Ophtalmologiste

    Centre ophtalmologique Visis, Perpignan

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