Presbytie : la plateforme Wavelight en pratique
Le 5 mai 2018 s’est tenue, pendant la SFO, une réunion des utilisateurs de la plateforme laser Wavelight (Alcon) portant sur les recommandations d’utilisation pour le traitement de la presbytie. Le groupe de travail s’était formé en juin 2017 afin d’établir des recommandations consensuelles pour débuter dans ce type de procédures (figure 1). Le principe de la plateforme repose sur la modulation de l’asphéricité par l’ajustement du facteur Q. L’objectif primaire est de réaliser une monovision aménagée sur l’œil dominé des patients hypermétropes. Avec l’expérience, certains opérateurs s’orientent vers une modulation binoculaire et de plus larges profils d’amétropie. Cet article résume les faits marquants des différents échanges pendant ce symposium.
Modulation de l’asphéricité en vision monoculaire
Le Dr Romain Courtin, de la Fondation Rothschild, a précisé en préambule que la modification de l’asphéricité ne visait pas à rectifier la courbure centrale, mais uniquement la courbure périphérique (figure 2). Il a également insisté sur le fait que la méthode utilisée reposait sur la modulation monoculaire de l’asphéricité, mais que la stratégie restait binoculaire. Puisque le but était de maintenir la continuité des parcours pseudo-accommodatifs, l’addition nécessaire était déterminée par la méthode de l’addition minimale ou de la réserve d’accommodation. Concernant la définition de la zone optique (ZO), les calculs théoriques de la valeur de delta Q ont initialement été établis sur une ZO de 6 mm, puis secondairement, les simulations théoriques sur le laser ont permis de comprendre que la modification de la ZO dans le laser ne changeait pas le gradient de variation d’asphéricité mais que le laser proposait le même profil d’ablation sur une zone augmentée de 0,5 mm. Le corolaire de ce point est qu’il ne sert à rien de réduire la ZO pour les patients avec des petites pupilles. En pratique, il convient de se méfier des patients dont les pupilles ne se dilatent pas au-delà de 4 mm et il est préférable d’imposer un décentrement de la ZO vers le vertex pour s’approcher de l’axe visuel fonctionnel, d’autant que les angles kappa sont souvent importants chez les hypermétropes (déviation supérieure à 500-800 microns). L’équipe Gatinel a également rapporté les résultats d’une étude publiée qui retrouvent bien la variation du facteur Q programmé initialement dans la machine. Il fut également intéressant de remarquer que pour l’œil dominant, dont le facteur Q n’avait pas été modifié, le Q était plus négatif qu’en préopératoire, confirmant l’effet naturellement « prolatisant » des traitements de l’hypermétropie sans modification du facteur Q.
L’équipe du CHU de Marseille a également apporté son expertise, insistant sur différents points : Gaëlle Ho Wang Yin a souligné que le seuil d’aberrations sphériques (AS) utiles à profondeur de champ était de -0,4 à -0,6 microns (pupille 6 mm) si l’on voulait maintenir une bonne qualité de vision, en particulier nocturne [1]. Ce seuil correspond à une variation maximale du delta Q de -0,6. Une étude de leur équipe a également été rapportée, mentionnant les conditions idéales du recrutement des patients pour le presbylaser : âge inférieur à 60 ans, hypermétropie inférieure à 5 D, astigmatisme inférieur à 2 D, Kmax induit inférieur à 48 D, absence de trouble de la vision binoculaire, d’amblyopie, attentes raisonnables, compréhension de la monovision et des compromis, acceptation du port de lunettes occasionné, période d’adaptation importante à expliquer. L’utilisation de la méthode du C4-C12 constant a été soulignée pour ajuster la cible réfractive en vision de loin après l’induction d’un delta Q. Cela revient à augmenter la cible de l’emmétropie en mode custom Q. Par exemple +2,25 passe à +3,80 après la modification du facteur Q. Hélène Proust a souligné l’importance de bien connaître les 4 piliers du presbylaser : multifocalité cornéenne, accommodation résiduelle, addition minimale et dynamique pupillaire. Elle a insisté sur l’importance de la myopisation centrale sur l’œil dominé, obtenue par la variation du facteur Q en fonction de l’âge et de l’ajout d’une addition maximale inférieure à 1 D. Le shift myopique en vision de loin étant réputé pour régresser d’environ 0,5 D la première année, la « surcorrection » volontairement obtenue doit être expliquée en préopératoire au patient. Le Dr Proust a également insisté sur les facteurs devant faire varier le choix de la valeur du delta Q. Elle a proposé de le corréler à la variation de la kératométrie : si celle-ci est inférieure à +3 D, le delta Q est fixé à -0,7 ; entre +3 et +4 D, il est fixé à -0,5 ; au-dessus de +4 D, il devrait être nul. L’âge n’est pas un facteur de modulation en soi du delta Q mais une addition de +0,50 est proposée avant l’âge de 55 ans, augmentée à +0,75 au-delà. Dans tous les cas de figure, la kératométrie centrale ne doit pas excéder 48 D sur l’œil dominant et 50 D sur l’œil dominé, en postopératoire. Il est à nouveau souligné que la variation du facteur Q entraîne une sous-correction de l’hypermétropie, qu’il faut compenser en modifiant la réfraction cible (target) : soit en réajustant la profondeur de l’ablation à celle devant être obtenue avant la modification du facteur Q ; soit en décomposant la forme de la photoablation en coefficient de Zernike : on maintient constant le C04 après la variation du facteur Q en modifiant le C12. La conclusion met en avant que le succès de cette procédure repose sur l’information aux patients et sur la cible du traitement, c’est-à-dire l’obtention d’une indépendance aux lunettes dans la vie courante, mais pas toujours pour la conduite automobile ni pour la lecture prolongée. Nous constatons ici que l’approche de l’équipe de Marseille diffère en certains points de celle de l’équipe parisienne. Néanmoins, toutes deux rapportent dans des publications des résultats très encourageants et un bon niveau de satisfaction des patients.
Modulation de l’asphéricité en vision binoculaire
L’approche binoculaire consiste à dégrader la qualité de vision des 2 yeux pour obtenir le compromis de la profondeur de champ augmentée. L’avantage est de garder une bonne vision stéréoscopique (faible anisométropie) et de faciliter une adhésion plus rapide sur le plan cérébral. Néanmoins, il convient de savoir gérer une période de surcorrection qui induit une prescription de lunettes en vision de loin au début (4 à 6 mois, avec un taux de retouche plus important que pour les autres procédures). Le rôle de la plasticité cérébrale et la restauration de l’accommodation résiduelle ont été expliqués par le Dr Charles Ghenassia. Il a souligné, en introduction, qu’avec l’âge, l’asphéricité négative du cristallin diminuait, ce qui dégradait la qualité de l’image rétinienne. L’hyperprolatisation de la cornée restituerait une meilleure qualité de l’image. Pour les profils d’ablations hyperprolates, il a précisé que l’ablation était plus importante en moyenne périphérie avec le custom Q. Il a également expliqué que la profondeur d’ablation était inversement corrélée à la kératométrie préopératoire (par exemple pour une cible à +4 D, la profondeur maximale affichée sera de 46,9 microns sur une cornée à 40 D vs 39,7 microns pour une cornée à 46 D). Il faut compter un ajustement sur la cible de +0,25 D tous les 4 microns d’ajustement à la variation de profondeur liée au delta Q. Une étude pratiquée sur 100 yeux montre que la réduction de l’AS+ cornéenne par le laser induit la réactivation de l’accommodation naturelle du cristallin en postopératoire, se traduisant par une négativation de l’AS interne en aberrométrie. Rappelons que la négativation du facteur Q, en aplatissant la périphérie, induit en effet une diminution de l’AS cornéenne habituellement globalement positive. Enfin, le Dr Ghenassia a rappelé que le presbylaser n’était pas une contre-indication à l’implantation de lentilles diffractives dans le cas d’une chirurgie de la cataracte.
Le Dr Hédi Basly a exposé son approche d’une micromonovision tout en modulant le facteur Q aux 2 yeux d’un delta Q de -0,5. Il est également visé -0,6 sur l’œil dominé et -0,40 sur l’œil dominant, comptant sur une régression d’environ -0,25 en postopératoire. Il a également rappelé que la synchronisation des 2 yeux permettait une meilleure récupération de l’accommodation résiduelle et une stimulation corticale. Cela s’applique aux hypermétropes compris entre +1 et +4 D, néanmoins les myopes de -2 à -6 D sont aussi candidats. L’astigmatisme doit se limiter à moins de 2 D. Il faut certainement plus promettre P4 que P2 en postopératoire. La réfraction doit être parfaite, vérifiée sous cycloplégie. Encore une fois, la modulation du facteur Q entraîne une hypermétropisation qui doit être compensée par l’introduction d’une cible réfractive myopique déterminée en égalisant la profondeur d’ablation initiale ou selon l’analyse de Zernike : C04 constant et C12 augmenté.
Conclusion
La compensation de la presbytie par la méthode du presbylasik est une alternative tout à fait rationnelle pour les patients hypermétropes dont les critères d’inclusion sont respectés. La modulation du facteur Q sur la plateforme Wavelight (Alcon) donne de bons résultats, quelle que soit l’approche, en monoculaire ou en binoculaire. Cette dernière semble néanmoins plus délicate dans sa gestion et ne s’adresse donc pas aux débutants. Le compagnonnage pour optimiser ses résultats peut être recommandé et le groupe d’utilisateurs français est disponible pour le partage de cette expertise. L’hétérogénéité des réglages et des stratégies, exposée à travers les différentes équipes référentes lors de ce symposium, souligne bien le besoin de collection de données sur les résultats et d’homogénéisation des recommandations.
Références bibliographiques
[1] Wang Yin GH, McAlinden C, Pieri E et al. Surgical treatment of presbyopia with central presbyopic keratomileusis: one-year results. J Cataract Refract Surg. 2016;42(10):1415-23.
[2] Courtin R, Saad A, Grise-Dulac A et al. Changes to corneal aberrations and vision after monovision in patients with hyperopia after using a customized aspheric ablation profile to increase corneal asphericity (Q-factor). J Refract Surg. 2016;32(11):734-41.