Œdèmes maculaires dans les dystrophies rétiniennes / Rétinites pigmentaires

La rétinite pigmentaire est une maladie héréditaire dystrophique caractérisée par la dégénération primitive des photorécepteurs et par une hétérogénéité clinique, moléculaire et génétique. La prévalence de la forme non syndromique est d’environ 1/4000 et c’est l’une des causes majeures d’altérations visuelles chez les adolescents et jeunes adultes [1]. Sur le plan clinique, elle se manifeste essentiellement par une héméralopie avec une restriction progressive du champ visuel périphérique, pour aboutir dans les stades tardifs à une vision tubulaire. La survenue d’une cataracte sous-capsulaire postérieure ou la forme cone-rod dystrophy peuvent engendrer une baisse de la vision centrale chez ces patients. Une autre cause bien connue de la baisse de vision centrale est l’œdème maculaire cystoïde [2].

Physiopathologie de l’œdème maculaire dans les dystrophies rétiniennes [3]

De multiples hypothèses ont été soulevées, on en retient essentiellement 5.
1- Atteinte de la barrière hématorétinienne (BHR) externe et/ou interne.
2- Atteinte de la fonction « pompe » de l’épithélium pigmentaire.
3- Dysfonctionnement des cellules de Müller.
4- Rôle des anticorps (AC) antirétiniens – cependant, certains pensent que ces AC seraient une conséquence de l’atrophie plutôt que la cause.
5- Interface vitréo-maculaire pathologique.

Facteurs de risque

L’œdème maculaire (OM) peut survenir chez tout patient atteint d’une rétinite pigmentaire et à tous les stades. Certaines études ont mis en évidence l’association de l’œdème avec les formes autosomiques dominantes [4], d’autres études avec les formes autosomales récessives [5].

Diagnostic paraclinique et suivi

L’OCT maculaire est le gold standard dans le diagnostic, le pronostic (essentiellement l’état de la couche ellipsoïde) et le suivi de la réponse au traitement de l’OM. L’angiographie, qui montrerait peu ou pas de diffusion, n’a pas vraiment beaucoup intérêt, sauf dans les cas très rares de néovaisseaux choroïdiens. Le rôle de l’OCT-angiographie n’a toujours pas été étudié dans les OM des dystrophies rétiniennes.

Modalités de traitement

De multiples options thérapeutiques ont été investiguées dans le traitement des OM des rétinopathies pigmentaires.

Inhibiteurs de l’anhydrase carbonique en topique et par voie orale
Action ciblée sur les AC membranaires de l’épithélium pigmentaire de la rétine.

Les études ont bien mis en évidence une amélioration après le traitement par dorzolamide topique à 2% (3 instillations par jour) : diminution des logettes rétiniennes à l’OCT et de la diffusion à l’angiographie à la fluorescéine [6]. Cependant, certaines études n’ont pas rapporté d’amélioration de l’acuité visuelle.
La voie orale, à la dose de 500 mg/j, est encore plus efficace, avec de meilleurs résultats sur les plans  anatomique et fonctionnel. Elle nécessite pourtant un suivi clinique et biologique assez régulier pour dépister des effets secondaires liés au traitement (fourmillements, hypokaliémie, réaction allergique sévère, lithiases rénales, etc.) [7].
Chez certains patients, on observe un certain rebond de l’œdème après l’arrêt du traitement. Dans ce cas, une réinstauration du traitement sur une période plus prolongée et d’une façon dégressive est conseillée.

Corticostéroïdes
Toutes les voies d’administration des corticostéroïdes ont été étudiées dans le traitement de l’OM des dystrophies rétiniennes, en se fondant sur l’hypothèse inflammatoire de l’atteinte de la BHR chez ces patients.
Les principaux traitements étudiés étaient : la voie orale (notamment avec le déflazacort), le triamcinolone en intravitréen et en péribulbaire [8], et le dexaméthasone en intravitréen (Ozurdex®) [9].
Les études ont montré une bonne efficacité anatomique du traitement, sans qu’une amélioration visuelle soit systématiquement constatée. Les obstacles majeurs dans le cas d’un traitement par corticostéroïdes sont le besoin assez fréquent de retraitement, l’enjeu de la survenue précoce de la cataracte chez les patients prédisposés à cette pathologie, et l’hypertonie oculaire chez des patients ayant déjà un champ visuel périphérique altéré.

Injections intravitréennes d’anti-VEGF
De multiples études ont investigué le rôle des anti-VEGF dans le traitement de l’OM des dystrophies rétiniennes. La conclusion presque commune est une certaine amélioration sur l’OCT sans répercussion sur l’acuité visuelle.
À noter que chez les patients atteints de rétinopathies pigmentaires, les vaisseaux sont déjà grêles et tout traitement par anti-VEGF en intravitréen ne semble pas trop intuitif.
L’injection intravitréenne d’anti-VEGF garde sa place dans le traitement des néovaisseaux choroïdiens secondaires, très rares dans les rétinopathies pigmentaires. Son rôle dans le traitement des OM est toujours en cours et nécessite des études randomisées contrôlées plus larges.

Autres
Des traitements à base de laser et de chirurgie ont été testés :
- la photocoagulation en grille au laser, maculaire [10] ;
- la vitrectomie avec pelage de la limitante interne (en partant sur l’hypothèse d’une interface vitréo-maculaire pathologique) [11] ;
Le laser n’est plus indiqué dans le traitement des OM des dystrophies rétiniennes et la vitrectomie garde sa place uniquement dans le cas des œdèmes réfractifs ne répondant pas aux traitements plus conservateurs.
En pratique, la prise en charge la plus adaptée consiste, en première intention, à prescrire du dorzolamide 2% (ou autres inhibiteurs de l’anhydrase carbonique [IAC]) topique sous forme de 3 instillations par jour pour une durée de 4 à 8 semaines. Si aucune amélioration n’est constatée, ou parfois d’emblée, IAC par voie orale (en l’absence de contre-indication) sous la forme de 500 mg/j avec complément de diffu-K et suivi clinique et biologique régulier à la recherche d’effets secondaires. En deuxième intention, dans les cas réfractaires : corticostéroïdes.

Cas particuliers

En dehors des rétinopathies pigmentaires, d’autres dystrophies rétiniennes peuvent se compliquer d’un OM, notamment l’atrophie gyrée et la choroïdérémie [12]. Le traitement de première intention consiste pareillement en IAC en topique [13].
Certaines dystrophies rétiniennes, importantes à connaître, se manifestent par un œdème kystique au niveau de la macula. On évoque essentiellement le rétinoschisis lié à l’X et le syndrome de Goldmann-Favre (Enhanced S-Cone syndrome).
Des études ont bien montré l’efficacité de l’acétazolamide par voie orale dans le traitement de ces formes particulières d’œdème [14].
Dans le cas des dystrophies maculaires, notamment la maladie de Best, la présence d’un OM (à différencier du matériel liquéfié) exige une recherche de néovaisseaux choroïdiens. Le traitement consistera dans ce cas en des injections intravitréennes d’anti-VEGF en mode pro re nata.

Conclusion

L’OM compliquant les rétinopathies pigmentaires est une cause principale d’altération de la vision centrale chez des patients qui ont à la base un champ visuel plus ou moins rétréci. Son dépistage, son diagnostic et sa prise en charge sont essentiels dans le cadre d’un suivi compréhensif d’un patient atteint d’une dystrophie rétinienne. Le traitement de première intention reste toujours les IAC par voie topique et/ou orale.

Références bibliographiques
[1] Verbakel SK, van Huet RA, Boon CJ et al. Non-syndromic retinitis pigmentosa. Prog Retin Eye Res. 2018;66:157-86.
[2] Hamel C. Retinitis pigmentosa. Orphanet J Rare Dis. 2006;11;1:40.
[3] Strong S, Liew G, Michaelides M. Retinitis pigmentosa-associated cystoid macular oedema: pathogenesis and avenues of intervention. Br J Ophthalmol. 2017;101(1):31-7.
[4] Testa F, Rossi S, Colucci R et al. Macular abnormalities in Italian patients with retinitis. Br J Ophthalmol. 2014;98(7):946-50.
[5] Liew G, Moore AT, Webster AR, Michaelides M. Efficacy and prognostic factors of response to carbonic anhydrase inhibitors in management of cystoid macular edema in retinitis pigmentosa. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2015;56(3):1531-6.
[6] Grover S, Fishman GA, Fiscella RG, Adelman AE. Efficacy of dorzolamide hydrochloride in the management of chronic cystoid macular edema in patients with retinitis pigmentosa. Retina. 1997;17(3):222-31.
[7] Huang Q, Chen R, Lin X, Xiang Z. Efficacy of carbonic anhydrase inhibitors in management of cystoid macular edema in retinitis pigmentosa: A meta-analysis. PLoS One. 2017;12(10):e0186180.
[8] Barge S, Rothwell R, Sepúlveda P, Agrelos L. Intravitreal and subtenon depot triamcinolone as treatment of retinitis pigmentosa associated cystoid macular edema. Case Rep Ophthalmol Med. 2013; 2013:591681.
[9] Srour M, Querques G, Leveziel N et al. Intravitreal dexamethasone implant (Ozurdex) for macular edema secondary to retinitis pigmentosa. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2013;251(6):1501-6.
[10] Newsome DA, Blacharsky PA. Grid photocoagulation for macular edema in patients with retinitis pigmentosa. Am J Ophthalmol. 1987;103(2):161-6.
[11] García-Arumí J, Martinez V, Sararols L, Corcostegui B. Vitreoretinal surgery for cystoid macular edema associated with retinitis pigmentosa. Ophthalmology. 2003;110(6):1164-9.
[12] Genead MA, Fishman GA. Cystic macular oedema on spectral-domain optical coherence tomography in choroideremia patients without cystic changes on fundus examination. Eye (Lond). 2011;25(1):84-90.
[13] Genead MA, McAnany JJ, Fishman GA. Topical dorzolamide for treatment of cystoid macular edema in patients with choroideremia. Retina. 2012;32(4):826-33.
[14] Iannaccone A, Fung KH, Eyestone ME, Stone EM. Treatment of adult-onset acute macular retinoschisis in enhanced s-cone syndrome with oral acetazolamide. Am J Ophthalmol. 2009;147(2):307-12.e2.

Auteurs

  • Mohamad Issa

    Ophtalmologiste

    Hôpital Lariboisière ; Hôpital Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild.

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