Œdème maculaire toxique

Devant la survenue d’un œdème maculaire cystoïde (OMC), il est nécessaire d’éliminer une cause médicamenteuse iatrogène, systémique ou topique. En effet, cette démarche systématique permet d’éviter une escalade d’examens diagnostiques inutiles et de mettre en place une démarche thérapeutique adéquate. Le diagnostic repose sur l’interrogatoire du patient, l’examen du fond d’œil et l’OCT maculaire. Une angiographie à la fluorescéine est parfois nécessaire pour éliminer un diagnostic différentiel et révèle une absence de diffusion dans la majorité des cas, témoignant d’un mécanisme physiopathologique différent de celui observé dans les œdèmes avec rupture de la barrière hématorétinienne (BHR).

Traitements systémiques responsables d’OMC 

Tamoxifène
Le tamoxifène (figure 1) est un modulateur sélectif des récepteurs des œstrogènes présents dans le tissu mammaire. Il est largement utilisé sous la forme orale à la dose de 20 mg/j pour le traitement du cancer du sein en présence de récepteurs hormonaux, ou en traitement préventif chez les femmes à haut risque. Il peut également être prescrit à forte dose (200 mg/j) dans le traitement des gliomes malins cérébraux.
La toxicité maculaire au tamoxifène, décrite pour la première fois par Kaiser-Kupfer et Lippman, est rare et survient dans 1,5% des cas à la dose de 20 mg/j pendant 5 ans. Elle est caractérisée par des dépôts intrarétiniens réfringents de type cristallins associés à des cavitations kystiques fovéales hyporéflectives en OCT, qui ne diffusent pas en angiographie à la fluorescéine. Lee et al., dans une étude récente incluant 26 patients, évoquent la similitude des profils OCT et OCT-angiographique entre la rétinopathie au tamoxifène et les télangiectasies maculaires de type 2.

Le mécanisme physiopathologique de la toxicité maculaire au tamoxifène n’est pas complètement élucidé. Celui-ci agirait comme un antagoniste des transporteurs du glutamate des cellules de l’épithélium pigmentaire, à l’origine d’un dysfonctionnement des cellules gliales de Müller responsable de l’atrophie et de la formation de cavitations intrarétiniennes.
L’évolution est variable. Une régression des altérations maculaires est possible à l’arrêt du traitement. À long terme, l’évolution est atrophique, avec la disparition progressive des couches externes des photorécepteurs.

Taxanes
Les taxanes (docétaxel et paclitaxel) (figure 2) sont des inhibiteurs mitotiques utilisés comme agents chimiothérapeutiques dans de nombreux cancers. La toxicité maculaire est rare puisque moins de 20 cas sont rapportés dans la littérature.
Ils sont responsables d’un OM bilatéral symptomatique, caractérisé à l’OCT par une accumulation de liquide intrarétinien prédominant au niveau de la couche plexiforme externe, sans traduction angiographique, associé à une interruption de la zone ellipsoïde et de la ligne d’interdigitation.

Les hypothèses physiopathologiques sont une toxicité directe des taxanes sur les cellules de Müller, à l’origine d’une accumulation de liquide intrarétinien ou d’une dysfonction des microtubules des cellules de l’épithélium pigmentaire.
La majorité des cas est réversible à l’arrêt du traitement. S’il est impossible d’interrompre le traitement, un traitement par acétazolamide oral ou par dorzolamide topique peut s’avérer bénéfique. Les corticoïdes généraux ou intravitréens n’ont pas démontré leur efficacité dans cette indication.

Fingolimod
Le fingolimod est un modulateur des récepteurs de la sphingosine-1-phosphate recommandé dans le traitement de la sclérose en plaques.
Selon 2 essais cliniques de phase III, les altérations maculaires apparaissent après un traitement au long cours chez 0 à 1,6 % des patients en fonction de la dose utilisée. La toxicité maculaire semble être dose-dépendante, avec un délai moyen d’apparition au-delà du troisième mois et une résolution spontanée à l’arrêt du traitement. Le risque de toxicité est majoré en présence de comorbidités associées telles que le diabète et les antécédents d’uvéite.
Le mécanisme physiopathologique serait une altération de la perméabilité vasculaire faisant suite à la dégradation du récepteur sphingosine-1-phosphate.

Acide nicotinique
L’acide nicotinique (ou niacine) est un composé organique qui a été utilisé comme traitement hypocholestérolémiant lorsqu’il était administré par voie orale à forte dose.
La maculopathie à l’acide nicotinique a été décrite pour la première fois par Gass. Elle est caractérisée par un OMC bilatéral et symétrique sans diffusion angiographique. Selon Jampol et al., la niacine serait responsable d’une dysfonction des cellules de Müller sans atteinte de la BHR.
La maculopathie apparaît pour une posologie quotidienne de 3 g/j et plus, et disparaît à l’arrêt du traitement.

Interféron
Les interférons sont des cytokines produites par les cellules du système immunitaire et sont utilisés dans le traitement de pathologies virales mais également en cancérologie.
La complication oculaire la plus fréquente est la rétinopathie caractérisée par des hémorragies prérétiniennes et des nodules cotonneux.
Il existe également des cas plus rares de maculopathie œdémateuse, associée à une rétinopathie toxique dans plus de 80% des cas. Celle-ci apparaît précocement ou plus tardivement après le début du traitement (entre 6 et 48 semaines). La disparition de l’œdème est constante à l’arrêt du traitement. Le mécanisme physiopathologique de l’OMC n’a pas été élucidé.

Autres
D’autres traitements systémiques prescrits dans des indications variées sont responsables d’OMC, le plus souvent réversible à l’arrêt du traitement : la zidovudine (antirétoviral, inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse), la rifabutine (antituberculeux), l’acitrétine (dérivé de la vitamine A, traitement des pathologies cutanées comme le psoriasis), l’imatinib (anticancéreux, inhibiteur de tyrosine kynase), le fluconazole (antifongique), le rituximab (immunothérapie, anticorps monoclonal anti-CD20), le thiazolidinédione (antidiabétique oral retiré du marché français en 2011 en raison de nombreux effets systémiques, imputabilité discutée dans la survenue d’un OMC).

Traitements topiques responsables d’OMC

Analogues des prostaglandines et prostamides
Cette classe thérapeutique est un traitement antiglaucomateux agissant sur la voie uvéosclérale. Les prostamides agissent également sur la voie trabéculaire.
La survenue d’un OM après l’utilisation de latanoprost ou de bimatoprost a été décrite dans de nombreuses publications. L’incidence est très faible (0,006 à 1,2% selon les séries) et semble majorée lorsqu’il existe une rupture préalable de la BHR.

Épinéphrine
L’épinéphrine peut être utilisée comme traitement antiglaucomateux, mais surtout en tant qu’agent mydriatique. La survenue d’un OM après l’administration d’épinéphrine a été décrite dans plusieurs séries chez des patients aphakes. L’OMC est caractérisé par une diffusion en angiographie à la fluorescéine similaire à celle du syndrome d’Irvine-Gass. Il semblerait que l’épinéphrine entraîne la sécrétion de prostaglandines endogènes favorisant la formation de l’OM en cas de rupture préexistante de la BHR.

Conclusion

L’OM d’origine médicamenteuse est probablement sous-diagnostiqué car il n’existe pas toujours de suivi ophtalmologique systématique dans le cadre de ces traitements.
Les causes toxiques médicamenteuses d’un OM sont multiples et sont résumées dans le tableau extrait du rapport de la SFO 2016 sur les OM. Un suivi ophtalmologique semble nécessaire dans ces indications thérapeutiques, a fortiori en cas de plaintes fonctionnelles.
Il est indispensable, pour tout ophtalmologiste, de savoir les identifier afin de permettre un arrêt précoce du toxique, lorsque celui-ci est possible, avant l’apparition d’altérations maculaires atrophiques irréversibles. La décision de suspendre le traitement doit être prise de manière collégiale. Dans la majorité des cas, l’OM est réversible à l’arrêt du traitement.
Dans le cas d’un OMC réfractaire ou lorsque l’arrêt du traitement est impossible, les anti-inflammatoires locaux (stéroïdiens ou non stéroïdiens), les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (topique ou oral) et les anti-VEGF intravitréens sont des alternatives thérapeutiques possibles, avec une efficacité variable.
Il est également important de réaliser une déclaration de pharmacovigilance afin que ces effets indésirables ne restent pas méconnus.

Références bibliographiques
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[3] Creuzot-Garcher C, Massin P. Œdèmes maculaires. Rapport SFO. Elsevier-Masson, Paris. 2016.

Pour en savoir plus
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Hsu St, Ponugoti A, Deaner JD, Vajsovic L. Update on retinal drug toxicities. Curr Ophthalmol Rep. 2021;1-10.
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