OCT et cartographie épithéliale dans la sécheresse oculaire
L’imagerie OCT du segment antérieur est devenue un outil important dans le bilan des pathologies de la surface oculaire, au premier rang desquelles figure la sécheresse oculaire. Elle permet un bilan lésionnel plus complet, le diagnostic de certaines causes ou pathologies associées, la recherche de complications et le suivi de l’efficacité de nombreuses solutions thérapeutiques.
OCT de segment antérieur
La tomographie par cohérence optique (OCT) est une technique d’imagerie non invasive qui utilise l’interférence de la lumière pour effectuer une coupe transversale à haute résolution. Elle peut aussi permettre la réalisation d’une image dite « en face » en compilant des scans transversaux. Cette modalité d’imagerie permet l’évaluation de diverses maladies de la surface oculaire, plus particulièrement l’analyse de la conjonctive et de la cornée. Depuis l’avènement de l’OCT-Spectral Domain (OCT-SD), on obtient une imagerie de haute résolution permettant d’analyser avec précision toutes les couches de la cornée (figure 1).
L’analyse biométrique du segment antérieur et de la surface oculaire a largement bénéficié de cette technique objective et totalement non invasive. Les nouveaux appareils d’OCT de segment antérieur (OCT-SD et UHR-OCT) sont capables de mesurer l’épaisseur de l’ensemble de la cornée et de chaque couche séparément, depuis l’épithélium jusqu’à l’endothélium. La pachymétrie mesurée en OCT est fiable, reproductible et corrélée à la pachymétrie ultrasonore. Les dernières avancées technologiques ont permis d’étudier la réponse épithéliale à différentes conditions, telles la chirurgie réfractive cornéenne, les ectasies cornéennes ou encore la chirurgie de la cataracte [1].
La profondeur d’anomalies ou de cicatrices tissulaires cornéennes peut être déterminée de manière précise. Ces mesures quantitatives sont aussi obtenues au niveau du limbe et de la conjonctive et apportent des informations utiles à la compréhension de pathologies de la surface oculaire, comme la sécheresse oculaire ou la toxicité des traitements du glaucome.
La microscopie confocale in vitro (IVCM) permet d’explorer les anomalies morphologiques de la cornée à un plus haut niveau de précision. Mais contrairement à l’IVCM, l’OCT de segment antérieur permet un examen sans contact, plus facilement réalisable en pratique courante, et une évaluation précise des couches cornéennes avec un champ d’acquisition plus large [2].
Analyse de l’épithélium cornéen
Avec une grande fiabilité et répétabilité, l’OCT a été choisi dans plusieurs études pour évaluer l’épaisseur de l’épithélium cornéen dans les maladies oculaires. L’épithélium cornéen est un tissu dynamique et il présente des capacités de remodelage rapportées dès 1921 par Alfred Vogt qui a observé un changement de l’épaisseur épithéliale en fonction des irrégularités stromales. Tous les mécanismes précis de ce remodelage épithélial sont encore mal compris mais ils reposent essentiellement sur une balance entre les capacités de prolifération épithéliale et la perte cellulaire superficielle influencée en partie par les contraintes mécaniques subies par l’épithélium cornéen [3]. Ce remodelage semble alors se manifester par un épaississement épithélial au niveau des zones d’amincissement stromal et par un amincissement épithélial au niveau des zones les plus cambrées. Le kératocône est par exemple caractérisé par un amincissement de l’épithélium apical dès ses premiers stades [4].
L’impact de ce stress mécanique sur la cartographie d’épaisseur épithéliale en OCT ne semble pas se retrouver uniquement dans le remodelage épithélial des cornées ectasiques ou en chirurgie réfractive. Des variations épithéliales ont été décrites dans d’autres pathologies cornéennes, comme la dystrophie de la membrane basale épithéliale, ou syndrome de Cogan, dans laquelle il existerait un « effet chasse-neige » de la paupière supérieure qui expliquerait l’existence d’un épithélium cornéen épaissi dans les régions centrales et inférieures chez ces patients [5].
Concernant la sécheresse oculaire, plusieurs études ont rapporté un amincissement épithélial significatif par rapport aux témoins, dans toutes les zones de cartographie OCT. L’épaisseur épithéliale intermédiaire supérieure était le meilleur marqueur pour diagnostiquer le syndrome sec à l’aide de l’OCT [6].
Analyse de l’épithélium limbique et conjonctival
Le limbe est la barrière anatomique et fonctionnelle entre les épithéliums cornéen et conjonctival. Il se caractérise par la présence de la niche des cellules souches limbiques, qui permet de maintenir l’homéostasie cornéenne. Le déficit en cellules souches limbiques se traduit par un double processus : une régénération insuffisante de l’épithélium cornéen, qui ne peut donc pas assurer sa fonction de support physiologique, associée à une invasion cornéenne par prolifération conjonctivale. L’OCT-SD de la cornée centrale et du limbe, avec des balayages à orientations variables, permet alors une analyse rapide, globale et non invasive. Chez les patients présentant un déficit en cellules souches limbiques, il montre un épithélium limbique fin, dépourvu de l’épaississement normalement observé. On constate aussi une absence d’ondulations stromales et de cryptes limbiques dans les coupes transversales et parallèles au limbe. Dans les coupes en face, ont été décrites l’absence de cryptes limbiques visibles, la perte de transition claire entre l’épithélium cornéen hyporéflectif et l’épithélium conjonctival hyperréflectif, et la fibrose sous-épithéliale hyperréflective [7].
Une étude s’est aussi intéressée à mesurer les épaisseurs épithéliales conjonctivale et limbique en OCT-SD. Les épaisseurs épithéliales limbiques moyennes étaient significativement plus faibles dans le groupe présentant une sécheresse oculaire par rapport au groupe témoin. L’épithélium conjonctival bulbaire moyen était significativement plus épais dans le groupe sécheresse oculaire par rapport au groupe témoin. De façon intéressante, les patients utilisant des traitements hypotonisants conservés montraient des épaisseurs similaires à celles des yeux secs [8].
Analyse OCT du film lacrymal
L’imagerie par OCT a aussi été utilisée pour analyser et quantifier le film lacrymal et le ménisque des larmes (figure 3). Elle peut permettre un calcul de la clairance lacrymale par une étude dynamique de ce ménisque. Cette technique a par ailleurs permis d’évaluer l’efficacité de traitements contre la sécheresse oculaire, comme l’occlusion des points lacrymaux. Lors de l’examen des patients porteurs de lentilles de contact, l’OCT peut renseigner sur l’état d’hydratation de la cornée et aider à l’adaptation des lentilles sur la surface cornéenne et limbique [9].
Points essentiels
• L’OCT-SD offre une imagerie de haute résolution permettant une analyse fine de toutes les structures et couches de la cornée, de l’épithélium à l’endothélium.
• Les OCT de segment antérieur offrent la possibilité d’imagerie en coupe, en face et la réalisation de cartes pachymétriques de l’ensemble de la cornée, du stroma et de l’épithélium.
• L’OCT est utile dans le bilan anatomique et fonctionnel de la sécheresse oculaire, ainsi que pour la recherche de pathologies associées et pour le suivi de certains moyens thérapeutiques.
Pour aller plus loin
Puech M. L’imagerie en ophtalmologie. In: Rapport SFO 2015. La surface oculaire. Pisella PJ, Baudouin C, Hoang-Xuan T, eds. Elsevier Masson, Paris.
Références bibliographiques
[1] Fayol N, Labbé A, Dupont-Monod S et al. [Contribution of confocal microscopy and anterior chamber OCT to the study of corneal endothelial pathologies]. J Fr Ophtalmol. 2007;30(4):348-56.
[2] Ghouali W, Hassani RT, Liang H et al. [Imaging of corneal dystrophies: Correlations between en face anterior segment OCT and in vivo confocal microscopy]. J Fr Ophtalmol. 2015;38(5):388-94.
[3] Amatu JB, Baudouin C, Trinh L, Labbé A, Buffault J. Biomécanique de l’épithélium cornéen : résistance au stress et implications dans la cicatrisation et le remodelage. J Fr Ophtalmol. 2023 Feb 7:S0181-5512(23)00032-3.
[4] Hassani RT, Liang H, El Sanharawi M et al. En-face optical coherence tomography as a novel tool for exploring the ocular surface: a pilot comparative study to conventional B-scans and in vivo confocal microscopy. Ocul Surf. 2014;12(4):285-306.
[5] Buffault J, Zéboulon P, Liang H et al. Assessment of corneal epithelial thickness mapping in epithelial basement membrane dystrophy. PLoS One. 2020;15(11):e0239124.
[6] Edorh NA, El Maftouhi A, Djerada Z et al. New model to better diagnose dry eye disease integrating OCT corneal epithelial mapping. Br J Ophthalmol. 2022;106(11):1488-95.
[7] Liang Q, Le Q, Cordova DW et al. Corneal epithelial thickness measured using anterior segment optical coherence tomography as a diagnostic parameter for limbal stem cell deficiency. Am J Ophthalmol. 2020;216:132-9.
[8] Francoz M, Karamoko I, Baudouin C, Labbé A. Ocular surface epithelial thickness evaluation with spectral-domain optical coherence tomography. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2011;52(12):9116-23.
[9] Valdes G, Romaguera M, Serramito M et al. OCT applications in contact lens fitting. Cont Lens Anterior Eye. 2022;45(4):101540.