Manifestations rétiniennes des hémopathies

Les hémopathies, telles que les leucémies, peuvent s’associer dans de rares cas à des atteintes rétiniennes très évocatrices (infiltration du nerf optique, taches de Roth) mais également, le plus souvent, à une atteinte rétinienne non spécifique correspondant à des signes indirects de microangiopathie, témoin de l’atteinte microcirculatoire. Une forme particulière doit être identifiée dans le cadre des syndromes d’hyperviscosité sanguine appelée rétinopathie liée à l’hyperviscosité.
Enfin, une rétinopathie peut également être identifiée au cours des hémoglobinopathies, dont la maladie la plus fréquente est la drépanocytose, à l’origine d’une atteinte ischémique rétinienne périphérique appelée rétinopathie drépanocytaire.

Rétinopathie anémique

L’anémie peut causer une rétinopathie chez environ 28% des patients qui en sont atteints, particulièrement dans le cas d’une thrombopénie associée (38%). Plus l’anémie est sévère, plus le risque de rétinopathie est important, et celui-ci augmente également en cas d’association à une thrombopénie. Il existe en général des signes rétiniens au cours des anémies lorsque le taux d’hémoglobine passe sous la barre des 8 g/dL. L’anémie est alors responsable d’une hypoxie rétinienne, ce qui conduit à un certain degré d’ischémie rétinienne.

Les signes rétiniens observés sont :
- des hémorragies rétiniennes situées préférentiellement au pôle postérieur sous forme de flammèches ou rondes « en flaque » ;
- des taches de Roth (figure 1) : hémorragies « en flaque » centrée par un point blanc (qui doivent particulièrement orienter le bilan vers la recherche d’une anémie liée à une hémopathie) ;
- nodules cotonneux, témoins de l’atteinte de la microcirculation rétinienne.
Par ailleurs, on observe parfois des anomalies rétiniennes en rapport avec la cause de l’anémie, et d’autre part, l’hypoxie liée à l’anémie peut aggraver d’autres formes cliniques ischémiques, telle la rétinopathie diabétique.

Leucémies aiguës

Les leucémies aiguës sont des affections malignes du tissu hématopoïétique. Les atteintes rétiniennes, ou rétinopathies leucémiques, peuvent résulter de différents mécanismes. L’atteinte oculaire est présente dans 10 à 30% des cas de leucémies aiguës. La rétine est le principal tissu atteint, même si la choroïde et le nerf optique peuvent également être touchés. L’atteinte oculaire peut être diagnostiquée après le diagnostic de leucémie, elle peut être présente au moment du diagnostic ou même constituer un signe inaugural de la maladie. L’atteinte ophtalmologique peut être primitive/directe – liée à une infiltration directe du nerf optique (figure 1) en cas d’atteinte neuroméningée ou de la choroïde – ou secondaire/indirecte – conséquence de l’anémie ou de la thrombopénie sous forme d’hémorragies rétiniennes (figure 2), de nodules cotonneux, d’hémorragies maculaires, rétrohyaloïdiennes ou intravitréennes.

Syndrome d’hyperviscosité sanguine et rétinopathie liée à l’hyperviscosité

Le syndrome d’hyperviscosité sanguine peut être la conséquence :
- d’une augmentation du taux de protides plasmatiques observée aux cours des dysglobulinémies monoclononales (maladie de Waldenström, myélome) ou des cryoglobulinémies ;
- d’une augmentation du nombre d’éléments figurés du sang : polycythémies primitives (maladie de Vaquez) ou secondaires (insuffisance respiratoire) ;
- d’un syndrome lymphoprolifératif (leucémie lymphoïde chronique).
Ce syndrome d’hyperviscosité sanguine peut se manifester au niveau rétinien par une dilatation et une tortuosité veineuses pouvant également se compliquer d’une hyperperméabilité veineuse, d’hémorragies rétiniennes secondaires à une ischémie rétinienne par ralentissement circulatoire, à des taches de Roth, à des nodules cotonneux (témoins de l’atteinte microcirculatoire), avec, dans les cas les plus graves, une néovascularisation prérétinienne périphérique ou un œdème papillaire.
Par ailleurs, l’hyperperméabilité vasculaire peut être à l’origine de phénomènes exsudatifs intra- ou sous-rétiniens, tels qu’un œdème maculaire ou un décollement séreux rétinien.

Ces signes de rétinopathie liée à l’hyperviscosité (figure 3) sont bilatéraux mais peuvent tout à fait être asymétriques. La découverte au fond d’œil de signes évocateurs d’une hyperviscosité sanguine doit conduire à la réalisation d’un bilan sanguin comprenant une numération formule sanguine et une électrophorèse des protéines plasmatiques. Lorsqu’un syndrome d’hyperviscosité sanguine se complique d’une atteinte rétinienne, il s’agit d’une urgence thérapeutique car il faut éviter une évolution vers un tableau d’occlusion de la veine centrale de la rétine par ralentissement circulatoire. Le traitement sera strictement hématologique, basé sur les échanges plasmatiques.
Chez les patients atteints d’une rétinopathie liée à l’hyperviscosité secondaire à une maladie de Waldenström, les échanges plasmatiques (plasmaphérèse) ont montré que le bénéfice sur la viscosité sanguine était directement corrélé avec la normalisation du calibre veineux rétinien [1].

Les diagnostics différentiels de cette rétinopathie liée à l’hyperviscosité sont l’insuffisance carotidienne (qui peut parfois être bilatérale), l’occlusion de la veine centrale de rétine (mais qui est en général unilatérale), la rétinopathie diabétique et la rétinopathie hypertensive.

Rétinopathie drépanocytaire

La drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente. Trois cent mille enfants naissent chaque année dans le monde atteints de cette pathologie. Elle est caractérisée par une anomalie de l’hémoglobine lui permettant de former des polymères lorsque la concentration d’oxygène dans le sang est faible. Ces polymères forment de grandes fibres qui déforment les hématies et leur donnent cette forme caractéristique de faucille. L’hémoglobine des sujets drépanocytaires est dite « S » pour Sickle, qui signifie faucille en anglais. Il existe plusieurs formes de drépanocytoses :
- la forme homozygote SS, qui s’associe à des manifestations systémiques sévères ;
- la forme hétérozygote SC, qui s’associe à des manifestations ophtalmologiques plus fréquentes et plus sévères ;
- d’autres formes : S-Thal, paucisymptomatiques, AS, correspondant au trait drépanocytaire, également paucisymptomatiques.
Sur le plan rétinien, différentes anomalies peuvent être observées, telles que des occlusions artérielles périphériques, des taches saumonées (correspondant à des hémorragies superficielles dont la couleur est liée à l’hémolyse), des Black Sunburst (lésions pigmentées qui correspondent à des hémorragies intrarétiniennes anciennes au sein desquelles du pigment a migré), des proliférations néovasculaires prérétiniennes et des stries angioïdes. Ces dernières sont particulièrement retrouvées à l’examen des patients homozygotes SS. La fréquence de l’association des stries avec la drépanocytose est de l’ordre de 25% en moyenne et augmente avec l’âge.

La classification de Goldberg, concernant la sévérité de la rétinopathie drépanocytaire, comprend 5 stades :
- stade 1 : occlusions des artérioles périphériques ;
- stade 2 : anastomoses artériolo-veinulaires ;
- stade 3 : néovaisseaux prérétiniens appelés Sea Fan (figure 4) ;
- stade 4 : hémorragie intravitréenne ;
- stade 5 : décollement de rétine tractionnel.

L’imagerie ultra grand champ a largement contribué à améliorer le diagnostic de sévérité de la rétinopathie drépanocytaire car les lésions sont situées en extrême périphérie [2], et l’angiographie à la fluorescéine permet également un diagnostic plus aisé des territoires ischémiques périphériques et une visualisation facilitée des anastomoses artérioveineuses et des néovaisseaux prérétiniens [3].
Le traitement de la rétinopathie drépanocytaire est indiqué lorsqu’apparaît une prolifération prérétinienne, et a pour objectif de photocoaguler le territoire ischémique rétinien périphérique en regard de la lésion néovasculaire (stade 3 de la classification de Goldberg). L’objectif est d’éviter l’évolution vers une hémorragie intravitréenne (stade 4) et un décollement de rétine tractionnel (stade 5). Il faut toutefois noter la possibilité d’une régression spontanée de la prolifération dans 32% des cas.

Conclusion

Les lésions rétiniennes les plus fréquentes au cours des hémopathies sont assez peu spécifiques et correspondent à une rétinopathie ischémique. L’aspect hémorragique en flaque centrée par un infiltrat blanc appelé « tache de Roth » doit orienter vers la recherche d’une hémopathie. Plus rarement au cours des hémopathies, des infiltrations tumorales peuvent être observées. La rétinopathie liée à l’hyperviscosité dans sa forme sévère doit conduire à une discussion conjointe avec l’hématologue afin d’envisager un traitement par échanges plasmatiques. Enfin la rétinopathie drépanocytaire doit faire l’objet d’un dépistage régulier afin de traiter les patients à risque d’évolution vers un décollement de rétine tractionnel, en cas de néovascularisation prérétinienne.

Références bibliographiques
[1] Menke MN, Feke GT, McMeel JW, Treon SP. Effect of plasmapheresis on hyperviscosity-related retinopathy and retinal hemodynamics in patients with Waldenström’s macroglobulinemia. Invest Ophtalmol Vis Sci. 2008;49(3):1157-60.
[2] Drouglazet G, Fajnkuchen F, Amari F et al. Comparison between ultra-widefield and 7-standard field angiography for proliferative sickle cell retinopathy screening, follow-up and classification. J Ophthalmic Clin Res. 2019;6:60.
[3] Torres-Villaros H, Fajnkuchen F, Amari F et al. Comparison of ultra-wide field photography to ultra-wide field angiography for the staging of sickle cell retinopathy. J Clin Med. 2022;11(4):936.

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