Maculopathies associées aux fossettes colobomateuses : suivi et prise en charge

Les fossettes colobomateuses sont des anomalies congénitales du nerf optique. On estime qu’elles provoquent dans 25 à 75% des cas une maculopathie qui associe un rétinoschisis et/ou un décollement séreux rétinien. Un diagnostic initial correct n’est posé que dans 25% des cas. Le traitement chirurgical est envisagé lorsqu’une baisse de la vision est constatée. Il consiste le plus souvent en une vitrectomie avec décollement postérieur du vitré.

Les fossettes colobomateuses sont liées à une déhiscence de la lame criblée du nerf optique, qui provoque une hernie de rétine dysplasique, limitée par une paroi de collagène [1]. Cette anomalie touche 1 œil sur 11 000 (selon la Blue Mountain Study) et est majoritairement unilatérale (bilatérale dans 15% des cas). Les fossettes apparaissent au fond d’œil comme une dépression grisâtre, le plus souvent en temporal du nerf optique (figure 1A).
Cette maculopathie associe un rétinoschisis et/ou un décollement séreux rétinien (DSR). Elle concerne le plus souvent des patients de 31 à 40 ans, bien qu’elle soit possible à tout âge. L’OCT, avec la réalisation de coupes fines au niveau du nerf optique, est particulièrement intéressant pour visualiser la fossette et préciser l’atteinte maculaire (figures 1B et 1C). D’autres anomalies cavitaires du nerf optique, moins fréquentes, peuvent être responsables de maculopathies similaires (colobome de la papille, « Morning Glory » ou, de façon rare, les glaucomes avancés).

Il est important de connaître les maculopathies associées aux fossettes colobomateuses puisqu’une phase d’errance diagnostique est fréquemment retrouvée [2], avec un diagnostic initial correct de maculopathie liée aux fossettes dans 25% des cas seulement. Les diagnostics confondants sont la choriorétinopathie séreuse centrale, la DMLA exsudative, les néovaisseaux du myope fort ou idiopathiques. Il est donc particulièrement important de rechercher la présence d’une fossette colobomateuse dans le bilan d’un DSR ou d’un schisis intrarétinien.

Physiopathologie

L’anatomie d’une fossette colobomateuse va mettre en relation différentes structures : le vitré, une hernie de rétine dysplasique au travers d’une déhiscence de la lame criblée, un sac, et l’espace sous-arachnoïdien [3] (figure 2A). Différentes théories peuvent expliquer la genèse du fluide intra- ou sous-rétinien : le fluide originaire du vitré, le fluide originaire de l’espace sous-arachnoïdien et le rôle des tractions vitréennes sur la fossette.

Fluide originaire du vitré
Pour certains auteurs, le liquide sous-rétinien viendrait du vitré liquéfié. Les changements posturaux de la pression intracrânienne agiraient comme un système de « pompe », allant alternativement remplir et vider le compartiment au fond de la fossette (figure 2B). Cette théorie est sous-tendue par le fait que les tamponnements intravitréens (gaz, silicone, perfluorocarbone) puissent parfois se retrouver en sous-rétinien. D’autre part, le drainage du fluide sous-rétinien est parfois possible en aspirant au niveau de la fossette, ce qui va dans le sens d’une communication directe entre le vitré et l’espace sous rétinien via la fossette.

Fluide originaire de l’espace sous-arachnoïdien
Une autre théorie a été proposée par Gass en 1969 : le liquide pourrait être du liquide céphalorachidien (LCR) originaire de l’espace sous-arachnoïdien, et provoquer une maculopathie en passant au travers de la fossette (figure 2C). Cette théorie permet d’expliquer les cas de maculopathies liées aux fossettes chez les enfants (chez lesquels le vitré n’est pas liquéfié). Il existe des cas rapportés de passage de silicone en intra-cérébroventriculaire après la vitrectomie d’yeux atteints de fossettes colobomateuses, attestant la communication entre le compartiment intraoculaire et le LCR. Enfin, la composition du liquide sous-rétinien est histologiquement proche du LCR.

Rôle des tractions vitréennes sur la fossette
Les tractions vitréennes sur la fossette jouent probablement un rôle dans la genèse du fluide sous-rétinien. Le décollement postérieur du vitré (DPV) est habituellement absent dans le cas d’une maculopathie liée aux fossettes, et des cas de résolution spontanée après un DPV ont été décrits. Il existe fréquemment (89 à 100% des cas selon les séries) du matériel fibroglial en regard de la fossette, pouvant possiblement exercer une traction sur celle-ci. De plus, la vitrectomie et l’indentation maculaire sont efficaces pour traiter les fossettes.

Histoire naturelle et indications de traitement

L’évolution naturelle des maculopathies liées aux fossettes est souvent péjorative dans le cas d’un DSR : dans la série de Sobol et al. [4], sur 15 patients présentant une maculopathie liée à une fossette avec DSR surveillés pendant 9 ans, l’acuité visuelle finale est inférieure à 1/10 dans 80% des cas.
De récents travaux effectués par l’équipe de David Steel [5], fondés sur un registre national de fossettes colobomateuses au Royaume-Uni, précisent mieux l’histoire naturelle des maculopathies liées aux fossettes. Cette étude divisait les patients en 2 groupes : avec ou sans DSR rétrofovéolaire.
Les patients sans DSR rétrofovéolaire (schisis intrarétinien isolé) constituaient 45% des cas. On constate qu’après un suivi moyen de 40 mois, seuls 14% ont nécessité une chirurgie, et que l’acuité visuelle était conservée sur la période de suivi. La simple présence d’un schisis rétinien sans DSR n’a donc souvent qu’un retentissement modéré sur l’acuité visuelle.
Les patients présentant un DSR rétrofovéolaire constituaient 55% des cas : 19% d’entre eux se sont améliorés spontanément, avec résolution complète du DSR, et 50% d’entre eux ont nécessité une chirurgie. Parmi les patients opérés, il n’y avait pas de différence de résultats visuels et anatomiques entre le groupe opéré d’emblée et les patients ayant eu une chirurgie différée à plus de 6 mois.
On peut donc en retenir que :
- un traitement chirurgical n’est nécessaire que dans le cas d’une baisse de vision, souvent en lien avec un DSR rétrofovéolaire ;
- il est important de connaître la cinétique d’évolution sur plusieurs OCT espacés dans le temps avant de poser une indication chirurgicale. Le fait de retarder la chirurgie ne semble pas être délétère sur le résultat final.

Traitement chirurgical

La chirurgie la plus pratiquée et qui a fait la preuve de son efficacité est la vitrectomie avec décollement postérieur du vitré (figure 3). Elle est parfois, selon les équipes, associée à différents gestes complémentaires comme le laser juxtapapillaire, la fenestration rétinienne, l’utilisation de divers matériaux pour combler la fossette (membrane limitante interne autologue, concentré plaquettaire, membrane amniotique, sclère, plug en silicone…) ou l’utilisation de tamponnement. Une seule équipe utilise une stratégie différente d’indentation maculaire, cette technique ne s’étant pas répandue à cause de sa complexité (nécessité d’une échographie en mode B peropératoire pour positionner l’indentation), malgré son efficacité similaire.

Les fossettes colobomateuses étant rares, les résultats publiés dans la littérature sont issus de petites séries. Une méta-analyse récente [6] ayant étudié les patients opérés par vitrectomie pour une fossette colobomateuse rapporte un gain visuel moyen de 0,46 LogMAR et une résolution anatomique de la maculopathie dans 70% des cas. À noter que le temps moyen de résolution anatomique complète est particulièrement long, en moyenne 9 mois. Ce taux de résolution est similaire quelle que soit la technique chirurgicale : l’adjonction de laser juxtapapillaire, le pelage de limitante interne, les fenestrations rétiniennes n’augmentent pas de façon significative le taux de succès. Il n’y a pas de bénéfices prouvés d’un tamponnement par air ou par gaz.
On peut donc en retenir que la vitrectomie avec réalisation du DPV est la chirurgie à réaliser en première intention, avec de bons résultats, et que les gestes complémentaires sont plutôt à discuter dans les cas réfractaires ou récidivants.

Points forts
• Penser à rechercher une fossette colobomateuse au fond d’œil dans le cas d’un schisis ou d’un décollement séreux rétinien.
• Informer les patients ayant des fossettes de découverte fortuite du risque de maculopathie.
• Indication chirurgicale si baisse de vision (souvent associée au DSR) après une phase d’observation initiale.
• Traitement chirurgical par vitrectomie avec DPV. Des gestes complémentaires peuvent se discuter, surtout en présence d’une récidive.
• Prévenir le patient que la récupération est longue (9 mois en moyenne) et que plusieurs chirurgies peuvent être nécessaires.

Références bibliographiques
[1] Korobelnik J-F, Tadayoni R. Décollement de la rétine, chirurgie maculaire. Paris : Lavoisier, 2012.
[2] Iglicki M, Busch C, Loewenstein A et al. Underdiagnosed optic disk pit maculopathy: spectral domain optical coherence tomography features for accurate diagnosis. Retina. 2019;39(11):2161-6.
[3] Jain N, Johnson MW. Pathogenesis and treatment of maculopathy associated with cavitary optic disc anomalies. Am J Ophthalmol. 2014;158(3):423-35.
[4] Sobol WM, Blodi CF, Folk JC, Weingeist TA. Long-term visual outcome in patients with optic nerve pit and serous retinal detachment of the macula. Ophthalmology. 1990;97(11):1539-42.
[5] Steel DHW, Suleman J, Murphy DC et al. Optic disc pit maculopathy: a two-year nationwide prospective population-based study. Ophthalmology. 2018;125(11):1757-64.
[6] Zheng A, Singh RP, Lavine JA. Surgical options and outcomes in the treatment of optic pit maculopathy: a meta-analysis and systematic review. Ophthalmol Retina. 2020;4(3):289-99. 

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