Lésions de l’épithélium pigmentaire rétinien dans les pathologies inflammatoires
Élément majeur de la rétine, l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR) est lié à la choriocapillaire et aux photorécepteurs, avec un risque d’endommagement conjoint dans le cas d’une atteinte inflammatoire ou infectieuse. Les maladies inflammatoires peuvent altérer l’EPR soit de manière directe (photoréceptorites), soit via une ischémie de la choriocapillaire (choriocapillaropathie inflammatoire).
Fonctions de l’EPR
L’épithélium pigmentaire rétinien est en contact avec les photorécepteurs d’un côté et avec la choroïde de l’autre, dont il est séparé par la membrane de Bruch. Il assure de nombreuses fonctions, à savoir la barrière hémato-rétinienne externe, l’absorption de la lumière, le transport épithélial, l’élimination des déchets (cycle rétinoïde), le renouvellement et la phagocytose des segments externes usagés des photorécepteurs, ainsi que la modulation immunitaire. Il contient des pigments formés principalement de grains de mélanine et de lipofuscine, réactifs aux photons de courtes longueurs d’onde bleus (lipofuscine), et au proche infrarouge (mélanine). La rétine externe est approvisionnée en oxygène et en nutriments principalement par la choriocapillaire via l’EPR plutôt que par la circulation rétinienne. Les photorécepteurs sont des cellules exigeantes sur le plan métabolique et sont donc très fragiles. Un manque d’oxygène, comme c’est le cas lors d’une non-perfusion de la choriocapillaire, peut entraîner la perte des segments externes des photorécepteurs. L’EPR présente un métabolisme beaucoup plus résistant au stress oxydatif et à l’hypoxémie. Sur des rats, les cellules de l’EPR soumises à l’hypoxie doublaient de taille, stockaient davantage de nutriments pour survivre, privant les photorécepteurs de l’énergie dont ils avaient besoin, expliquant les effets délétères sur les photorécepteurs.
Mécanismes lésionnels de l’EPR dans les inflammations oculaires
Dans les inflammations oculaires affectant la rétine externe, l’EPR peut être altéré par 2 grands mécanismes lésionnels qui peuvent être intriqués pour un même patient :
- d’une part, l’atteinte en premier lieu du complexe EPR-photorécepteurs, comme dans les photoréceptorites ou la rétinopathie externe occulte zonale aiguë (AZOOR). Cette atteinte peut évoluer et entraîner des dommages collatéraux, avec une atrophie choriorétinienne et une perte épithéliale. De nombreuses conjectures restent en suspens concernant les mécanismes à l’origine d’une photoréceptorite, comme des facteurs pro-inflammatoires, dégénératifs ou des anticorps intrarétiniens ;
- d’autre part, l’EP peut être endommagé lors d’une choriocapillaropathie inflammatoire (CCPI) : l’inflammation de la choriocapillaire génère une non-perfusion ou une ischémie de la choriocapillaire, et donc une altération du complexe EPR-photorécepteurs sus-jacents. Les CCPI comprennent le syndrome des taches blanches évanescentes (MEWDS), la choroïdite multifocale idiopathique (CMF), l’épithéliopathie en plaques, la choroïdite serpigineuse et la choriorétinite placoïde aiguë syphilitique [1]. Certains auteurs classent le MEWDS parmi les photoréceptorites. Les étiologies possibles sont des maladies infectieuses ou inflammatoires.
Malgré des mécanismes physiopathologiques parfois similaires, l’évolution naturelle et la destruction anatomique induite par l’inflammation ne se ressemblent pas pour chaque entité. En général, la choriocapillaropathie légère ou la photoréceptorite n’endommagent pas gravement les cellules de l’EPR, qui sont métaboliquement résistantes. Par exemple, l’EPR est rarement endommagé dans le cas du MEWDS. Dans le cas de la CMF, l’extension et l’intensité de l’ischémie de la choriocapillaire sont plus importantes, provoquant des lésions des cellules de l’EPR sous forme de cicatrices choriorétiniennes ponctuées et des petits DEP inflammatoires. Des CCPI plus agressives, telles que l’épithéliopathie en plaques ou la choroïdite serpigineuse, produisent une ischémie sévère entraînant la perte des cellules de l’EPR habituellement résistantes ainsi que des cicatrices choriorétiniennes.
Imagerie au vert d’indocyanine et autofluorescence
L’angiographie au vert d’indocyanine (ICGA) est l’examen de référence pour caractériser les CCPI primaires ou les atteintes de l’EPR. Au temps précoce, l’ICGA détecte une non-perfusion hypofluorescente de la choriocapillaire, même minime, qui peut être corrélée avec l’OCTA. Au temps très tardif (40 minutes), l’ICGA permet d’évaluer l’état fonctionnel de l’EPR : l’EPR sain présente une hyperfluorescence tardive physiologique. Cette hyperfluorescence est due à l’accumulation active et progressive de l’ICG dans les cellules saines de l’EPR via un cotransporteur Na+. Une hypofluorescence tardive en ICG dénote une perte de cette fonction et donc une altération des cellules épithéliales [2].
L’autofluorescence est une imagerie utile pour évaluer la santé et la fonction de l’EPR, car l’intensité du signal est liée à la quantité et à la distribution de la lipofuscine dans l’EPR. Ainsi, une hyper-autofluorescence montre des quantités excessives de lipofuscine accumulées, secondaires à des dommages cellulaires oxydatifs ou à une hypertrophie de l’EPR ; une hypo-autofluorescence montre une perte cellulaire épithéliale.
Atteintes primaires de l’épithélium pigmentaire
Les cellules de l’EPR peuvent être atteintes directement par un phénomène inflammatoire ou un pathogène infectieux. Des études in vitro montrent que l’EPR peut être atteint par des virus (Influenza, Zika, West Nile, Ebola), des bactéries (tuberculose, syphilis, chlamydia), voire la toxoplasmose. Rao et al. ont révélé la présence de Mycobacterium tuberculosis directement au sein de l’EPR chez un patient énucléé avec une panuvéite tuberculeuse, malgré une réaction inflammatoire concernant toute la rétine [3]. Les auteurs s’interrogent si l’EPR est un site privilégié par M. tuberculosis ou si cette bactérie s’accumule au sein de l’EPR, qui a un rôle de phagocytose des bactéries. En outre, ils suggèrent que les récidives de la choroïdite tuberculeuse pourraient résulter de la réactivation des organismes séquestrés dans l’EPR. La prévention de ces récidives et l’élimination des organismes séquestrés nécessitent un traitement long (de préférence au moins 6 à 9 mois), avec des antibiotiques anti-mycobactéries systémiques.
AZOOR : la rétinopathie externe occulte zonale aiguë (AZOOR) est une photoréceptorite primaire rare, avec une choriocapillaire perfusée et préservée [4]. Elle touche des femmes jeunes ou d’âge moyen, avec une amputation aiguë du champ visuel dans un œil ou les deux, associée à des photopsies, une diminution de la sensibilité aux contrastes et une photophobie due à une perte aiguë de zones de rétine externe. Le fond d’œil est essentiellement normal au moment de la présentation, mais il peut ultérieurement présenter des amas de pigments avec une progression de l’atrophie rétino-choroïdienne. Au cours des stades chroniques, les zones affectées présentent typiquement des signes d’atrophie de l’EPR et/ou de migration intrarétinienne de pigment. L’autofluorescence montre clairement 3 zones : une zone centrale hypo-autofluorescente (atrophie complète de la rétine externe, atrophie de l’EPR, amincissement de la choroïde) entourée d’une bordure hyper-autofluorescente (accumulation de lipofuscine, perte de la zone ellipsoïde) qui est bien séparée de la rétine normale (figure 1).
MEWDS : Herbort et al. classent le MEWDS parmi les CCPI, tandis que d’autres experts, dont le Pr Gaudric, le considèrent comme une photoréceptorite avec une altération primaire de l’EPR sans atteinte de la choriocapillaire [2-5]. Le patient présente de nombreuses taches jaune-blanc isolées ou confluentes, mesurant de 100 à 200 µm, au niveau de l’EPR ou de la rétine profonde, au pôle postérieur, avec une granularité fovéale typique. Les lésions sont bien visibles en autofluorescence. Les lésions hyper-autofluorescentes peuvent être le résultat d’un effet de démasquage de l’autofluorescence de l’EPR ou être secondaires à un épaississement des cellules de l’EPR.
L’OCT montre une désorganisation marquée de la rétine externe, de la zone ellipsoïde et de la ligne d’interdigitation, associée à un aspect granité de l’EPR sous-jacent. En angiographie en ICG, les lésions de MEWDS sont habituellement silencieuses aux temps précoces/intermédiaires, puis deviennent très évidentes hypofluorescentes dans les phases tardives (supérieures à 20 min) de l’examen, avec une choriocapillaire normale en OCT-A.
Herbort et al. avancent que le MEWDS est lié à une non-perfusion très distale de la choriocapillaire, visible uniquement en ICG et non en OCT-A, tandis que Zicarelli et al. émettent l’hypothèse que l’hypofluorescence tardive signalerait des modifications de la capture de l’ICG par les cellules de l’EPR, par un dysfonctionnement réversible et non destructif de l’EPR entraînant une altération temporaire des photorécepteurs. Les lésions régressent spontanément sans séquelles (figure 2).
Orientation suivant certaines anomalies de l’EPR
En OCT, des anomalies de l’EPR peuvent orienter vers des pathologies précises dans les inflammations oculaires. Ainsi, un aspect granité de l’EPR fovéolaire oriente vers un MEWDS, une plaque d’EPR altéré vers une choriorétinite placoïde aiguë syphilitique, et des infiltrats nodulaires de l’EPR peuvent évoquer une atteinte lymphomateuse [6].
Choriorétinite aiguë placoïde syphilitique : la typique choriorétinite aiguë placoïde syphilitique est une lésion large jaunâtre des couches de la rétine externe, bilatérale (55%), située au pôle postérieur, avec une atteinte maculaire (88%), associée à une uvéite antérieure (30%) ou à une hyalite (80%). Elle est liée soit à une invasion directe de la choriocapillaire par le Treponema pallidum, soit par une obstruction vasculaire par dépôt de complexes solubles immuns. Au sein des plaques, l’OCT montre des altérations de l’ellipsoïde, de la rétine externe et des granulations de l’EPR. Elles sont associées à des dépôts pyramidaux de l’EPR et de la rétine externe hyperréflectifs en OCT. En angiographie ICG, le remplissage de la choriocapillaire est normal au temps précoce et les plaques deviennent hypofluorescentes en ICG tardif, traduisant un probable dysfonctionnement de l’EPR. L’hyper-autofluorescence des lésions placoïdes pourraient être due à l’accumulation de lipofuscine dans l’EPR, à l’accumulation de débris de photorécepteur dans l’espace sous-rétinien, ou à l’absence de segments externes des photorécepteurs démasquant ainsi l’autofluorescence de l’EPR. Ces lésions disparaissent dans les 14 jours sous antibiothérapie par pénicilline intraveineuse, de façon concomitante à la récupération de l’acuité visuelle.
Lymphome vitréo-rétinien (LVR) : le LVR est un diagnostic important car il engage le pronostic vital, avec un risque de survenue de lymphome cérébral. L’examen recherchera une hyalite à grosses cellules en bouée périphérique et des infiltrats rétiniens ou de l’EP. En phase active de lymphome, l’OCT montre au niveau de la macula des points hyperréflectifs intrarétiniens (72,2%), des infiltrations intra- ou sous-rétiniennes (55,6%), un flou de la rétine externe (66,7%), ainsi que des élévations nodulaires diffuses de l’EPR. Ces anomalies en OCT orientent fortement vers le lymphome en comparaison des autres uvéites postérieures et diminuent sous chimiothérapie, avec une restauration de la rétine externe. Les infiltrats rétiniens sont localisés principalement dans les couches nucléaire externe et plexiforme externe. Les infiltrats apparaissent comme un motif granulaire, avec une alternance de points hyper- et hypo-autofluorescents. L’hypo-autofluorescence indique l’atrophie de l’EPR ou la présence d’une infiltration lymphomateuse rétinienne qui bloque le signal FAF normal provenant de l’EPR. Inversement, l’hyper-autofluorescence est corrélée à une altération du métabolisme de la lipofuscine au niveau de l’EPR et à l’accumulation de débris.
Conclusion
L’épithélium pigmentaire est intimement lié avec la choriocapillaire et les photorécepteurs. En cas d’atteinte inflammatoire ou infectieuse d’une de ces structures, il y a un risque d’endommagement de ces structures voisines. L’atteinte de l’EPR peut être soit directe (photoréceptorite), soit liée à une ischémie inflammatoire de la choriocapillaire (choriocapillaropathie inflammatoire).
Références bibliographiques
[1] Papasavvas I, Mantovani A, Herbort Jr CP. Diagnosis, mechanisms, and differentiation of inflammatory diseases of the outer retina: Photoreceptoritis versus choriocapillaritis; A Multimodal Imaging Perspective. Diagnostics (Basel). 2022;12(9):2179.
[2] Gaudric A, Mrejen S. Reply To: “Zicarelli F et al. Multimodal imaging of multiple evanescent white dot syndrome: A new interpretation”. Ocul Immunol Inflamm. 2021;29(3):609.
[3] Rao NA, Saraswathy S, Smith RE. Tuberculous uveitis: distribution of Mycobacterium tuberculosis in the retinal pigment epithelium. Arch Ophthalmol. 2006;124(12):1777-9.
[4] Mrejen S, Khan S, Gallego-Pinazo R et al. Acute zonal occult outer retinopathy: a classification based on multimodal imaging. JAMA Ophthalmol. 2014;132(9):1089-98.
[5] Zicarelli F, Mantovani A, Preziosa C, Staurenghi G. Multimodal imaging of multiple evanescent white dot syndrome: A new interpretation. Ocul Immunol Inflamm. 2020;28(5):814-20.
[6] Agarwal A, Pichi F, Invernizzi A et al. Stepwise approach for fundus imaging in the diagnosis and management of posterior uveitis. Surv Ophthalmol. 2023;68(3):446-80.