Les métastases choroïdiennes

Nous rapportons ici le cas d’une patiente de 66 ans qui se présente aux urgences pour une baisse de l’acuité visuelle sévère de l’œil gauche, d’aggravation progressive depuis 3 semaines, associée à des phosphènes prédominant en temporal.

Observation
La patiente a pour principal antécédent un carcinome endocrinien à grandes cellules d’origine pulmonaire, diagnostiqué en février 2021 et traité par chirurgie seule (lobectomie, curage ganglionnaire). Le TEP scanner réalisé en août 2021 rapportait une progression de la maladie avec de multiples fixations péritonéales.
À l’examen clinique, l’acuité visuelle (AV) corrigée à droite à +0,25(-0,25)155° est mesurée à 8/10, et à gauche à +4,25(-0,75)38° à 0,6/10. La pression intraoculaire est normale à droite comme à gauche (13,6 mmHg/ 12,9 mmHg).
L’examen à la lampe à fente est strictement normal, avec des implants de chambre postérieure en place et clairs.

Le fond d’œil à droite est strictement normal. À gauche, il retrouve une volumineuse lésion rétinienne jaunâtre, supéromaculaire et en relief bombant dans la cavité vitréenne. Cette lésion est unique, sans hémorragie ni drusen, ni pigment orangé (figure 1).

L’OCT centré sur la lésion met en évidence la localisation choroïdienne de la lésion, associée à un décollement séreux rétinien en regard, diffusant vers la macula (figure 2).


L’échographie en mode B de l’œil gauche montre une lésion tissulaire globalement isoéchogène, associée à des plages d’hyperéchogénicité en surface en rapport avec des calcifications. Elle mesure dans son plus grand axe 9,7 mm et a une épaisseur de 4 mm (figure 3).

L’angiographie à la fluorescéine et à l’ICG réalisée est normale au niveau de l’œil droit. Elle montre au niveau de l’œil gauche une lésion supérieure avec masquage, hypocyanescente tout le long de l’examen, et la présence d’une hyperfluorescence en tête d’épingle à la partie supérieure de la lésion, associée à des zones de non-perfusion capillaire (figure 4).

L’IRM cérébrale montre un épaississement de 8 mm de diamètre du segment postérieur de l‘œil gauche, iso-intense en T1 se rehaussant après injection, iso-intense, voire hyperintense en T2. L’IRM après radiothérapie montre une diminution de l’épaississement intraoculaire du segment postérieur de l’œil gauche (figure 5).

Le diagnostic retenu pour cette patiente est celui d’une métastase choroïdienne gauche, dans un contexte de carcinome endocrinien à grandes cellules évolutif.
Le traitement oncologique a consisté en une chimiothérapie systémique par carboplatine et étoposide, complétée par une radiothérapie de 30 gray de l’œil gauche. Ce traitement n’a malheureusement pas permis une récupération visuelle de la patiente.

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Discussion
Le premier cas de métastase choroïdienne a été décrit par Perls en 1872. Dans 33% des cas, la découverte d’une métastase choroïdienne survient chez un patient dont le primitif n’est pas connu. Les cancers qui en sont les plus pourvoyeurs sont, chez l’homme, le poumon, le tractus gastro-intestinal et le rein ; chez la femme, le sein et le poumon [1]. Le pronostic est sombre, avec une médiane de survie de 6 à 12 mois [1].
Les métastases choroïdiennes résultent d’une dissémination hématogène des cellules tumorales. La riche vascularisation de la choroïde postérieure en fait un site favorable [1].
Si les patients sont longtemps asymptomatiques, l’évolution de la lésion est fréquemment révélée par une baisse d’AV. En effet, plus de 90% des lésions sont situées au niveau du pôle postérieur. Dans 50% des cas, ces lésions sont bilatérales [1]. A
u fond d’œil, on retrouve classiquement une élévation en plaque d’origine choroïdienne, à bords flous, de couleur jaune et d’une taille supérieure à un diamètre papillaire. Elles sont fréquemment associées à un décollement exsudatif de la rétine.
Les diagnostics différentiels sont nombreux : mélanome choroïdien, ostéome choroïdien, hémangiome choroïdien, décollement rétinien regmathogène, sclérite postérieure, néovascularisation choroïdienne avec cicatrice irrégulière… En outre, les différencier d’un mélanome achrome peut être particulièrement difficile et rend la réalisation d’examens complémentaires indispensable.
En écho B, la lésion est sous-rétinienne, volontiers mal limitée, hyperéchogène et irrégulière. L’angiographie à la fluorescéine retrouve classiquement une hypofluorescence à la phase précoce puis une diffusion plus tardive que dans le mélanome choroïdien. L’IRM montre une masse choroïdienne, iso-intense, voire hyperintense en T1 et hypointense en T2. Si le primitif n’est pas connu, l’intérêt d’une biopsie par ponction-aspiration doit être discuté dans le cas où celui-ci n’est pas retrouvé au bilan d’extension.
La prise en charge est palliative : le choix de la thérapeutique doit être discuté en réunion de concertation multidisciplinaire au sein d’un centre de référence. L’abstention thérapeutique avec surveillance est parfois proposée chez des patients dont l’espérance de vie est courte.
Le traitement s’appuiera en priorité sur la thérapie systémique (chimiothérapie, immunothérapie, hormonothérapie), choisie en fonction du primitif. L’efficacité du traitement systémique résulte de la très bonne pénétration choroïdienne, expliquée par l’importance de la fenestration naturelle de la vascularisation choroïdienne. Il est raisonnable d’évaluer l’efficacité de la thérapie systémique avant d’envisager un traitement local [2].
La thérapie locale sera envisagée si la localisation secondaire tumorale est responsable d’une baisse de vision ou en cas d’inefficacité du traitement systémique. Les possibilités sont nombreuses : irradiation, thérapie thermique transpupillaire, photocoagulation au laser... Actuellement, 2 techniques sont privilégiées : la protonthérapie et la radiation externe par faisceaux (EBRT). En effet, leur intérêt réside dans la faible dispersion des rayons, réduisant de facto les complications [2-5].
Ce cas clinique rappelle l’importance de l’ophtalmologue dans le diagnostic de certaines pathologies malignes extraoculaires, notamment quand le tableau ophtalmologique est au premier plan et que le primitif n’est pas connu.

En résumé
• Dans 33% des cas, le primitif n’est pas connu lors de la découverte de la lésion.
• Toute baisse d’AV chez un patient atteint d’un cancer impose la réalisation d’un fond d’œil dilaté.
• Son principal diagnostic différentiel est le mélanome achrome.
• La prise en charge doit être discutée en réunion de concertation multidisciplinaire dans un centre de référence.
• Le traitement par thérapie systémique (fonction du primitif) est parfois associé à un traitement local : radiothérapie principalement pour les métastases choroïdiennes, protonthérapie principalement pour les mélanomes choroïdiens.

Références bibliographiques
[1] Choroidal Metastases. EyeWiki. Am Acad Ophthalmol. 2020.
[2] Arepalli S, Kaliki S, Shields CL. Choroidal metastases: origin, features, and therapy. Indian J Ophthalmol. 2015;63(2):122-7.
[3] Qu Z, Liu J, Zhu L, Zhou Q. A comprehensive understanding of choroidal metastasis from lung cancer. OncoTargets Ther. 2021;14: 4451-65.
[4] Ghodasra DH, Demirci H. Photodynamic therapy for choroidal metastasis. Am J Ophthalmol. 2016;161:104-9.
[5] Konstantinidis L, Damato B. Intraocular metastases--A review. Asia Pac J Ophthalmol (Phila). 2017;6(2):208-14. 

Auteurs

  • Paul Villain

    Ophtalmologiste

    Centre hospitalier Bretagne Atlantique, Vannes

  • Valentin Pasco

    Ophtalmologiste

    Centre hospitalier Bretagne Atlantique, Vannes

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