Les membranes épirétinienne et leurs conséquences sur la microarchitecture maculaire
Les membranes épirétiniennes maculaires (MER) représentent une pathologie rétinienne courante qui affecte environ 10% des sujets de plus de 70 ans. Elles sont caractérisées par une prolifération fibrocellulaire gliale avasculaire bénigne. La contraction de ces MER provoque un plissement plus ou moins sévère de la macula et peut alors entraîner une gêne fonctionnelle. Leur physiopathogénie précise reste partiellement élucidée : elles sont chronologiquement liées à la survenue du décollement postérieur du vitré et leur incidence augmente avec l’âge.
Idiopathiques dans 80% des cas, les MER peuvent également être associées aux pathologies vasculaires ou inflammatoires de la rétine, aux traumatismes, aux tumeurs, à la chirurgie intraoculaire et aux décollements de la rétine. L’OCT-SD (Spectral Domain) est aujourd’hui devenu l’examen de référence pour les évaluer. Il permet d’en confirmer le diagnostic, de mettre en évidence d’éventuelles connexions entre la membrane et la hyaloïde postérieure lorsqu’elles existent (syndrome de traction vitréo-maculaire), d’effectuer une analyse détaillée des modifications maculaires qu’elle induit et de détailler le profil caractéristique de certaines formes cliniques (pseudo-trou maculaire, MER avec fovéoschisis, macular pucker). L’analyse de l’OCT guide le clinicien dans sa décision thérapeutique et dans l’établissement du pronostic.
Diagnostic d’une MER en OCT
L’examen OCT a largement facilité le diagnostic des MER, autrefois porté à l’examen biomicroscopique. Son rôle est d’autant plus déterminant que les conditions de visualisation de la rétine sont parfois délicates chez les patients myopes forts ou atteints d’une cataracte. En OCT, les MER se présentent sous la forme d’une couche hyperréflective à la surface de la rétine interne. Cette couche est d’autant mieux visible lorsqu’elle est discrètement détachée de la rétine ou qu’elle passe en pont sur les plis rétiniens avec la présence d’espaces kystiques hyporéflectifs entre la MER et la membrane limitante interne (MLI).
Chez les patients présentant une MER, le décollement postérieur du vitré (DPV) est complet dans 80 à 95% des cas : la réalisation d’une coupe passant par la papille facilite la vérification du caractère complet du DPV. Aussi, l’identification d’une traction vitréo-maculaire associée à la MER permettra de préparer le geste chirurgical. Enfin, l’examen OCT peut identifier un bord libre de la MER, partie partiellement détachée pouvant faciliter l’amorçage de la dissection.
Une fine membrane peut avoir un retentissement minime, voire nul sur l’architecture rétinienne, avec seulement une ondulation de la surface rétinienne sous-jacente. Dans d’autres cas, une désorganisation complète de la microarchitecture maculaire peut être associée. De nombreuses études ont permis d’identifier les modifications anatomiques quantitatives et qualitatives qui seraient responsables de la baisse d’acuité visuelle (BAV) et associées au pronostic fonctionnel après un traitement chirurgical.
Modifications quantitatives
Il s’agit principalement d’une augmentation de l’épaisseur de la rétine maculaire qui s’associe à une perte de la dépression fovéolaire centrale. La corrélation entre la BAV et l’épaisseur maculaire centrale n’est pas bonne, néanmoins il est peu probable que la BAV soit en rapport avec la contraction d’une MER lorsque l’épaisseur maculaire centrale est inférieure à 300 µm. En revanche, la sévérité des métamorphopsies serait corrélée à l’épaisseur de la couche nucléaire interne [1].
Modifications qualitatives
Dans un premier temps on observe de simples plis des couches internes de la rétine, avec une épargne fovéolaire ou un discret émoussement de la courbure harmonieuse fovéolaire. Par la suite, la ligne du profil antérieur de la rétine devient convexe et l’aspect d’entonnoir fovéolaire disparaît. La présence ectopique de couches rétiniennes internes (plexiforme interne et nucléaire interne) de façon continue au niveau fovéolaire serait associée à des altérations plus profondes de l’acuité visuelle [2]. Dans les cas les plus sévères, l’ensemble des différentes couches rétiniennes n’est plus individualisable.
Concernant les couches profondes de la rétine, plusieurs études ont établi une corrélation entre les altérations de la ligne de jonction entre les segments interne et externe des photorécepteurs (ligne IS-OS) et de la ligne d’interdigitation, avec le pronostic visuel [1,3]. Cependant, la réflectivité de ces lignes peut être atténuée par l’opacification de la rétine interne contractée, rendant cette analyse délicate. Govetto a décrit un spectre continu d’altérations du bouquet fovéolaire central dans les affections tractionnelles de la macula [4]. Les stades anatomiques les plus tardifs sont associés à une altération plus sévère de l’acuité visuelle. Le premier stade est défini par une hyperréflectivité à bords flous localisée entre la ligne IS-OS et la ligne d’interdigitation (« Cotton Ball Sign »). Cette lésion évolue vers la survenue d’un décollement fovéolaire se présentant sous la forme d’une poche de décollement séreux rétinien hyporéflective. Enfin, au dernier stade apparaît du matériel pseudo-vitellin, une hyperréflectivité sous-rétinienne localisée entre la ligne ellipsoïde et l’épithélium pigmenté rétinien (figure 1). Ces altérations profondes de la rétine neurosensorielle seraient liées à une transmission des forces de traction par les cellules de Müller parafovéolaires aux cônes centraux. Ces lésions ne sont pas de mauvais pronostic pour la récupération fonctionnelle postopératoire dans la série publiée par Pison, et elles régressent dans plus de deux tiers des cas après la dissection de la MER [5].
La présence de logettes intrarétiniennes est retrouvée dans 7,5 à 20% des formes idiopathiques. Une récente publication rapporte que leur répartition en « rayon de roue » sur l’OCT en face est évocatrice d’une origine purement tractionnelle. À l’inverse, une répartition pétaloïde suggérerait plutôt une origine exsudative associée (figure 2) [6]. La réalisation d’une angiographie à la fluorescéine, afin de déceler une cause de MER secondaire sous-jacente (OVCR, diabète, pathologie inflammatoire), sera alors nécessaire afin d’adapter la prise en charge thérapeutique. D’autre part, en OCT-A la densité des plexus capillaires superficiel et profond est préservée dans les œdèmes maculaires cystoïdes tractionnels. Il orientera l’enquête étiologique dans les formes secondaires.
Formes cliniques
Le terme pseudo-trou maculaire est un diagnostic clinique issu de l’observation d’un aspect de trou maculaire (TM) au fond d’œil. L’OCT met en évidence une MER dont la contraction engendre un épaississement maculaire associé à une verticalisation des bords de l’entonnoir fovéolaire sans perte de substance au niveau fovéal, et donc une absence de TM de pleine épaisseur. L’épaisseur fovéale centrale dans ce contexte est normale ou légèrement amincie. Les patients avec des pseudo-TM sont souvent peu symptomatiques et peuvent être suivis. Si la MER associée au pseudo-TM entraîne une BAV, un traitement chirurgical peut-être proposé (figure 3).
Une controverse sur la définition des trous lamellaires existait depuis une dizaine d’année. En 2019, une classification issue du travail d’un comité scientifique international d’experts a permis de clarifier la nomenclature des « trous lamellaires », qui englobait jusque-là probablement 2 entités aujourd’hui bien distinctes.
L’examen OCT permet de distinguer les MER avec un fovéoschisis des trous maculaires lamellaires.
Les membranes épirétiniennes avec un fovéoschisis correspondent aux anciens trous lamellaires tractionnels, ou pseudo-TM avec clivage, et sont définies par 2 critères majeurs (la membrane contractile et le schisis au niveau de la couche des fibres de Henlé) et 3 critères mineurs (des espaces microkystiques dans la nucléaire interne, un épaississement rétinien et des plis rétiniens) (figure 3).
La physiopathologie et les résultats chirurgicaux s’apparentent à ceux des MER idiopathiques.
Les trous maculaires lamellaires (anciennement nommés TL dégénératifs) sont définis par 3 critères majeurs (le profil fovéolaire irrégulier, la cavitation fovéolaire et la perte de tissu fovéolaire [pseudo-opercule ou amincissement fovéolaire central]) et 3 critères mineurs (la prolifération épirétinienne non contractile et connectée à la fovéa, la bosse fovéolaire et l’interruption de la ligne ellipsoïde).
Ces derniers présentent une relative stabilité fonctionnelle avec une progression anatomique lente. Lorsqu’ils sont évolutifs, ils peuvent bénéficier d’un traitement chirurgical par vitrectomie et pelage de la prolifération épirétinienne avec épargne fovéale.
L’OCT en face mettra systématiquement en évidence la présence de plis rétiniens dans les pseudo-TM, à l’inverse des trous maculaires lamellaires qui ne sont pas associés à un plissement rétinien. Les plis rétiniens sont radiaires et centripètes dans les pseudo-TM – l’épicentre de contraction se trouve au niveau de la fovéa – alors qu’on retrouve des épicentres de contraction excentriques dans les MER avec fovéoschisis, responsables d’un stretching des bords fovéolaires.
MER et décollement de rétine
Les MER survenant après un décollement de rétine, souvent appelées macular puckers, sont une forme particulière de prolifération vitréo-rétinienne. Leur évolution est particulièrement rapide et agressive, pouvant engendrer une distorsion rétinienne majeure. L’existence de projections entre la surface de la rétine et la membrane est caractéristique des proliférations vitréo-rétiniennes maculaires (figure 4). Leur observation, en l’absence d’antécédent de décollement de rétine, doit conduire à la recherche attentive de déchirures rétiniennes périphériques très fréquentes dans ce contexte [7].
Suivi
Après un traitement chirurgical, l’examen OCT retrouve généralement une amélioration du profil maculaire avec un déplissement et un amincissement de la rétine maculaire. Cette récupération du profil maculaire reste en général incomplète mais n’empêche cependant pas une amélioration fonctionnelle progressive.
Conclusion
L’examen OCT est aujourd’hui incontournable dans une suspicion de MER. Il permet de confirmer le diagnostic, d’établir un pronostic et de guider le clinicien dans sa décision thérapeutique.
Références bibliographiques
[1] Okamoto F, Sugiura Y, Okamoto Y, Hiraoka T et al. Associations between metamorphopsia and foveal microstructure in patients with epiretinal membrane. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2012;53(11):6770-5.
[2] Govetto A, Lalane RA3rd, Sarraf D et al. Insights into epiretinal membranes: presence of ectopic inner foveal layers and a new optical coherence tomography staging scheme. Am J Ophthalmol. 2017;175:99-113.
[3] Itoh Y, Inoue M, Rii T et al. Correlation between foveal cone outer segment tips line and visual recovery after epiretinal membrane surgery. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2013;54(12):7302-8.
[4] Govetto A, Bhavsar KV, Virgili G et al. Tractional abnormalities of the central foveal bouquet in epiretinal membranes: clinical spectrum and pathophysiological perspectives. Am J Ophthalmol. 2017;184:167-80.
[5] Pison A, Dupas B, Couturier A et al. Evolution of subfoveal detachments secondary to idiopathic epiretinal membranes after surgery. Ophthalmology. 2016;123(3):583-9.
[6] Govetto A, Sarraf D, Hubschman JP et al. Distinctive mechanisms and patterns of exudative versus tractional intraretinal cystoid spaces as seen with multimodal imaging. Am J Ophthalmol. 2019;pii: S0002-9394(19)30611-7.
[7] Sigler EJ, Randolph JC, Calzada JI. Comparison of morphologic features of macular proliferative vitreoretinopathy and idiopathic epimacular membrane. Retina. 2014;34(8):1651-7.