Les lentilles souples : ne pas méconnaître les complications

Les complications sont relativement peu fréquentes mais elles doivent être systématiquement recherchées et prévenues par les recommandations orales et écrites à chaque consultation, même aux anciens porteurs. Nous pouvons séparer les complications en 2 entités : les complications non infectieuses, souvent observées lors d’une consultation de suivi, et les complications infectieuses diagnostiquées en urgence.

Les complications non infectieuses

Les complications hypoxiques
Surtout présentes chez les patients porteurs de lentilles souples hydrogel ou porteurs en mode permanent jour et nuit, les complications hypoxiques se manifestent d’abord par une hyperhémie limbique, puis des microkystes cornéens épithéliaux, un œdème cornéen diffus, des opacités cornéennes, et enfin une insuffisance limbique avec l’apparition de néovaisseaux périphériques.

Les complications inflammatoires
Elles sont fréquentes, mais elles doivent toujours être un diagnostic d’élimination par rapport aux complications infectieuses. L’interruption du port des lentilles entraîne une amélioration rapide.
Les infiltrats inflammatoires dits non infectieux sont des amas de cellules immunitaires en continuité clinique avec les infiltrats infectieux. L’apparition de ces infiltrats non infectieux repose sur des causes mécaniques, chimiques, immunitaires, voire microbiennes, par une réaction d’hypersensibilité à des antigènes bactériens peu pathogènes souvent staphylococciques. Les facteurs de risque des complications inflammatoires sont un port permanent, un matériau en silicone-hydrogel vs un matériau en hydrogel, et l’usage de solutions multifonctions vs les solutions oxydantes. De nombreuses classifications anglo-saxonnes existent pour évaluer leur gravité en fonction de leur forme, de leur localisation, de leur symptomatologie et de leur étiologie. La classification la plus connue est le Cornea and contact lens research unit. Mais en pratique clinique, il faut retenir que les infiltrats « non infectieux » peuvent être le premier stade d’infiltrats « infectieux ». Deux entités sont à connaître :
- le Contact lens induced peripheral ulcer, ou « ulcère périphérique induit par les lentilles de contact ». Ces infiltrats se limitant au stroma antérieur sont uniques ou multiples périphériques, de taille inférieure à 1,5 mm, à limite régulière, de forme ronde ou ovale. Ils prennent la fluorescéine au stade précoce, et sont qualifiés ainsi initialement d’ulcères avant d’évoluer en infiltrats. Cette entité peut correspondre à l’entité française des « infiltrats périphériques stériles ». Un traitement par collyre de quinolones ou de rifamycine est recommandé, avec un contrôle à 24 heures pour vérifier la bonne évolution ;
- le Contact lens acute red eye, ou kératoconjonctivite aiguë sous lentilles de contact. Cette kératoconjonctivite induite par les lentilles est une réaction inflammatoire aiguë douloureuse, souvent unilatérale, apparaissant au réveil après un port nocturne. Un épisode infectieux ORL concomitant peut être associé. À l’examen biomicroscopique, une hyperhémie conjonctivale importante peut être associée à des infiltrats cornéens polymorphes multiples.

Les complications allergiques
Le terrain allergique et l’allergie oculaire doivent être recherchés avant toute nouvelle adaptation et réévalués à chaque consultation de suivi. L’éversion de la paupière supérieure doit systématiquement faire rechercher des papilles. Les complications allergiques sont une cause fréquente d’abandon des lentilles de contact. Deux entités particulières sont à citer :
- la conjonctivite giganto-papillaire (figure 1). Une réponse immuno-allergique due aux dépôts sur la lentille et une réponse inflammatoire à la friction de la lentille sur la conjonctive tarsale supérieure en sont à l’origine. Les symptômes à type de brûlures, démangeaisons, s’amplifient au cours de la journée de port. Des papilles de taille augmentant avec le stade sont présentes sur la conjonctive tarsale à l’éversion de la paupière. La conjonctive tarsale apparaît œdémateuse. La cornée et la conjonctive bulbaire sont le plus souvent sans lésion ;
- le Solution induced corneal staining. Il s’agit d’une kératite ponctuée superficielle, le plus souvent annulaire et asymptomatique, apparaissant 2 à 4 heures après la pose de lentilles silicone-hydrogel.

Les complications mécaniques
Les complications mécaniques sont d’autant plus fréquentes que le module de rigidité est élevé.
- Le Superior epithelial arcuate lesion, lésion cornéenne arciforme supérieure due à la pression de la paupière supérieure sur la lentille.
- Le Corneal warpage, déformation de la topographie cornéenne induite par la lentille.
- Les Mucin balls, particules sphériques opalescentes sur la face postérieure de la lentille, surtout en silicone hydrogel, qui marquent la cornée.

Les complications induites par un syndrome sec oculaire
Le syndrome sec oculaire, plus fréquent chez le patient porteur de lentilles, doit faire rechercher des facteurs favorisants tels qu’un clignement incomplet, le travail sur écran, la climatisation, la pollution, le chauffage, la blépharite. Il se manifeste sous des formes distinctes :
- le Smile staining, ulcération superficielle en forme de sourire du tiers inférieur de la cornée ;
- le Lid wiper epitheliopathy, lésion linéaire visible en fluorescéine juste en arrière du bord libre de la paupière supérieure, qui est en contact étroit avec le bord de la lentille ;
- les Lid parallel conjonctival folds, plis de la conjonctive bulbaire en inférieur, parallèles au bord palpébral.

Les complications infectieuses

Les complications infectieuses, toujours à craindre chez les patients porteurs de lentilles de contact souples, doivent limiter l’usage de la corticothérapie locale. Les critères de gravité d’une kératite supposée infectieuse sous lentilles de contact suivent la fameuse règle du « 1-2-3 » : Tyndall supérieur à 1, diamètre de la lésion supérieur à 2 mm, localisation à moins de 3 mm de l’axe optique. La présence de l’un de ces critères impose la mise sous antibiotiques renforcés horaire et la réalisation d’un prélèvement cornéen microbiologique complet. Trois étiologies sont à évoquer : bactérienne, amibienne et fongique.

Kératite bactérienne
L’étiologie bactérienne (figure 2) est la première cause d’infection sous lentilles de contact. Elle évolue rapidement, surtout en cas de bacilles Gram négatif tel le Pseudomonas aeruginosa, plus fréquent chez le patient porteur de lentilles souples. La suspicion d’une kératite bactérienne en l’absence de critères de gravité impose la prescription d’une bi-antibiothérapie horaire à type de tobramycine, associée à de la ciprofloxacine jour et nuit, un contrôle systématique à 48 heures et la nécessité de reconsulter en urgence en présence d’une aggravation.

Kératite amibienne
Les amibes (figure 3) sont à évoquer dans le cas de contact avec de l’eau (douche, piscine, sauna, hammam, pose des lentilles avec les mains mouillées, utilisation de l’eau du robinet pour rincer les lentilles, etc.), d’une dissociation entre la douleur et la clinique, d’un mésusage de corticoïdes. Une kératite herpétique est, jusqu’à preuve du contraire, une kératite amibienne chez un patient porteur de lentilles de contact.

Kératite fongique
Les kératites fongiques (figure 4) peuvent aussi se rencontrer chez les patients porteurs de lentilles souples selon un tableau plus torpide, moins douloureux, sans défect épithélial, et souvent en association avec une kératite bactérienne.

Conclusion

Les complications sous lentilles souples sont rares, mais il ne faut pas les méconnaître afin d’augmenter le nombre d’années de port de lentilles de contact en toute sécurité des patients.

Pour en savoir plus
Sweeney DF, Jalbert I, Covey M et al. Clinical characterization of corneal infiltrative events observed with soft contact lens wear. Cornea. 2003;22(5):435-42.
Tagliaferri A, Love TE, Szczotka-Flynn LB. Risk factors for contact lens-induced papillary conjunctivitis associated with silicone hydrogel contact lens wear. Eye Contact Lens. 2014;40(3):117-22.
Bourcier T, Thomas F, Borderie V et al. Bacterial keratitis: predisposing factors, clinical and microbiological review of 300 cases. Br J Ophthalmol. 2003;87(7):834-8.
Sauer A, Meyer N, Bourcier T; French Study Group for Contact Lens-Related Microbial Keratitis. Risk factors for contact lens-related microbial keratitis: a case-control multicenter study. Eye Contact Lens. 2016;42(3):158-62.

Auteurs

Les derniers articles sur ce thème

L'accès à la totalité de la page est protégé.

Je m'abonne

Identifiez-vous