L’enfant myope : prise en charge en 2023

En 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait à près de 50% la prévalence de la myopie dans le monde à l’horizon 2050 [1]. La problématique sera alors double, du fait du coût représenté par la prise en charge des troubles réfractifs à grande échelle, mais aussi des comorbidités potentiellement cécitantes induites par la myopie forte (glaucome, décollement de la rétine, maculopathie). Les objectifs des stratégies actuelles en pédiatrie sont donc de prévenir l’apparition de la myopie chez les enfants et de freiner de manière précoce la myopie évolutive.
Identifier les enfants à risque
Plus une myopie apparaît tôt dans l’enfance, plus elle est à risque d’évoluer vers une myopie forte (figure 1). Il est donc légitime de réaliser des dépistages réguliers chez les enfants à risque. En dehors des antécédents familiaux de myopie et de facteurs environnementaux (activités en vision de près excessives et manque d’exposition à la lumière naturelle), d’autres éléments sont également à rechercher : origine asiatique, prématurité, petit poids de naissance, amblyopie ou strabisme chez un des parents, maladies d’origine génétique ou chromosomique.
Méthodes de freination de la myopie
Freination en lunettes
Les dernières années ont vu arriver sur le marché de nouvelles générations de verres, dont le principe repose sur le concept de la défocalisation périphérique. Ce dernier part du postulat que l’allongement de la longueur axiale chez le myope serait stimulé par le fait que, en correction monofocale classique, l’image reçue par la rétine périphérique est focalisée en arrière du globe oculaire. Ainsi, ces verres permettraient de diminuer ce stimulus en ramenant cette image périphérique en avant de la rétine. Deux technologies brevetées ont démontré une efficacité dans des études randomisées : DIMS® pour Defocus Incorporated Multiple Segments (MiyoSmart®, Hoya) et HALT® pour High Aspherical Lenslet Target (Stellest®, Essilor).
Les résultats significatifs à 2 ans du verre DIMS® montrent une évolution moyenne de l’équivalent sphérique de -0,38 D vs -0,93 D dans le groupe contrôle, ainsi qu’un allongement de la longueur axiale de +0,21 mm vs +0,53 mm dans le groupe contrôle. Les résultats à 3 ans [3] et 6 ans (non publiés) semblent confirmer cette efficacité. Concernant les verres HALT®, des résultats significatifs publiés en mars 2022 [4] retrouvaient une évolution à 2 ans de -0,66 D vs -1,46 D dans le groupe contrôle, correspondant à un allongement de longueur axiale de +0,34 mm vs +0,69 mm dans le groupe contrôle. L’effet de ces 2 types de verre serait corrélé au temps de port – les fabricants recommandent un minimum de 10 à 12 heures par jour –, et à l’âge – la vitesse d’évolution était plus rapide chez les enfants les plus jeunes. Dans les 2 cas, aucun effet indésirable cliniquement pertinent n’a été rapporté dans les études.
Freination en lentilles
De nombreuses études ont rapporté l’efficacité de la contactologie dans le domaine de la freination myopique, bien avant l’apparition des verres dits défocalisants. Deux types de lentilles de contact prédominent actuellement, qui reposent également sur la défocalisation périphérique : l’orthokératologie – le remodelage cornéen nocturne induit par la lentille comprend un anneau de défocus périphérique positif – et les lentilles diurnes à défocalisation périphérique, rigide ou souple – dont la lentille journalière MiSight® de CooperVision et la lentille mensuelle Mylo® de Mark’Ennovy. La méta-analyse de Vanderveen [5] rapportait une évolution moyenne à 2 ans de 0,30 mm de longueur axiale chez les enfants équipés en orthokératologie vs 0,60 mm dans le groupe contrôle. Les dernières générations de lentilles d’orthokératologie « customisables » permettent d’ajuster la puissance du défocus périphérique en fonction de la réponse thérapeutique du patient. Concernant les lentilles souples défocalisantes, les études montrent une efficacité sur la longueur axiale de 30% à 2 ans pour les mensuelles, et de 52% à 3 ans pour les journalières. Outre son action freinatrice, la contactologie améliore la qualité de vie des enfants en leur permettant de se passer de lunettes dans la journée, facilitant notamment la pratique d’activités sportives. Les lentilles de contact gardent donc tout leur intérêt, y compris en première intention dans le contrôle de la myopie chez les enfants motivés et lorsque le cadre familial est propice à garantir la sécurité du port. Ces méthodes restent cependant pour le moment peu plébiscitées en raison du nombre insuffisant de praticiens formés.
Freination en collyres
Les méthodes pharmacologiques ont fait l’objet du plus grand nombre de publications au cours des 10 dernières années. Les 2 études majeures sur le sujet, conduites en plusieurs phases et sur des enfants asiatiques, ont été publiées en 2012 et 2016 sous l’acronyme ATOM-2, et en 2019, 2020 et 2022 sous l’acronyme LAMP. ATOM-2 a permis de démontrer une efficacité de l’atropine à 0,01% comparable aux dosages plus élevés (0,1 et 0,5%) sur l’évolution de l’équivalent sphérique, avec un meilleur profil de tolérance, incitant l’OMS et la Société mondiale d’ophtalmologie pédiatrique (WSPOS) à recommander l’utilisation de l’atropine à 0,01% pour la freination myopique. Depuis, les travaux de Yam et al. dans les études LAMP ont démontré une supériorité du dosage à 0,05% par rapport à des dosages plus faibles (0,01 et 0,025%), aussi bien sur l’équivalent sphérique que sur la longueur axiale, avec une tolérance identique. Une méta-analyse récente conclut également que l’atropine à 0,05% semble la plus efficace parmi 8 dosages évalués [6].
Quelle stratégie choisir ?
Devant l’apparition de symptômes évocateurs de myopie (plissement des yeux, rapprochement des supports de lecture, augmentation de la taille des caractères lors de l’écriture manuscrite, plaintes visuelles en classe lorsque l’enfant est placé loin du tableau, etc.), il est indispensable de confirmer le diagnostic par la réalisation d’une réfraction sous cycloplégie, par cyclopentolate ou atropine (figure 3). Les verres seront alors prescrits en correction optique totale et en recommandant un port permanent à partir de -0,50 D ou dès lors que l’acuité visuelle sans correction n’atteint pas les 10/10.
Toute découverte de myopie doit s’accompagner d’informations et de recommandations à l’enfant et à ses parents sur les facteurs environnementaux susceptibles d’influer sur l’évolution de la myopie, et sur l’importance d’éviter au maximum l’évolution vers la myopie forte. On pourra remettre à la famille la fiche SFO n° 67 résumant ces informations. La question des traitements freinateurs doit être abordée dès la découverte de la myopie afin de permettre à la famille de s’approprier le sujet et de se préparer à une prise en charge sur le long terme.
Les études comparant les différentes stratégies étant peu nombreuses, le choix reposera moins sur la meilleure efficacité d’une méthode par rapport à une autre que sur les avantages et les inconvénients de chacune en pratique. Par exemple, la contactologie présente un intérêt certain pour les enfants très sportifs et on privilégiera l’orthokératologie chez ceux pratiquant la natation. En revanche, il faudra avoir évalué de manière rigoureuse les capacités de l’enfant et de la famille à respecter les procédures d’hygiène et de décontamination afin d’éviter la survenue de complications infectieuses. L’atropine pourra être proposée à des patients motivés, les principales restrictions à cette méthode étant l’observance sur le long terme et les difficultés logistiques (le collyre n’étant pas disponible en pharmacie d’officine). Cette méthode reste cependant la moins coûteuse car le collyre est pris en charge par l’Assurance maladie. Les verres de nouvelle génération semblent prometteurs pour une démocratisation à grande échelle de la freination myopique, mais des études complémentaires sont nécessaires afin de les positionner plus clairement dans l’arsenal thérapeutique.
Récemment, une modélisation réalisée par l’équipe de Poitiers [7] s’appuyant notamment sur la publication de Bullimore et al. en 2021 dans Ophthalmology [8], concluait à une balance bénéfice/risque en faveur de la freination myopique, indépendamment de la stratégie utilisée.
Perspectives
Bien que les données actuelles suggèrent que les traitements doivent être initiés rapidement chez les enfants dont la myopie se déclare tôt dans l’enfance, il n’y a pas de recommandation consensuelle sur la durée du traitement. En effet, de nombreuses études sur l’atropine et la contactologie ont rapporté un effet rebond à l’arrêt. Cette donnée est encore incertaine pour les verres défocalisants. Pour l’atropine, il semblerait que le rebond soit d’autant plus important que le dosage est élevé et que l’enfant est jeune. Certains auteurs suggèrent alors de poursuivre l’atropine de façon plus prolongée que ce qui était auparavant recommandé, et de n’envisager un arrêt que lorsque la longueur axiale semble se stabiliser, en général à l’adolescence. Ils conseillent également un arrêt progressif en passant par une phase de traitement à 0,01% plutôt qu’une suspension brutale du traitement. Des études complémentaires sont cependant nécessaires pour confirmer ces hypothèses.
Concernant les verres de dernière génération, il n’existe pour le moment pas de résultats publiés d’études réalisées sur des populations européennes. De plus, la plupart des études ayant été menées contre des verres standard, il existe un réel besoin d’études randomisées comparant les différentes stratégies entre elles. Une étude confrontant verres défocalisants et atropine est en cours à l’Hôpital Fondation Rothschild.
L’acceptabilité des traitements de la freination myopique demeure un enjeu majeur du fait de leur coût – la contactologie est mal remboursée et les verres défocalisants ont un reste à charge plus élevé que les verres monofocaux –, de la disponibilité insuffisante des collyres d’atropine diluée, ou encore de l’observance de ces traitements sur le long terme.
Enfin, toutes les recherches se sont focalisées sur la freination chez l’enfant et l’adolescent. Or on sait que certains patients présentent des myopies d’apparition tardive et/ou qui continuent à évoluer à l’âge adulte. Une évaluation de l’efficacité et de la tolérance des stratégies de freination existantes apparaît donc également nécessaire chez ces patients.
Références bibliographiques
[1] Holden BA, Fricke TR, Wilson DA et al. Global prevalence of myopia and high myopia and temporal trends from 2000 through 2050. Ophthalmology. 2016;123(5):1036-42.
[2] Tideman J, Polling J, Vingerling J et al. Axial length growth and the risk of developing myopia in European children. Acta Ophthalmol. 2018;96(3):301-9.
[3] Lam CS, Tang WC, Lee PH et al. Myopia control effect of defocus incorporated multiple segments (DIMS) spectacle lens in Chinese children: results of a 3-year follow-up study. Br J Ophthalmol. 2022; 106(8):1110-4.
[4] Bao J, Huang Y, Li X et al. Spectacle lenses with aspherical lenslets for myopia control vs single-vision spectacle lenses: a randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2022;140(5): 472-8.
[5] Vanderveen DK, Kraker RT, Pineles SL et al. Use of orthokeratology for the prevention of myopic progression in children. Ophthalmology. 2019;126(4):623-36.
[6] Ha A, Kim SJ, Shim SR et al. Efficacy and safety of 8 atropine concentrations for myopia control in children. Ophthalmology. 2022; 129(3):322-33.
[7] Marcel JB, Leveziel N. Risques et bénéfices du contrôle de la myopie. Réalités Ophtalmologiques. Décembre 2022;38-42.
[8] Bullimore A, Ritchey E, Shah S et al. The risks and benefits of myopia control. Ophthalmology. 2021;128(11):1561-79.