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Le tournant de la topographie cornéenne par OCT

Il est indéniablement reconnu que la tomographie par cohérence optique (OCT) a représenté l’innovation d’imagerie la plus marquante des 20 dernières années en ophtalmologie. Après avoir conquis le domaine de la rétine, elle s’est répandue dans les champs adjacents de l’imagerie du segment antérieur. En 2020, la topographie cornéenne par OCT (TC-OCT) arrive à maturité et interroge sur ses performances, ses limites et ses perspectives. Cet article propose une mise au point sur ce nouveau tournant dans le domaine de l’imagerie cornéenne.

Historique

L’OCT-Time Domain (TD) Visante (Zeiss - 2005) fut le premier produit commercial à se concentrer uniquement sur l’analyse du segment antérieur, délivrant des coupes OCT et des cartographies de l’épaisseur cornéenne. Les précurseurs de la TC-OCT proviennent également des options annexées aux machines initialement dévouées à l’analyse de la rétine. Ainsi, certaines machines ont également permis de réaliser ces coupes et cartes pachymétriques en ajoutant une lentille de défocalisation à l’entrée du système optique. Ce mouvement a ouvert la voie à l’utilisation des OCT-Spectral Domain (SD) de résolution supérieure aux OCT-TD. L’OCT Cirrus (Zeiss) fut dès lors, en 2008, le premier OCT capable de proposer la carte de l’épithélium cornéen, suivi par l’OCT RTvue (Optovue) en 2010. C’est l’arrivée des OCT-Swept Source (SS - 2016) qui a fourni le premier compromis intéressant entre de larges champs d’analyse et une résolution spatiale acceptable, nécessaire pour obtenir des cartes de courbure topographiques de la cornée. Secondairement, l’OCT Zeus MS-39 (SD - 2017), dévoué uniquement au segment antérieur, propose également l’accès à la topographie cornéenne et a développé un deuxième compromis, plus orienté sur la résolution que le champ, se focalisant en particulier sur l’analyse précise de l’angle iridocornéen et le mapping épithélial cornéen. L’OCT Copernicus REVO® (SD - 2015), initialement dédié à l’analyse de la rétine, propose actuellement un développement ajoutant les fonctionnalités d’une TC-OCT à un mapping épithélial, moyennant un champ d’examen relativement réduit. Pour simplifier, on pourrait noter que finalement, les 3 paramètres importants dans la classification des performances d’une TC-OCT sont désormais liés à la résolution (précision de l’imagerie), au champ d’examen (largeur de l’imagerie) et à la pénétration tissulaire (profondeur de l’imagerie). Le tableau catégorise les technologies d’imageries OCT en fonction de leurs performances optiques et de leurs options d’affichage, tenant compte de l’essentiel de l’offre commerciale disponible en 2020.

Avantages technologiques

La très grande rapidité d’acquisition des examens obtenue en TC-OCT est cruciale pour l’exactitude des données d’élévation. L’OCT est mécaniquement plus rapide que les cameras Scheimpflug qui n’ont pas de déflection optique par scanner, mais disposent d’une motorisation de caméras en rotation ou en balayage. Certaines caméras Scheimpflug sont dotées d’un disque de Placido pour réaligner les coupes optiques lors de la segmentation des images (ex : Galilei - Ziemer). L’OCT prend ainsi quelques millisecondes, contre quelques secondes pour le Scheimpflug. L’analyse des patients peu compliants ou celle des enfants est grandement facilitée avec l’OCT.
La TC-OCT permet une plus grande reproductibilité des examens, intéressante pour le suivi des patients. Plusieurs articles sont disponibles, comparant la TC-OCT à la technologie Scheimpflug, essentiellement pour le dépistage du kératocône ou le suivi des patients opérés de LASIK. Les résultats montrent presque toujours une supériorité de la TC-OCT.

La capacité de pénétration à travers les opacités est un avantage pour la TC-OCT. Dès qu’il existe une cicatrice, une interface réflexogène, l’imagerie OCT fait mieux que le balayage de fentes optiques. Dans ce dernier mode, l’analyse de la face antérieure peut devenir imprécise en raison d’une mauvaise segmentation de la face postérieure et entraîner une sous-estimation de l’épaisseur de la cornée. La carte pachymétrique est ainsi souvent faussée pendant plusieurs mois après un corneal collagen cross-linking ou en regard d’une taie cornéenne superficielle. Également, l’utilisation de l’OCT permet une visualisation moins artefactuelle de la face postérieure de la cornée implantée par anneaux intracornéens (figure 1).
La TC-OCT présente une très faible sensibilité aux fluctuations du film lacrymal. En effet, l’OCT repère plus facilement la surface de l’épithélium alors que la technologie Scheimpflug regarde l’interface air/film lacrymal. Cela induit une moins grande susceptibilité de l’OCT à la fluctuation du film lacrymal entre 2 clignements, et également pendant le temps plus important de la mesure en Scheimpflug (figure 2).
La TC-OCT présente une plus faible sensibilité aux ombres reportées sur la cornée à cause du cadre orbitaire. Le contraste d’éclairement à la surface de la cornée dépend de la configuration orbitaire, de la position de la paupière et de la longueur des cils parfois, variables pour chaque patient. Cet artefact bien connu pour la topographie Placido est limité mais présente pour la topographie Scheimpflug et semble très faible avec la TC-OCT. L’analyse par couches est un avantage indéniable de la TC-OCT sur la topographie Scheimpflug. Quelques machines proposent le mapping épithélial mais seules les machines Zeus MS-39 (CSO) et Copernicus (Optopol) disposent de l’association avec l’analyse topographique d’élévation. La cartographie du stroma cornéen est ainsi potentiellement disponible. Cette situation pourrait évoluer prochainement. Ce point est particulièrement intéressant pour les chirurgiens réfractifs de la cornée et pour les cornéologues (dépistage kératocône, syndromes secs, lasers thérapeutiques, dystrophies superficielles, etc.).

Limitations pratiques

La TC-OCT est relativement peu diffusée dans les cabinets d’ophtalmologie. Elle n’est en particulier pas encore couplée aux plateformes laser pour la chirurgie réfractive, motivation actuellement importante dans l’investissement d’un topographe cornéen. De la même manière, l’accès à la longueur axile est un avantage pour la gestion de la toricité pour la chirurgie du cristallin, seul l’Anterion (Heidelberg) offre cette mesure. Les autres pourraient demander l’insertion manuelle de cette mesure obtenue par un autre interféromètre optique pour s’aligner. Cependant, le besoin de polyvalence et de centralisation des données ainsi que l’apparition des modélisations dans les machines vont pousser les TC-OCT à s’implanter dans de plus en plus de centres. En France, la meilleure cotation CCAM de l’acte OCT par rapport à celui de la topographie cornéenne est un plus pour l’amortissement de ces machines, qui restent pour l’instant nettement plus onéreuses que les topographes cornéens. Il faut souligner ici que la TC-OCT CSO se démarque actuellement de ses compétiteurs par un tarif nettement inférieur.
Les disparités de mesures entre la technologie Scheimpflug ou Placido et l’OCT sont à noter. Bien que la reproductibilité de chaque machine soit globalement très bonne, la comparaison des valeurs kératométriques ou pachymétiques souffre de disparités venant à faire évoluer les normes établies. Par exemple, il existe des différences de mesure de la kératométrie et de la puissance de l’astigmatisme, plus importantes lorsque la cornée a été préalablement opérée. Cette disparité induit des interrogations pour le calcul des implants intraoculaires. Également, la pachymétrie est systématiquement mesurée plus fine de 10 à 15 microns en TC-OCT, ce qui pose la problématique des limites habituellement établies pour définir une cornée fine, calculer le pourcentage de tissu altéré (PTA) en chirurgie réfractive, définir le type de cross-linking pour certains patients, etc.
Le compromis entre champ et résolution n’est pas encore véritablement efficient. Bien que les OCT-SS pratiquant la TC-OCT le promettent, les cartographies de l’épithélium ne sont pas encore disponibles sur toutes les machines. 

Perspectives

Une meilleure vision de la position de la cornée en tant que dioptre oculaire principal dans le système oculaire entier est possible avec l’OCT. Cette vision d’ensemble est particulièrement importante, s’agissant des implications de la topographie cornéenne pour la chirurgie réfractive laser ou implantatoire. Certains travaux commencent à abonder dans le sens de l’intérêt de la localisation OCT de l’équateur cristallinien pour l’ajustement de la formule de calcul des implants. La TC-OCT est également capable de calculer et de décomposer les aberrations optiques issues des différentes surfaces cornéennes, mais prochainement aussi celles issues du cristallin (mode SS) (figure 3).
L’ergonomie et l’aide au diagnostic automatisée sont optimisées. L’analyse des différentes couches de la cornée, des différents dioptres du globe oculaire en une seule prise de mesures nous fait entrer dans la dimension de l’aide automatisée à la prise de décision, souvent qualifiée d’IA (intelligence artificielle). Nous devrions certainement voir arriver progressivement des algorithmes intégrés pour nous aider à identifier les situations réfractives hors normes, faire le diagnostic des évolutions réfractives, dépister des cornées à risque pour le laser excimer, etc. Par exemple, il est d’ores et déjà possible d’envisager un module qui surveillerait l’évolution d’une chirurgie réfractive laser dans le temps. Ainsi, devant un cas de régression d’un LASIK myopique, il est habituel d’évoquer plusieurs possibilités. Par ordre de fréquence, il faut penser à un allongement du globe oculaire, une régression épithéliale, un changement de statut du cristallin ou une ectasie postlaser. Les TC-OCT munies d’une évaluation de la longueur axiale pourront répondre assez simplement à la place du praticien. Il restera à ce dernier à prendre les mesures qui s’imposent et qu’il exposera aux patients de manière particulièrement didactique à l’aide des illustrations fournies par l’OCT.
L’augmentation des performances de l’analyse tomographique et topographique est un point fort pour l’essor des TC-OCT. La résolution grandissante permet d’entrevoir des générations ultérieures de TC-OCT aboutissant à l’examen quasi histologique des couches cornéennes, avec possiblement des représentations « en face » ou 3D accessibles comme pour l’imagerie OCT de la rétine. La figure 4 montre schématiquement l’évolution de la résolution en fonction de la dualité champ-pénétration/ résolution.

Conclusion

L’essor de la topographie cornéenne par OCT semble s’inscrire dans l’évolution naturelle de cette imagerie. Dans cette période de transition, les normes biométriques devront être ajustées au fil des études. De nouveaux biomarqueurs profitant de la plus grande diversité des informations fournies par l’OCT pourraient voir le jour. Les TC-OCT deviendront de fait les machines les plus polyvalentes dans l’arsenal de l’imagerie du segment antérieur et seront donc également les plus susceptibles de voir se développer efficacement les algorithmes d’aide automatisée au diagnostic, d’ores et déjà attendus.

Pour en savoir plus
Chan TCY, Biswas S, Yu M, Jhanji V. Comparison of corneal measurements in keratoconus using swept-source optical coherence tomography and combined Placido-Scheimpflug imaging. Acta Ophthalmol. 2017;95(6):e486-e494.
Chan TCY, Biswas S, Yu M, Jhanji V. Longitudinal evaluation of cornea with swept-source optical coherence tomography and Scheimpflug imaging before and after lasik. Medicine. 2015; 94(30):e1219.
Ghoreishi SM, Mortazavi SAA, Abtahi ZA. Comparison of Scheimpflug and swept-source anterior segment optical coherence tomography in normal and keratoconus eyes. Int Ophthalmol. 2017; 37(4):965-71.
Lee YW, Choi CY, Yoon GY. Comparison of dual rotating Scheimpflug-Placido, swept-source optical coherence tomography, and Placido-scanning-slit systems. J Cataract Refract Surg. 2015; 41(5):1018-29.
Fukuda S, Beheregaray S, Hoshi S, Yamanari M et al. Comparison of three-dimensional optical coherence tomography and combining a rotating Scheimpflug camera with a Placido topography system for forme fruste keratoconus diagnosis. Br J Ophthalmol. 2013;97(12): 1554-9.

Auteurs

  • David Touboul

    Ophtalmologiste

    Centre national de référence pour le kératocône, CHU de Bordeaux, hôpital Pellegrin, Bordeaux

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