Le rétinoblastome
Le rétinoblastome est la tumeur intraoculaire maligne de l’enfant la plus fréquente. Son incidence est estimée à 1 cas pour 20 000 naissances, soit environ 50 cas/an en France. Il survient principalement chez l’enfant en bas âge : l’âge médian au diagnostic est de 12 mois en cas d’atteinte bilatérale, et d’environ 24 mois en cas d’atteinte unilatérale. Un contexte familial de rétinoblastome est retrouvé chez 10% des patients.
Dans les pays les plus favorisés, le taux de mortalité est de nos jours inférieur à 2%. Cependant, dans le cas d’un important retard diagnostique ou en l’absence de prise en charge thérapeutique, l’apparition de métastases menace encore le pronostic vital de nombreux enfants dans les pays les moins favorisés. Le rétinoblastome menace également la vision de l’enfant, à cause de la localisation fréquemment postérieure des lésions et de l’atteinte parfois bilatérale. Son diagnostic et sa prise en charge thérapeutique relèvent donc de l’urgence. Cependant, malgré les signes cliniques bien connus, le rétinoblastome est encore souvent diagnostiqué à un stade avancé, nécessitant un traitement agressif avec risque élevé d’énucléation ou de basse vision de l’œil atteint.
Clinique et diagnostic
Deux signes cliniques sont fréquemment associés au rétinoblastome : une leucocorie et un strabisme. Une leucocorie est un reflet blanc au travers de la pupille, correspondant au reflet de la lumière sur la tumeur intraoculaire déjà volumineuse. Elle est présente au diagnostic dans 60% des cas. Elle peut être permanente ou transitoire, visible alors uniquement dans certaines incidences ou conditions lumineuses (flash d’appareil photo…). Un strabisme est rencontré plus précocement, généralement lié à une tumeur à localisation maculaire, provoquant une perte de fixation de l’œil atteint.
La présence de l’un de ces 2 signes, même s’ils sont intermittents, signalés par l’entourage ou repérés sur photo sans être retrouvés à l’examen, requiert la réalisation en urgence d’un fond dilaté des 2 yeux, au besoin sous anesthésie générale puis, en cas de doute, d’un examen ophtalmologique par une équipe expérimentée dans la prise en charge des pathologies oculaires pédiatriques.
Au fond d’œil, on retrouve une ou plusieurs masses intrarétiniennes blanchâtres lisses, de taille variable, parfois multilobées et localisées au pôle postérieur ou en périphérie. La vascularisation rétinienne des lésions peut être tortueuse ou dilatée, plongeant vers la profondeur de la tumeur mais sans télangiectasie en surface. Des calci fications intratumorales peuvent être visualisées alors qu’un essaimage tumoral sous-rétinien ou dans le vitré est caractéristique du rétinoblastome. Un décollement de rétine exsudatif peut être associé (figure 1). On définit les formes endophytique (extension vers le vitré), exophytique (envahissement sous-rétinien et décollement de rétine) ou mixte. Si l’atteinte est avancée, une rubéose, un glaucome néovasculaire ou plus rarement une buphtalmie peuvent être présents. Enfin, la forme clinique rare et plus tardive, le rétinoblastome infiltrant diffus, peut associer un pseudo-hypopion (cellules tumorales), une infiltration blanchâtre de l’iris, une pseudo- hyalite ainsi qu’une infiltration diffuse de la rétine, parfois uniquement antérieure.
Une échographie en mode B confirmera la présence de masses rétiniennes. La présence, dans les lésions les plus volumineuses, de zones hyperéchogènes caractéris tiques de calcifications intralésionnelles est suggestive d’un rétinoblastome. L’OCT permettra de mieux visualiser des lésions de petite taille, localisées dans les couches internes de la rétine. Enfin, la réalisation d’une IRM sous sédation sera une aide au diagnostic dans les cas difficiles et permettra d’exclure une extension extraoculaire du rétinoblastome, un envahissement du nerf optique ou une atteinte de la glande pinéale (rétinoblastome trilatéral). La réalisation d’un scanner est déconseillée chez ces enfants potentiellement porteurs d’une mutation constitutionnelle du gène RB1. En cas de doute diagnostique avec un rétinoblastome, il convient de proscrire une ponction de chambre antérieure ou une vitrectomie diagnostique en raison du risque de dissémination tumorale orbitaire, mettant en jeu le pronostic vital de l’enfant.
Plusieurs pathologies vitréo-rétiniennes du jeune enfant ont une présentation proche du rétinoblastome. Parmi les diagnostics différentiels, on citera principalement la maladie de Coats, la persistance ou l’hyperplasie du vitré primitif, le médullo-épithéliome, le mélanome uvéal de l’enfant, le décollement de rétine secondaire à d’autres causes ainsi que la toxocarose. Outre un examen minutieux du fond d’œil, IRM et échographie doppler permettront d’orienter le diagnostic.
Toute suspicion clinique de rétinoblastome impose que l’enfant soit référé rapidement en milieu d’oncologie oculaire pédiatrique.
Traitements
La prise en charge thérapeutique d’un rétinoblastome est discutée lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire associant pédiatres, ophtalmologistes, radiologues, oncologue-radiothérapeutes, pathologistes et généticiens. Il existe 2 types de traitements : non conservateurs (énucléation) et conservateurs.
Traitements non conservateurs
La chirurgie d’énucléation consiste en une ablation chirurgicale de l’œil avec section du nerf optique à distance de son insertion oculaire, mise en place d’un implant intraorbitaire, conservation des muscles oculomoteurs et pose, un mois après la chirurgie, d’une prothèse oculai re au résultat esthétique souvent satisfaisant. L’analyse histologique du globe recherchera des facteurs de risque de rechute orbitaire ou de dissémination métastatique (envahissement scléral profond, envahissement des gaines méningées…), justifiant la réalisation d’une chimiothérapie adjuvante à forte dose. Si une buphtalmie est détectée au diagnostic, une chimiothérapie de cytoréduction sera réalisée avant la chirurgie.
Traitements conservateurs
Les traitements conservateurs associent fréquemment une chimiothérapie et des traitements ophtalmologiques locaux. Au diagnostic, la chimiothérapie est administrée principalement :
- par voie intraveineuse, associant le plus souvent 3 molécules (carboplatine, vincristine, étoposide) durant 6 cures ;
- par voie intra-artérielle, au travers de l’artère ophtalmi que, par cathétérisme vasculaire jusqu’à l’ostium de celle-ci. Elle permet d’administrer la chimiothérapie (melphalan ou topotécan) directement dans l’artère ophtalmique, limitant ainsi ses effets indésirables systémiques. Elle n’est cependant pas dépourvue de toxicité locale oculaire, notamment sur le réseau vasculaire sanguin choroïdien et rétinien, et doit être réalisée par une équipe de neuro radiologistes pédiatriques.
Les traitements locaux ophtalmologiques sont souvent réalisés en complément de ces traitements, après quelques cycles de chimiothérapie :
- la thermothérapie transpupillaire (laser diode de longueur d’onde 810 nm), réalisée sur les tumeurs postérieures (figure 2) ;
- la cryothérapie, réalisée sur les tumeurs antérieures ;
- la brachythérapie (curiethérapie) par disque d’iode radioactif, moins fréquemment réalisée et souvent en seconde intention.
Dans le cas d’une tumeur de petite taille (détection précoce ou petite récidive), les traitements locaux pourront être utilisés seuls ou combinés à une seule molécule de chimiothérapie (carboplatine).
L’administration de chimiothérapie par voie intravitréenne (melphalan ou topotécan) a été développée ces dernières années pour traiter les essaimages vitréens. Elle repose sur une technique rigoureuse avec ponction de chambre antérieure hypotonisante et triple cryothérapie sur le point d’injection, afin d’éviter tout risque de dissémination des cellules tumorales le long de la trajectoire de l’aiguille et de propagation tumorale extraoculaire.
Enfin, l’irradiation externe du globe oculaire n’est plus utilisée car elle provoque non seulement une déformation faciale significative (arrêt de croissance des os irradiés) mais augmente également le risque de tumeurs secondaires en territoire irradié (principalement des sarcomes) chez les enfants porteurs d’une mutation constitutionnelle du gène RB1. Seule la radiothérapie externe de la cavité orbitaire sera utilisée (par exemple par protonthérapie ou brachythérapie orbitaire) dans les rares atteintes extra-oculaires de rétinoblastome
Suivi
Il existe un risque non négligeable de récidive de tumeurs traitées et d’apparition de nouvelles lésions, risque maximal durant les 2 premières années de vie puis en diminution progressive. Un suivi régulier en milieu spécialisé est donc essentiel, d’abord mensuel puis espacé progressivement. Ce suivi comportera un examen sous anesthésie générale du fond d’œil et avec indentation sclérale périphérique, puisque les nouvelles tumeurs seront progressivement de plus en plus périphériques et localisées, vers l’âge de 18-24 mois, à l’ora serrata.
Vers l’âge de 4 à 5 ans, le suivi sera réalisé en consultation en milieu spécialisé, sans anesthésie (pour autant que la collaboration de l’enfant soit suffisante) et, lorsque la maladie sera stabilisée, la surveillance du fond d’œil et des éventuelles complications sera progressivement alternée avec les ophtalmologistes en ville.
Étant donné le contexte génétique du rétinoblastome et la présence d’une mutation constitutionnelle du gène RB1 dans le cas d’une atteinte bilatérale et dans 15% des atteintes unilatérales, les patients doivent être informés du risque de transmission de cette mutation à leur descendance. Un dépistage ophtalmologique précoce à la naissance de la descendance devra être réalisé et répété selon un calendrier défini ; il est également possible de proposer aux parents un diagnostic anténatal. De même, un dépistage ophtalmologique devra être effectué parmi la fratrie et apparentés des patients.
Enfin, la présence d’une mutation constitutionnelle du gène RB1 prédispose à la survenue ultérieure d’autres cancers (majoritairement des sarcomes des tissus mous ou des ostéosarcomes). Les thérapies mutagènes devront être évitées au maximum, notamment la radiothérapie externe, mais également, dans une moindre mesure, la chimiothérapie (doses les moins toxiques possibles, alternatives à l’administration intraveineuse…).
Les ophtalmologistes, tant en milieu spécialisé qu’en ville, jouent donc un rôle essentiel dans cette surveillance, ainsi que dans l’information des patients et de leur famille.
Conclusion
Le rétinoblastome est une urgence diagnostique et thérapeutique. Dans le cas d’une suspicion clinique, un examen du fond d’œil sous anesthésie générale doit être réalisé sans délai. Les signes d’appel les plus fréquents sont une leucocorie et/ou un strabisme, parfois intermit tents. La prise en charge est multidisciplinaire. Les traite ments peuvent être non conservateurs (énucléation pour les cas les plus avancés) ou conservateurs, associant alors chimiothérapie et traitements locaux oculaires. Étant donné le contexte génétique du rétinoblastome et la présence chez certains enfants d’une mutation constitutionnelle du gène RB1, le conseil génétique et l’information aux familles font partie intégrante de la prise en charge. S’il existe un contexte familial de rétinoblastome, un dépistage des tumeurs dès la naissance est primordial.
Pour en savoir plus
Munier FL, Beck-Popovic M, Chantada GL et al. Conservative management of retinoblastoma: Challenging orthodoxy without compromising the state of metastatic grace. “Alive, with good vision and no comorbidity.” Prog Retin Eye Res. 2019;73:100764.
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Lumbroso-Le Rouic L, Blanc R, Saint Martin C et al. Selective ophthalmic artery chemotherapy with melphalan in the management of unilateral retinoblastoma: A prospective study. Ophthalmol Retina. 2021;5(8):e30-e37.
Mallipatna A, Marino M, Singh AD. Genetics of Retinoblastoma. Asia Pac J Ophthalmol. 2016;5(4):260-4.
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