Lasik et isotrétinoïne : contre-indication absolue ?
Nous rapportons le cas d’un patient âgé de 17 ans ayant consulté au CHU de Bordeaux en juillet 2020 pour une rougeur et une douleur à son œil droit. Il nous rapporte avoir été opéré de Lasik aux 2 yeux 3 semaines plus tôt, avec une réfraction préopératoire de +3,00 (-2,00) 15 ° à droite et +2,00 (-1,50) 150 ° à gauche. À l’interrogatoire, on retrouve dans les antécédents généraux une acné traitée par isotrétinoïne (Roaccutane®) depuis 6 mois. Le traitement a été arrêté 1 semaine avant la chirurgie réfractive et le patient a bénéficié de bouchons méatiques inférieurs en préalable à la chirurgie devant une probable sécheresse oculaire (patient traité hors centre).
Observation
L’examen aux urgences met en évidence à droite un abcès de cornée au niveau de l’interface du capot avec effraction épithéliale (figure 1) et une acuité visuelle sans correction (AVSC) de 1/10 P14 (vs 10/10 P2 OG). Le patient est donc hospitalisé et traité par tri-antibiothérapie topique renforcée qui permet une bonne évolution et évite de réaliser un soulèvement du capot pour grattage cornéen et irrigation de l’interface avec des antibiotiques. On introduit la dexaméthasone à J3 devant l’apparition de nouveaux infiltrats d’allure inflammatoire.
La topographie cornéenne (OCT-topographie, CASIA 2, Tomey) se régularise au fil des mois et permet une remontée de l’AVSC à 5/10 à 6 mois et de 9/10 P2 à 12 mois (figure 2).
À noter, également, l’introduction de ciclosporine 2%, 3 gouttes par jour, pour limiter les rebonds inflammatoires récidivants à l’arrêt de la corticothérapie et entraînant de nouveaux infiltrats à chaque fois (figure 3).
Discussion
L’isotrétinoïne est utilisée par les dermatologues pour les acnés sévères résistantes à des cures appropriées de traitement classique comportant des antibiotiques systémiques et un traitement topique. Elle agit en supprimant l’activité des glandes sébacées. Sur le plan ophtalmologique, cette molécule modifie l’expression génétique des cellules épithéliales des glandes de Meibomius, réduit l’activité des médiateurs de survie cellulaire, inhibe la prolifération et induit la mort des meibocytes.
La sécheresse oculaire est un effet indésirable fréquemment constaté (50% des patients à partir de la cinquième semaine de traitement).
La FDA (Food and Drug Administration) classe la prise d’isotrétinoïne comme une contre-indication à la réalisation d’une chirurgie réfractive cornéenne. Il est recommandé d’attendre 6 mois après l’arrêt du traitement avant d’envisager une telle chirurgie. Ortega-Usobiaga et al. ne rapportent cependant aucune complication chez 113 patients en cours de traitement par isotrétinoïne et ayant bénéficié d’un Lasik ou d’une PKR.
Chez notre jeune patient, l’isotrétinoïne a été arrêtée trop tardivement et la sécheresse oculaire aurait dû alerter l’ophtalmologiste sur le risque de complications postopératoires, et notamment infectieuses, avec la présence d’une potentielle porte d’entrée épithéliale.
Un traitement accru du syndrome sec oculaire est un préalable indispensable avant d’envisager une chirurgie réfractive.
Pour en savoir plus
Miles S, McGlathery W, Abernathie B. The importance of screening for laser-assisted in situ kertomileusis operation (LASIK) before prescribing isotretinoin. J Am Acad Dermatol. 2006;54(1):180-1.
Ortega-Usobiaga J, Llovet-Osuna F, Djodeyre MR et al. Outcomes of laser in situ keratomileusis and photorefractive keratectomy in patients taking isotretinoin. Am J Ophthalmol. 2018;192:98-103.
Bower KS, Woreta F. Update on contraindications for laser-assisted in situ keratomileusis and photorefractive keratectomy. Curr Opin Ophthalmol. 2014;25(4):251-7.