La chirurgie robotisée du segment postérieur
En dehors de notre spécialité, les progrès dans le domaine de la robotique chirurgicale ont permis aux chirurgiens de dépasser les limites humaines et ont considérablement amélioré la dextérité et la précision de la chirurgie. Le système chirurgical robotisé le plus répandu est le da Vinci (Intuitive Surgical, Sunnyvale, CA, États-Unis), dont l’introduction a révolutionné plusieurs spécialités. La chirurgie assistée par robot est principalement appliquée dans le domaine des procédures laparoscopiques et thoracoscopiques ; cependant, à ce jour, elle est peu développée en chirurgie ophtalmologique.
La chirurgie vitréo-rétinienne est l’une des microchirurgies les plus difficiles sur le plan technique et nécessite une précision qui atteint souvent les limites de la dextérité humaine et qui doit être réalisée dans un environnement anatomique contraint. Les avantages théoriques des robots chirurgicaux en matière de contrôle et de précision des tremblements pourraient donc être appliqués en chirurgie intraoculaire. Ainsi, ces dernières années, les recherches sur les robots dédiés à la chirurgie intraoculaire se sont multipliées. Des prototypes sont en cours d’évaluation pour leur mise en place dans des procédures chirurgicales existantes et pour le développement de nouvelles applications qui nécessitent des niveaux de précision dépassant les capacités humaines, dont le tremblement physiologique est d’environ 100 µm lorsqu’il est transmis à la pointe d’un instrument intraoculaire.
Les systèmes robotiques en développement aujourd’hui visent non pas à remplacer les chirurgiens vitréo-rétiniens mais à augmenter leurs capacités afin d’améliorer la précision et la sécurité des gestes endo-oculaires, et à faire émerger de nouvelles indications. Les processus techniquement difficiles tels que la microcanulation d’un vaisseau rétinien peuvent bénéficier de la chirurgie robotique car en raison de la petite taille de ces vaisseaux, ces opérations atteignent ou dépassent les capacités de nombreux chirurgiens vitréo-rétiniens, limitées par les tremblements physiologiques. La chirurgie robotisée pourrait améliorer les performances chirurgicales en offrant un niveau de précision accru grâce à la suppression du tremblement physiologique, la mise à l’échelle des mouvements, et l’intégration des données peropératoires.
Systèmes robotiques existants
Les systèmes robotiques en développement aujourd’hui vont d’outils portatifs robotisés de comanipulation à des dispositifs électroniques plus avancés de téléchirurgie, où le chirurgien contrôle à distance le système robotisé.
Les stratégies d’assistance portatives de micromanipulation se concentrent sur le contrôle des tremblements et de la profondeur, améliorant ainsi la dextérité du chirurgien. Dans les systèmes de comanipulation, conçus pour effectuer des tâches spécifiques avec des degrés de liberté finis, le chirurgien tient et contrôle l’instrument chirurgical simultanément avec le robot, ce qui fournit une assistance pour limiter le tremblement physiologique de la main humaine. En plus du contrôle des tremblements, les systèmes de télémanipulation bénéficient d’une mise à l’échelle dynamique des mouvements, de limites de sécurité réglables, de positions d’arrêt des instruments pour une sécurité améliorée.
Il existe principalement 2 systèmes en cours de développement pour la chirurgie du segment postérieur en Europe : le système robotique de télémanipulation intraoculaire Preceyes (Eindhoven, Pays-Bas) développé par le Dr Marc De Smet et qui a obtenu le marquage CE en 2019 et a déjà été utilisé chez l’homme [1] ; dans ce système, l’instrument chirurgical est fixé au bras robotisé et le chirurgien le contrôle à distance avec un joystick ; un autre système est développé par Acusurgical, une start-up française fondée en 2020 par Christoph Spuhler, les professeurs de robotique Philippe Poignet et Yassine Haddab, ainsi que 2 chirurgiens ophtalmologistes, les Prs Philippe Gain et Gilles Thuret. Acusurgical développe une plateforme robotique bi-manuelle visant à réaliser l’ensemble des étapes de la chirurgie vitréo-rétinienne. Ce robot rentrera en phase clinique courant 2023 (figure).
Applications cliniques
Applications pour la chirurgie vitréo-rétinienne standard
Le système robotique chirurgical Preceyes a été testé pour certaines étapes de la chirurgie du segment postérieur, telles que le pelage de la membrane limitante interne (MLI), en utilisant le simulateur chirurgical Eyesi (VRmagic, Mannheim, Allemagne) comme plate-forme opératoire [2]. En effet, un simulateur chirurgical qui intègre la technologie de réalité virtuelle dans un globe oculaire bionique pour créer un scénario chirurgical permet une évaluation chirurgicale automatique et objective ainsi qu’un cadre de test sécurisé et standardisé qui fournit des données quantifiables concernant les performances chirurgicales. Par conséquent, les tests sur simulateur chirurgical sont des options appropriées pour l’évaluation préclinique des robots chirurgicaux.
Des études ont comparé la chirurgie vitréo-rétinienne assistée par robot à la chirurgie manuelle réalisée à la fois par des résidents et des experts vitréo-rétiniens expérimentés dans un simulateur chirurgical. L’une d’elles a comparé le pelage de la MLI réalisée par 23 chirurgiens vitréo-rétiniens sur le simulateur, d’abord de façon manuelle puis avec la pince robotisée du robot Preceyes [2]. Le temps moyen nécessaire à la procédure était de 5 minutes pour l’approche manuelle vs 9 minutes avec le robot (p = 0,002). Le mouvement de l’instrument intraoculaire a été réduit de moitié avec le robot : en moyenne, 344 µm ont été nécessaires pour terminer le pelage ILM avec le robot vs 600 µm en pelage manuel (p = 0,002). Il y avait moins d’hémorragies maculaires rétiniennes avec le robot : 53 avec la chirurgie manuelle vs 32 avec le robot (p = 0,035).
Le système Preceyes a également été utilisé dans des yeux humains subissant une chirurgie de membrane épirétinienne ou de trou maculaire. Un essai randomisé a notamment exploré la faisabilité et la sécurité de réalisation des étapes chirurgicales courantes dans le pelage de la membrane épirétinienne (MER) à l’aide du système chirurgical Preceyes [3]. Cet essai a été réalisé aux Pays-Bas et en Suisse chez 15 patients pseudophakes avec une MER idiopathique, qui ont été randomisés pour recevoir soit une chirurgie avec assistance robotique, soit une chirurgie manuelle. Dans le groupe assisté par robot, les étapes suivantes ont été réalisées à l’aide du robot Preceyes : coloration de la MLI, lavage du colorant, création d’un lambeau de membrane limitante interne, réalisation du pelage de la membrane, maintien de l’endolumière et réalisation d’un échange fluide-air. La distance parcourue par l’instrument pendant le pelage a été évaluée à l’aide d’un logiciel de suivi de mouvement.
Les résultats de cet essai ont montré que toutes les étapes réalisées avec le robot Preceyes se sont déroulées sans événements indésirables ni complications cliniques. Le temps opératoire était plus long dans le groupe assisté par robot (moyenne de 56 ± 12 minutes vs 24 ± 5 minutes). Il existe un effet d’apprentissage de l’utilisation du robot car au cours de l’étude, la durée des chirurgies assistées par robot est passée de 72 à 46 min. La distance parcourue par la pince était plus courte dans le groupe assisté par robot (moyenne 403 ± 186 µm vs 550 ± 134 µm). L’acuité visuelle et l’épaisseur maculaire se sont améliorées de manière similaire dans les 2 groupes. Ainsi, ce premier essai contrôlé randomisé sur la chirurgie robotique pour les MER a montré que, bien que plus chronophages, plusieurs étapes chirurgicales étaient réalisables avec l’aide d’un robot chirurgical [3].
Applications futures pour de nouvelles procédures
En plus de la chirurgie standard, une nouvelle procédure impliquant la canulation des veines rétiniennes dans les yeux présentant une occlusion veineuse rétinienne – actuellement considérée comme trop risquée ou impossible par approche manuelle humaine –, a également été testée avec l’assistance robotique dans des études précliniques et cliniques [4].
Un autre domaine d’intérêt particulier pour la chirurgie assistée par robot est celui de la thérapie génique et cellulaire pour les maladies dégénératives rétiniennes. En effet, ces procédures nécessitent une administration précise et prolongée de substances thérapeutiques dans un espace sous-rétinien souvent remanié par la gliose et l’amincissement rétinien dans le cas d’une dégénérescence avancée. L’assistance robotique, qui peut offrir une meilleure stabilité des instruments microchirurgicaux, avec des capacités de contrôle des tremblements, pourrait potentiellement améliorer la sécurité et l’efficacité de ces procédures rétiniennes difficiles, en particulier lorsqu’il est nécessaire de traiter la partie centrale de la macula, la fovéa, région critique pour la lecture et la reconnaissance faciale.
En prévision de la potentielle future application de la chirurgie robotique dans les thérapies génétiques et cellulaires, la faisabilité et la sécurité de l’administration sous-rétinienne de médicaments assistée par robot chez les patients subissant une chirurgie vitréo-rétinienne pour une hémorragie sous-maculaire (ClinicalTrials.gov NCT03052881) ont été récemment évaluées avec le système chirurgical Preceyes. L’hémorragie sous-maculaire, qui peut résulter d’une DMLA néovasculaire ou de macroanévrysmes rétiniens rompus, nécessite dans certains cas une chirurgie vitréo-rétinienne impliquant une vitrectomie et une injection sous-rétinienne d’un activateur tissulaire du plasminogène (TPA), suivies par tamponnement d’air ou de gaz dans la cavité vitréenne. L’objectif est de faciliter le déplacement pneumatique du sang et de minimiser le risque de dommages irréversibles de la macula. Cette procédure particulière est proche de la méthode de délivrance de vecteurs sous-rétiniens ou de suspensions cellulaires et pourrait donc être utilisée comme modèle pour une future thérapie génique ou cellulaire rétinienne assistée par robot [5].
Intégration des données d’imagerie
L’OCT est la technique d’imagerie gold standard pour le diagnostic et le suivi des pathologies rétiniennes et plusieurs microscopes opératoires permettent aujourd’hui d’avoir un OCT intégré au microscope pour obtenir des images in vivo en temps réel au cours de la procédure chirurgicale. L’intégration d’un système d’imagerie peropératoire à la chirurgie robotisée pourrait permettre d’augmenter encore davantage les performances et la précision du système.
L’efficacité d’un capteur de distance basé sur l’OCT intégré à l’instrument (iiOCT) pendant la chirurgie robotique vitréo-rétinienne à l’aide du système chirurgical Preceyes a été testée chez 5 patients [6]. Dans cette étude, après la vitrectomie, un ensemble prédéfini d’actions a été effectué à l’aide du capteur basé sur iiOCT. La faisabilité de l’exécution de tâches chirurgicales à l’aide de ce capteur pendant la chirurgie vitréo-rétinienne a été confirmée. L’analyse des capteurs A-scan basés sur iiOCT a identifié 3 couches rétiniennes clairement distinguables, y compris la limite rétinienne interne et l’interface au niveau de l’épithélium pigmentaire rétinien-membrane de Bruch. Les valeurs d’épaisseur différaient de moins de 5% de celles mesurées par l’OCT préopératoire, indiquant sa précision. Ce capteur basé sur iiOCT est une étape prometteuse vers la chirurgie rétinienne robotisée guidée par l’OCT.
Conclusion
La chirurgie robotisée pour le segment postérieur n’en est encore qu’à ses débuts mais ses performances et nombreuses applications pourraient représenter le prochain tournant majeur dans la chirurgie en ophtalmologie. La supériorité par rapport à la chirurgie conventionnelle doit encore être démontrée à plus grande échelle.
Références bibliographiques
[1] Edwards TL, Xue K, Meenink HC et al. First-in-human study of the safety and viability of intra-ocular robotic surgery. Nat Biomed Eng. 2018;2:649-56.
[2] Maberley D, Beelen M, Smit J et al. A comparison of robotic and manual surgery for internal limiting membrane peeling. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2020;258(4):773-8.
[3] Faridpooya K, van Romunde SH, Manning SS, van Meurs JC. Randomised controlled trial on robot-assisted versus manual surgery for pucker peeling. Clin Exp Ophthalmol. 2022;50(9):1057-64.
[4] Gijbels A, Smits J, Schoevaerdts L et al. In-human robot-assisted retinal vein cannulation, a world first. Ann Biomed Eng. 2018;46(10):1676-85.
[5] Cehajic-Kapetanovic J, Xue K, Edwards TL et al. First-in-human robot-assisted subretinal drug delivery under local anesthesia. Am J Ophthalmol. 2022;237:104-13.
[6] Cereda MG, Parrulli S, Douwen YG et al. Clinical evaluation of an instrument-integrated oct-based distance sensor for robotic vitreoretinal surgery. Ophthalmol Sci. 2021;1(4):100085.