Impact de la lumière bleue sur la rétine
L’impact de la lumière bleue sur la rétine effraie et continue à donner lieu à de multiples interrogations. Les plus prudents ont déjà vérifié les caractéristiques de toutes leurs ampoules, les plus anxieux ont changé leur mode d’éclairage, tandis que les autres attendent des arguments convaincants. Que savons-nous en 2020 de l’impact de la lumière bleue sur la rétine ? Les travaux publiés montrant les effets de la lumière LED sur les cellules rétiniennes sont intégrés aux différents rapports de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Quelles recommandations doivent être prises en compte ?
Qu’est-ce que la lumière bleue ? Et pourquoi s’y intéresser ?
L’éclairage représente 20% de la production mondiale d’électricité. Dans une démarche écologique et économique, les classiques ampoules à incandescence sont peu à peu remplacées par des lumières LED (Light-Emitting Diodes) depuis les années 1990.
Une diode électroluminescente est un composant électronique permettant la transformation de l’électricité en lumière. Si les LED existent depuis de nombreuses années, seule de la lumière verte ou rouge avait pu être initialement produite à l’aide de cette technologie. Ce n’est que dans les années 1990 que des physiciens japonais (Asaki, Amano et Nakamura) ont réussi à mettre au point une lumière bleue à partir de LED. Or, cette lumière bleue est indispensable à la création d’une lumière blanche. Les physiciens ont reçu le prix Nobel de physique en 2014 pour cette mise au point des LED bleues.
Les LED blanches du commerce sont donc, pour la plupart, constituées d’une fine couche de luminophore jaune dans une diode bleue. Une partie du rayonnement bleu est absorbée puis réémise par le luminophore sous la forme d’un rayonnement continu couvrant la partie du spectre visible comprise entre 500 et 700 nm de longueur d’onde (figure 1).
L’intérêt des lampes dites LED est leur faible consommation d’énergie et leur longue durée de vie. Mais leur composition explique un déséquilibre du spectre lumineux, résultant en l’exposition de l’œil à des longueurs d’onde courtes, potentiellement plus toxiques.
Que savons-nous des lésions rétiniennes induites par les LED ?
Plusieurs études se sont intéressées à la dégénérescence rétinienne induite par différentes lampes LED, notamment chez les rats. Un article publié en 2015 montrait les conséquences rétiniennes d’une exposition de rats à la lumière de LED blanches et de LED bleues disponibles dans le commerce [1]. Cette exposition était responsable d’une inflammation rétinienne, d’une infiltration microgliale et macrophagique, ce stress oxydatif entraînant même une apoptose des photorécepteurs (figure 2).
L’étude de la toxicité de différents spectres de rayonnements lumineux sur des cellules de l’épithélium pigmentaire confirmait que l’effet toxique le plus important était celui induit par des rayonnements entre 415 et 455 nm (ce qui correspond à un spectre de lumière bleu violet) [2]. La lumière bleue active les molécules de A2E contenues dans la lipofuscine qui s’accumule dans l’épithélium pigmentaire avec l’âge. L’A2E libère des anions hyperoxydes qui entraînent une apoptose des cellules de l’épithélium pigmentaire par stress oxydatif.
Pourtant toutes les lampes LED n’ont pas les mêmes caractéristiques : ainsi, la lumière froide semble causer plus de dommages cellulaires que la lumière chaude [3,4]. Ces résultats ont été montrés à travers l’étude de lignées cellulaires soumises à l’exposition de différents types de LED.
Que savons-nous de la toxicité de ces lumières LED chez l’homme ?
Les travaux rapportés ci-dessus montrent une toxicité de la lumière LED sur des rétines de rat ou sur les cellules de l’épithélium pigmentaire, et elles portent sur l’étude d’une exposition courte à une lumière intense. Aucune publication ne rapporte les résultats d’une exposition répétée tout au long de la vie, et encore moins chez l’être humain.
De la même façon, aucune donnée ne permet de savoir si les rayonnements bleus issus de la lumière naturelle sont plus toxiques que ceux issus des lampes LED.
Il n’existe donc pas réellement de preuve clinique de la toxicité cumulée de la lumière bleue chez l’homme. Les modèles animaux utilisés pour évaluer la dégénérescence induite par la lumière permettent une analyse des mécanismes mais sont difficiles à transposer à la pathologie humaine.
Le risque de toxicité est impossible à prédire mais l’analyse de toutes les données accumulées au sujet de la lumière bleue ne permet pas d’éliminer un risque non découvert lié à une exposition chronique tout au long de la vie, d’autant que les lésions induites par la lumière pourraient ne pas induire de changement visible mais une perte cumulative des photorécepteurs.
Quelles sont les recommandations ?
L’ANSES a produit en mai 2019 un rapport de 458 pages sur les Effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore) des diodes électroluminescentes (LED). Ce rapport très riche rend les conclusions d’un groupe de travail dirigé par le Professeur Behar-Cohen ; il est téléchargeable sur Internet.
Selon les résultats de son expertise, l’ANSES a émis une série de recommandations afin de limiter l’exposition de la population à la lumière « riche en bleu ». Elle rappelle l’importance de privilégier des éclairages domestiques de type « blanc chaud » (température de couleur inférieure à 3000 K). Afin de prévenir les effets de perturbation des rythmes biologiques, elle recommande de limiter l’exposition des populations, et en particulier des enfants, à la lumière riche en bleu des écrans à LED (téléphones mobiles, portables, ordinateurs, etc.) avant le coucher et pendant la nuit.
Par ailleurs, l’ANSES recommande de faire évoluer le cadre réglementaire s’appliquant à tous les systèmes à LED et en particulier de :
- restreindre la mise à disposition des objets à LED auprès du grand public à ceux de groupe de risque photobiologique 0 ou 1 ;
- limiter l’intensité lumineuse des phares des véhicules automobiles, tout en garantissant la sécurité routière ;
- réduire au minimum le niveau de modulation temporelle de la lumière émise par toutes les sources lumineuses (éclairages, écrans, objets à LED).
D’autre part, concernant les moyens de protection disponibles pour le grand public tels que les verres traités, les lunettes de protection ou les écrans spécifiques, l’agence souligne que leur efficacité contre les effets de la lumière bleue sur la rétine est très variable. De la même façon, leur efficacité pour la préservation des rythmes circadiens n’est pas prouvée aujourd’hui. L’ANSES encourage donc l’établissement de normes définissant les critères de performance des équipements de protection vis-à-vis de la lumière bleue.
L’expertise met enfin en évidence certaines populations plus exposées aux risques de la lumière bleue, et notamment les enfants, du fait de leur cristallin, protecteur de la rétine, qui est en cours de développement jusqu’à l’âge de 20 ans.
Quels sont les effets de la lumière bleue sur le sommeil ?
La lumière est indispensable à la synchronisation de l’horloge biologique : elle est captée au niveau de la rétine par les cellules ganglionnaires à mélanopsine, sensibles au bleu. Ces cellules sont reliées aux noyaux suprachiasmatiques par un système nerveux différent de celui impliqué dans la perception visuelle.
Le signal transmis à l’horloge interne provoque la remise à l’heure du cycle pour le synchroniser sur 24 heures. Ce même signal est aussi transmis à d’autres structures cérébrales dites « non visuelles », qui sont notamment impliquées dans la régulation de l’humeur, de la mémoire, de la cognition et du sommeil.
C’est donc l’exposition à la lumière pendant la journée et l’obscurité pendant la nuit qui permettent de synchroniser l’horloge biologique à la journée de 24 heures. Et l’effet de la lumière dépend de l’heure : une exposition tardive (entre 17 heures et 5 heures en moyenne) retarde l’horloge, alors qu’une exposition précoce (entre 5 heures et 17 heures en moyenne) l’avance. L’effet de la lumière sur l’horloge dépend aussi de son spectre (sa couleur). Il sera d’autant plus important qu’il sera riche en longueurs d’onde bleues (~460-500 nm).
La lumière bleue est en effet un puissant régulateur du sommeil : pour une même intensité lumineuse perçue, la lumière LED bleue active 100 fois plus les récepteurs photosensibles non visuels (cellules ganglionnaires à mélanopsine) que la lumière blanche d’une lampe fluorescente.
Si l’on s’expose le soir à la lumière, cela provoque un retard de l’horloge biologique, un retard à l’endormissement et généralement une dette de sommeil.
Et que savons-nous concernant le lien entre lumière et myopie forte ?
La lumière bleue, qui comprend les radiations du spectre lumineux visible les plus énergétiques (les plus courtes longueurs d’onde sont perçues comme violettes – 360 à 400 nm) pourrait être un facteur dont le déficit chronique est un facteur de risque pour l’apparition et l’évolution de la myopie. C’est ce qui avait été proposé dès 2013, en comparant des élevages de poulets exposés à de la lumière rouge ou bleue [5].
En raison des potentiels effets toxiques de la lumière bleue, des chercheurs japonais se sont intéressés à la lumière violette, dont la longueur d’onde est légèrement plus courte que celle de la lumière bleue.
Ces chercheurs ont montré que la myopie évoluait moins vite dans un groupe d’enfants myopes équipés de lentilles de contact correctrices transparentes pour la lumière violette [6] (longueur d’onde : 360-400 nm). La même équipe a montré des résultats similaires chez des adultes myopes forts opérés par la pose de 2 types d’implant phake [7]. Les patients ayant reçu l’implant ARTIFLEX ont bénéficié d’une moindre élongation du globe oculaire au fil du temps : or, la transmission de cet implant pour la lumière violette est supérieure à celle de l’ARTISAN.
Conclusion
Il existe un faisceau d’arguments pour suspecter une toxicité de la lumière bleue sur la rétine in vivo et chez l’animal, mais les risques liés à l’exposition cumulée chez l’homme sont difficiles à quantifier.
La réglementation restreint la mise à disposition des objets à LED auprès du grand public à ceux ayant un risque photobiologique faible (0 ou 1). Et les connaissances concernant la chronobiologie montrent l’importance d’éviter l’exposition aux écrans le soir, pour éviter les troubles du sommeil.
Mais certaines longueurs d’onde peuvent être bénéfiques, notamment pour éviter l’évolution de la myopie, et l’utilisation de verres filtrants ces longueurs d’onde doit être envisagée avec prudence.
Références bibliographiques
[1] Jaadane I, Boulenguez P, Chahory S et al. Retinal damage induced by commercial light emitting diodes (LEDs). Free Radic Biol Med. 2015;84:373-84.
[2] Marie M, Bigot K, Angebault C et al. Light action spectrum on oxidative stress and mitochondrial damage in A2E-loaded retinal pigment epithelium cells. Cell Death Dis. 2018;9(3):287.
[3] Gea M, Schilirò T, Iacomussi P et al. Cytotoxicity and genotoxicity of light emitted by incandescent, halogen, and LED bulbs on ARPE-19 and BEAS-2B cell lines. J Toxicol Environ Health A. 2018;81(19):998-1014.
[4] Behar-Cohen F, Martinsons C, Viénot F et al. Light-emitting diodes (LED) for domestic lighting: any risks for the eye? Prog Retin Eye Res 2011;30(4):239-57.
[5] Foulds WS, Barathi VA, Luu CD. Progressive myopia or hyperopia can be induced in chicks and reversed by manipulation of the chromaticity of ambient light. Invest Ophthalmol Vis Sci 2013;54(13):8004-12.
[6] Torii H, Kurihara T, Seko Y et al. Violet light exposure can be a preventive strategy against myopia progression. EBioMedicine. 2017;15:210-9.
[7] Torii H, Ohnuma K, Kurihara T et al. Violet light transmission is related to myopia progression in adult high myopia. Sci Rep. 2017;7(1):14523.