Iatrogénicité des médicaments en ophtalmologie : les antiglaucomateux
Au regard des quelque 80 millions de patients dans le monde présentant en 2020 une neuropathie optique glaucomateuse et nécessitant une intervention thérapeutique, il n’est pas surprenant qu’une iatrogénicité non négligeable soit observée lors de la prise en charge d’un glaucome. Un bilan ophtalmologique approprié doit donc être réalisé avant et pendant le traitement antiglaucomateux.
De quelque 80 millions en 2020, le nombre de personnes glaucomateuses devrait atteindre 111,8 millions en 2040 [1], entraînant ainsi une quantité considérable d’interventions thérapeutiques et, par conséquent, une iatrogénicité non négligeable. Dans les études cliniques, ces effets indésirables surviennent chez au moins 60% de la population traitée pour un glaucome et ils peuvent impacter directement la qualité de vie des patients [2]. Les réactions à l’utilisation d’un antiglaucomateux sont essentiellement toxiques et rarement allergiques. Les réactions d’intolérance sont fonction du pH, de la concentration et de la liposolubilité. Les allergies sont provoquées avant tout par les agents pharmacologiques, et de façon secondaire par les conservateurs. Deux éléments doivent donc être pris en compte concernant la iatrogénicité lors du traitement d’un patient glaucomateux : les conservateurs et le principe actif lui-même. Un bilan ophtalmologique approprié sera donc réalisé avant de débuter le traitement antiglaucomateux, puis régulièrement durant ce traitement en parallèle du suivi de l’évolution anatomique et fonctionnelle de la neuropathie optique.
Iatrogénicité et conservateurs
Une multitude de conservateurs sont retrouvés dans les collyres antiglaucomateux. Les ammoniums quaternaires, dont le chlorure de benzalkonium (BAK), sont les plus utilisés. La toxicité du BAK sur la surface oculaire est bien connue grâce aux nombreux travaux de l’équipe du Pr Baudouin [3]. En pratique, il faut retenir que les collyres avec conservateurs induisent beaucoup plus d’effets iatrogènes locaux (brûlures, irritations, inconfort, etc.) que les collyres sans conservateurs. Les mécanismes d’action sont complexes et nombreux ; le Pr Baudouin a bien montré l’augmentation des médiateurs inflammatoires, la cytotoxicité directe sur des cellules épithéliales et l’hyperosmolarité du film lacrymal [4]. Cette toxicité sur la surface oculaire est à l’origine d’une sécheresse oculaire qualitative et le BAK est l’un des éléments aggravants du fameux cercle vicieux de l’instabilité du film lacrymal. À noter que l’effet délétère du BAK augmente avec le nombre de collyres antiglaucomateux et la durée du traitement. En revanche, cet effet toxique est généralement réversible à l’arrêt des collyres en question (figure 1). Outre les symptômes désagréables pour le patient, il a été montré que ces réactions inflammatoires locales pouvaient conduire à une fibrose sous-conjonctivale impactant directement le succès de futures chirurgies filtrantes. Des cas extrêmes de pseudo-pemphigoïdes toxiques peuvent se manifester à la suite d’instillations au long cours d’antiglaucomateux avec conservateurs [5].
Iatrogénicité et principe actif
Chaque classe de traitement antiglaucomateux présente des effets secondaires locaux et généraux qu’il faut connaître pour donner aux patients une information la plus objective possible afin d’établir les meilleurs choix thérapeutiques individuels.
Bêtabloquants
Les collyres bêtabloquants sont largement utilisés seuls ou en association en première intention dans le traitement du glaucome. Leur tolérance locale est bonne mais leur passage systémique non négligeable peut entraîner des effets secondaires.
Effets secondaires locaux
Les effets secondaires locaux sont rares :
- diminution de la sensibilité cornéenne ;
- diminution de la sécrétion lacrymale ;
- irritation locale.
Effets secondaires généraux
- Diminution de la fréquence cardiaque, effet inotrope négatif, diminution de la vitesse de contraction myocardique et arythmie avec possibilité d’insuffisance cardiaque.
- Apparition ou aggravation d’un syndrome de Raynaud.
- Aggravation d’une claudication intermittente existante.
- Bronchospasme, surtout chez les patients porteurs d’une bronchopneumopathie chronique obstructive ou d’un asthme.
- Perturbation de la glycogénolyse et difficultés à l’équilibre glycémique.
- Diverses manifestations cutanées, y compris éruptions psoriasiformes et alopécie.
- Diminution des lipoprotéines de haute densité (HDL).
- Asthénie, troubles dépressifs, diminution de la libido et impuissance.
Contre-indications absolues des collyres bêtabloquants
- Asthme et bronchospasme sévère.
- Insuffisance cardiaque décompensée.
- Bloc auriculo-ventriculaire deuxième et troisième degrés.
- Bradycardie symptomatique.
- Syncopes.
Prostaglandines
Les collyres analogues des prostaglandines présentent une très bonne tolérance systémique. En revanche les effets indésirables locaux peuvent freiner leur utilisation au long cours et impacter directement la qualité de vie des patients.
Effets secondaires locaux
- Hyperhémie conjonctivale fréquente (jusqu’à 40% des patients selon les études). Elle est généralement isolée et s’atténue progressivement.
- Hyperpigmentation de l’iris.
- Hypertrichose (figure 2).
- Atrophie de la graisse orbitaire et énophtalmie.
- Rares cas de récurrences herpétiques, d’uvéites.
- Œdème maculaire cystoïde.
Effets secondaires généraux
Les effets secondaires généraux sont extrêmement rares : dyspnée et insuffisance respiratoire peuvent survenir chez des patients asthmatiques.
Inhibiteurs de l’anhydrase carbonique
Inhibiteur de l’anhydrase carbonique (IAC) par voie générale : acétazolamide
L’effet hypotonisant de l’acétazolamide a été reconnu un peu après 1950. Cette forme orale garde toujours ses indications mais expose à des effets indésirables difficilement acceptés par les patients qui, toutefois, s’atténuent dès le deuxième et le troisième mois de traitement. Ils sont essentiellement secondaires à l’effet rénal de l’IAC. Il faut citer tout particulièrement l’hypokaliémie avec ses complications cardiaques (dont les perturbations de l’ECG), et le risque d’acidose métabolique. Une supplémentation potassique est ainsi recommandée ainsi que l’absorption d’une eau fortement bicarbonatée afin de limiter le risque de lithiases (eau de Vichy). D’autres effets secondaires systémiques sont rapportés (fatigue, diarrhée, somnolence, crampes, paresthésie et dysgueusie), sans évoquer les risques très rares mais bien décrits des sulfonamides entraînant une aplasie médullaire.
IAC par voie locale
La iatrogénicité est essentiellement locale, avec des cas décrits de conjonctivite allergique, de réaction palpébrale, de flou visuel passager.
Alpha2-mimétiques
Concernant l’apraclonidine, les effets secondaires sont essentiellement locaux, avec un inconfort (prurit et larmoiement) et une hyperhémie conjonctivale. Ces manifestations sont plus marquées pour le dosage à 1%. Sur le plan systémique, l’apraclonidine est contre-indiquée chez des patients ayant une cardiopathie sévère non stabilisée et des atteintes vasculaires systémiques (coronaropathie et syndrome de Raynaud notamment). Les effets indésirables systémiques se présentent essentiellement sous la forme de troubles du rythme, d’une asthénie et de troubles du sommeil. Concernant la brimonidine, il convient d’évoquer 2 effets indésirables : la sécheresse buccale avec dysgueusie et la somnolence. À noter que la brimonidine est contre-indiquée avant l’âge de 12 ans en raison d’effets secondaires graves : hypotension, bradycardie, hypothermie et apnée.
Parasympatho-mimétiques
Le seul parasympatho-mimétique qui conserve une indication dans le traitement du glaucome est la pilocarpine. La iatrogénicité de ce collyre est liée à la contraction du sphincter irien (myosis et héméralopie) et à celle du muscle ciliaire (projection en avant du diaphragme iridocristallinien, spasme d’accommodation et pseudomyopie pouvant donner lieu à des céphalées).
Conclusion
Cet article ne fournit pas une liste exhaustive des effets indésirables rencontrés lors d’un traitement chronique par antiglaucomateux. Il est indispensable d’informer le patient et son médecin traitant des thérapeutiques en cours. Cette information doit être personnalisée et adaptée lors de l’histoire clinique du patient. De plus, dans le cas d’une grossesse chez une patiente glaucomateuse [6], il est utile de se référer au site Internet du CRAT (Centre de référence sur les agents tératogènes) ou bien aux recommandations de la Société européenne du glaucome qui sont résumées dans le tableau [7].
Références bibliographiques
[1] Tham Y-C, Li X, Wong TY et al. Global prevalence of glaucoma and projections of glaucoma burden through 2040: a systematic review and meta-analysis. Ophthalmology. 2014;121(11):2081‑90.
[2] Nordmann J-P, Auzanneau N, Ricard S, Berdeaux G. Vision related quality of life and topical glaucoma treatment side effects. Health Qual Life Outcomes. 2003;1:75.
[3] Baudouin C, Labbé A, Liang H et al. Preservatives in eyedrops: the good, the bad and the ugly. Prog Retin Eye Res. 2010;29(4):312‑34.
[4] Labbé A, Terry O, Brasnu E et al. Tear film osmolarity in patients treated for glaucoma or ocular hypertension. Cornea. 2012;31(9):994‑9.
[5] Thorne JE, Anhalt GJ, Jabs DA. Mucous membrane pemphigoid and pseudopemphigoid. Ophthalmology. 2004;111(1):45‑52.
[6] Salim S. Glaucoma in pregnancy. Curr Opin Ophthalmol. 2014;25(2):93‑7.
[7] European Glaucoma Society terminology and guidelines for glaucoma, 4th Edition - Chapter 3: Treatment principles and options supported by the EGS Foundation: Part 1: Foreword; Introduction; Glossary; Chapter 3 Treatment principles and options. Br J Ophthalmol. 2017;101(6):130-95.