Hémorragie vitréo-rétinienne et DMLA
La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est une affection fréquente et sévère, d’origine multifactorielle. Elle est responsable de malvoyance, en particulier dans les populations d’origine caucasienne et sa prévalence croît avec l’âge. La forme dite exsudative, dont l’avènement des anti-VEGF a révolutionné le pronostic, est caractérisée par l’apparition et le développement de néovaisseaux choroïdiens qui, en laissant diffuser du sang et du fluide, ont un effet délétère sur la rétine et donc la fonction visuelle.
La survenue d’un hématome maculaire au cours de la DMLA exsudative est une complication rare mais grave, dont l’évolution spontanée est habituellement très défavorable (figure 1a). En l’absence de traitement, le pronostic visuel est très sombre du fait de la toxicité directe du fer contenu dans l’hémoglobine sur les photorécepteurs, de l’importance des remaniements rétiniens liés à la fibrose et de la perturbation des échanges entre l’épithélium pigmentaire (EP) nourricier et les photorécepteurs. Les techniques chirurgicales actuelles visent à déplacer au plus vite le sang pour rapidement l’éloigner de la macula et donc espérer une récupération visuelle et la diminution, voire la disparition du scotome central.
Parfois, une hémorragie du vitré peut survenir secondairement à la diffusion intravitréenne de l’hémorragie sous-rétinienne (figure 1b). Le mécanisme est encore mal connu mais il semblerait qu’une hémorragie sous-rétinienne épaisse ait pour conséquence une nécrose de la rétine sus-jacente, favorisant alors l’infiltration des érythrocytes dans la rétine [1]. En l’absence d’hémorragie du vitré, le diagnostic d’hématome maculaire compliquant une DMLA est aisé. En revanche, dans le cas d’une hémorragie intravitréenne dense empêchant la visualisation du fond d’œil, il sera indispensable de réaliser une échographie oculaire en mode B pour éliminer une autre cause d’hémorragie du vitré (déchirure rétinienne, décollement de rétine, prolifération fibrovasculaire prérétinienne…) et éventuellement visualiser un épaississement rétinien au pôle postérieur en faveur d’un hématome maculaire. L’OCT maculaire sur l’œil controlatéral sera également nécessaire afin de rechercher des signes orientant vers une DMLA (drusen, atrophie maculaire, signes exsudatifs).
Quel bilan préthérapeutique ?
Afin de poser la bonne indication thérapeutique, le terrain et plusieurs caractéristiques de l’hématome doivent alors être évalués.
À l’interrogatoire
Il est important de faire préciser par le patient :
- la date exacte de la survenue de la baisse d’acuité visuelle ;
- l’acuité visuelle antérieure sur cet œil ;
- le traitement en cours pour la DMLA : date et nom du produit de la dernière injection intravitréenne (IVT) ;
- le statut de l’œil adelphe.
À l’examen
- Préciser la localisation de l’hématome par rapport à la fovéa et son épaisseur.
- Quantifier la taille de l’hématome, souvent en diamètre papillaire au fond d’œil ou sur des clichés de photographie du fond d’œil.
- Préciser la position de l’hématome par rapport à l’EP : dessous ou dessus. À l’examen du fond d’œil, les hématomes sous l’EP sont moins rouges et plus sombres que ceux situés au-dessus. Les clichés en autofluorescence peuvent aussi montrer la disparition de l’autofluorescence de l’EP s’il est recouvert par le sang. L’OCT maculaire pourra, dans la grande majorité des cas, aider à la localisation précise de l’hématome.
Surveillance simple ou prise en charge chirurgicale ?
Une surveillance simple est préconisée dans les cas suivants :
- hématomes maculaires avec une seule composante sous-épithéliale ou une composante sous-épithéliale prédominante : quelles que soient la taille et la localisation, ils ne sont pas accessibles à un traitement chirurgical ;
- hématomes maculaires évoluant depuis plus de 15 jours.
Les photorécepteurs sont altérés dès la 24e heure et de manière majeure au-delà d’une semaine, donc il est admis qu’au-delà de 15 jours d’évolution les remaniements fibrotiques sont trop importants et la récupération fonctionnelle négligeable ;
- lésion extrafovéolaire et/ou de petite taille (inférieure à 1 diamètre papillaire) et/ou plane ;
- œil non fonctionnel, mauvais état général…
L’indication chirurgicale est posée dans les cas suivants :
- hématome de localisation fovéolaire et/ou de grande taille (supérieur à 2 diamètres papillaires) (figure 2a),
- avec une composante préépithéliale prédominante du saignement (figure 2b),
- épais (défini comme causant une élévation de la rétine détectable sur les photographies stéréoscopiques du fond d'œil ou comme une distorsion du contour fovéolaire en OCT) [2,3],
- et récent (moins de 15 jours) ;
- œil avec espoir de récupération fonctionnelle, œil adelphe non fonctionnel…
- en présence d’une hémorragie du vitré dense et récente associée, seule la vitrectomie permettra un accès au pôle postérieur avec une décision de traitement de l’hématome qui sera alors prise en peropératoire selon les caractéristiques de ce dernier.
Avec la simple surveillance, il sera tout de même nécessaire de traiter la composante néovasculaire choroïdienne par des IVT d’anti-VEGF (sauf exception : œil non fonctionnel, DMLA multitraitée avec séquelles fonctionnelles profondes, contre-indication aux anti-VEGF…). De même, un traitement chirurgical de l’hématome maculaire n’a de sens que si un traitement au long cours par anti-VEGF est envisagé afin de limiter les risques de récidive qui sont inéluctables dans ce contexte [4,5].
Quel traitement chirurgical ?
Si la décision chirurgicale est prise, l’intervention doit être programmée au maximum dans les 15 jours. Mais quel traitement chirurgical proposer ? Le principe de l’intervention chirurgicale est de réaliser un « déplacement » de l’hématome : après que ce dernier a été liquéfié par l’injection d’un fibrinolytique (le « tissue plasminogen activator » sous la forme recombinante rt-PA), l’injection d’un tamponnement interne sous la forme de gaz et le positionnement du patient tête vers le bas en postopératoire permettent de déplacer l’hématome liquéfié en dehors de la zone centrale de la vision (figures 2c et 2d).
À l’heure actuelle, 2 attitudes thérapeutiques sont possibles :
- la vitrectomie associée à l’injection sous-rétinienne de rt-PA au contact de l’hématome + échange fluide-gaz + IVT d’anti-VEGF [2] ;
- ou IVT (au bloc opératoire ou en salle d’IVT) de rt-PA (0,1 ml) + gaz (0,2 ml de SF6) + anti-VEGF (0,05 ml) après ponction de chambre antérieure.
La première technique, plus complexe, cumule les possibles complications de la vitrectomie (endophtalmie, risque majoré de décollement de rétine…) à celles du rt-PA dont la toxicité pour l’EP et la rétine est décrite dans le cas d’une dose trop importante. Elle présente tout de même comme avantage la possibilité d’injecter une quantité plus importante de gaz en intraoculaire et de s’assurer d’un contact direct du rt-PA avec le sang.
Ces 2 options thérapeutiques sont en cours d’évaluation par une étude randomisée et contrôlée dont on attend prochainement les résultats (PHRC, étude STAR). À l’heure actuelle, aucun consensus n’existe encore sur le choix entre ces 2 traitements. Il est cependant évident que dans le cas d’une hémorragie intravitréenne dense associée, seule la technique par vitrectomie sera possible.
On retiendra que la complication hémorragique intravitréenne d’une DMLA exsudative avec hématome sous-rétinien nécessite une prise en charge au plus tard dans les 2 semaines suivant son apparition pour espérer une récupération. Par ailleurs, tout hématome compliquant une DMLA impose un suivi clinique rigoureux, associé à des IVT d’anti-VEGF pour prévenir les récidives exsudatives et hémorragiques.
Références bibliographiques
[1] Lincoff H, Madjarov B, Lincoff N et al. Pathogenesis of the vitreous cloud emanating from subretinal hemorrhage. Arch Ophthalmol. 2003;121:91-6.
[2] Haupert CL, McCuen BW, Jaffe GJ et al. Pars plana vitrectomy, subretinal injection of tissue plasminogen activator, and fluid-gas exchange for displacement of thick submacular hemorrhage in age-related macular degeneration. Am J Ophthalmol. 2001;131(2):208-15.
[3] Wilkins CS, Mehta N, Wu CY et al. Outcomes of pars plana vitrectomy with subretinal tissue plasminogen activator injection and pneumatic displacement of fovea-involving submacular haemorrhage. BMJ Open Ophthalmol. 2020;5(1):e000394.
[4] Garcia D, Mahieu L, Soubrane G et al. Follow-up after surgery for hemorrhagic AMD. J Fr Ophtalmol. 2016;39(8):661-7.
[5] Chang W, Garg SJ, Maturi R et al. Management of thick submacular hemorrhage with subretinal tissue plasminogen activator and pneumatic displacement for age-related macular degeneration. Am J Ophthalmol. 2014;157(6):1250-7.