Gestion d’une décompensation endothéliale atypique sur forte hypermétropie

À travers ce cas clinique rare, pris en charge au CHU de Bordeaux, nous tenterons de souligner les particularités de la prise en charge de la greffe endothéliale dans un contexte de forte hypermétropie.

Présentation

Une patiente de 69 ans est adressée pour un œdème cornéen unilatéral OD majeur évoluant depuis moins de 6 mois sans facteur déclenchant déterminé. La patiente n’a pas d’antécédent ophtalmologique ni général ­particu­lier. Elle est hypermétrope forte, habituellement ­corrigée en lunettes. L’acuité corrigée est de 1/20 P10 OD et de 10/10 P1,5 OG. La longueur axiale est proche de 20,9 mm aux 2 yeux, la kératométrie moyenne de l’œil gauche est de 45,50 D.
L’examen clinique ne retrouve pas de notion d’œil rouge ou douloureux à répétition. L’œil controlatéral ne ­présente pas d’anomalie endothéliale ni de cataracte significative. La cornée est très œdémateuse de manière assez ­diffuse à l’OD et parfaitement claire à l’OG. Le comptage endothélial est de 2 300 cellules par mm2 OG. La pachymétrie centrale au plus fin est de 706 microns OD et 566 microns OD. L’OCT de segment antérieur retrouve une petite ­chambre antérieure (1,61 mm OD et 1,91 mm OG), le cristallin montre un profil d’intumescence avec une forte flèche cristallinienne, sans que l’angle ne paraisse fermé (figure 1). La pression oculaire est de 10 OD et 16 OG. Le nerf optique est non excavé OG, mal vu OD ­initalement mais confirmé normal en postopératoire.

Prise en charge

Il est ainsi suspecté un contact itératif entre la base de l’iris et la partie périphérique de l’endothélium cornéen responsable de la perte endothéliale progressive. La patiente est mise sous pilocarpine à ODG en attendant une extraction des cristallins. Un combiné extraction du cristallin encore clair + greffe endothéliale OD est programmé. Le calcul d’implant fondé sur l’OG détermine une puissance de +32 D (Tecnis DCB00 – Johnson&Johnson) pour un implant unifocal. L’intervention chirurgicale comporte les particularités suivantes (figure 2) :
- préparation d’un greffon de DSAEK ultrafin à l’aide du microkératome Moria ;
- voie veineuse pour perfusion en intraveineuse directe 15 minutes avant l’intervention de 200 cc de mannitol 20%, permettant d’ouvrir la chambre antérieure et de réaliser l’extraction du cristallin dans de bonnes conditions ;
- anesthésie topique gel améliorée par un comprimé d’atarax 20 mg préopératoire ;
- désépithélialisation mécanique en début d’intervention et utilisation de gel de lidocaine 2% pour une bonne visualisation ;
- trépanation du greffon à un diamètre diminué volontairement à 7,50 mm pour prendre en compte la taille du segment antérieur (blanc à blanc de 11,5 mm et cornée plutôt cambrée) ;
- injection du greffon endothélial par technique du « tirer à travers » avec la pince et le guide endothélial de Busin ;
- mise en place de plusieurs sutures de nylon 10,0 sur les 3 incisions pour limiter les fuites postopératoires ;
- injection d’une bulle d’air pour maintenir le greffon en position centrale sans chercher à remplir toute la chambre, car il existe un fort risque de blocage pupillaire en postopératoire ;
- dilatation de la pupille avec Mydrane en peropératoire et Mydriaset en postopératoire pour maintenir une dilatation pupillaire optimale ;
- mise en place d’une lentille pansement en fin d’intervention ;
- positionnement à plat dos pendant 24 heures avec contrôle à la lampe à fente entre 3 et 4 heures postopératoires pour une éventuelle exsufflation en cas de signe d’accolement irien périphérique ou de début de capture de la bulle de gaz derrière le plan irien.
Pour cette patiente, l’évolution fut rapidement favorable sans incident hypertonique ni décollement du greffon. La récupération de l’acuité visuelle fut progressive et satisfaisante (figure 3).

Discussion et points forts à retenir

Ce cas clinique est assez singulier de présentation et souligne la possibilité de décompensation endothéliale isolée sur les petits yeux à cristallin trop volumineux, en l’absence de crise de glaucome aiguë ou d’hypertonie significative. L’unilatéralité de l’atteinte est reliée à la légère différence entre les biométries des 2 yeux et impose une exérèse prophylactique du cristallin sur le deuxième œil. L’anisométropie induite par la chirurgie primaire le justifie également. La gestion de l’inflation de gaz pour tamponner le greffon endothélial sur ces petits yeux est très importante à souligner, car une trop grande quantité de gaz n’est pas salutaire et, au contraire, expose à de graves complications immédiates. La technique de la DSAEK UT s’impose devant le choix, également possible mais plus risqué, de la DMEK. Cela en raison de la mauvaise visibilité peropératoire, du risque de complications de la chirurgie du cristallin beaucoup plus péjorative avant une injection de greffon de DMEK que de DSAEK, des risques de bloc pupillaire sur la DMEK dont le tamponnement est volontiers plus intense, plus prolongé et répété. Enfin, la réalisation d’une imagerie OCT du segment antérieur de qualité est décisive dans la compréhension des mécanismes impliqués.

Auteurs

  • David Touboul

    Ophtalmologiste

    Centre national de référence pour le kératocône, CHU de Bordeaux, hôpital Pellegrin, Bordeaux

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