Gestion de l’hypertonie oculaire après l’injection d’un implant de dexaméthasone au cours d’un œdème maculaire diabétique
Nous rapportons le cas d’une patiente de 64 ans, diabétique de type 2 depuis plus de 15 ans, insulino-requérante depuis 6 ans, dont l’HbA1c oscille entre 6,7 et 7,2%. Elle est par ailleurs traitée pour une hypertension artérielle par bisoprolol et amlodipine, n’a pas de dyslipidémie connue ni de syndrome d’apnée du sommeil. Elle déclare un tabagisme sevré depuis 7 ans et n’a aucun antécédent familial de glaucome.
Observation
Lors de sa première consultation, la patiente nous informe qu’elle a précédemment déjà reçu plusieurs injections de ranibizumab de façon irrégulière aux 2 yeux pour un œdème maculaire diabétique (OMD), sans efficacité fonctionnelle ressentie.
L’acuité visuelle (AV) est alors de 4/10 P4 œil droit (OD) et 6,3/10 P4 œil gauche (OG). La pression intraoculaire (PIO) est à 19 ODG, la patiente est phaque, les nerfs optiques présentent une excavation régulière et symétrique à 0,5 ODG et la pachymétrie est à 550 microns.
L’OCT maculaire révèle un OMD sévère aux 2 yeux, avec une épaisseur rétinienne centrale (ERC) à 433 microns OD et 453 OG. Par ailleurs, il existe une rétinopathie diabétique non proliférante modérée bilatérale (figure 1). L’angiographie à la fluorescéine retrouve une diffusion bilatérale de colorant aux pôles postérieurs (figure 2) et la présence de capillaires télangiectasiques ODG en temporal de la fovéa qui conduisent à une photocoagulation focale bilatérale. Par ailleurs, 5 nouvelles injections mensuelles intravitréennes (IVT) d’aflibercept aux 2 yeux sont réalisées sans bénéfice fonctionnel ni anatomique. Il s’agit donc d’un OMD sévère résistant à un traitement anti-VEGF bien conduit. Un switch est alors décidé en changeant de classe pharmacologique.
Prise en charge
La patiente reçoit une première injection de dexaméthasone dans les 2 yeux. L’évaluation 6 semaines après la première injection retrouve une AV à 7/10 P2 aux 2 yeux, une PIO à 25 OD et 24 OG. Sur le plan rétinien, pour la première fois nous obtenons un assèchement complet avec une ERC à 277 microns OD et 283 OG (figure 3). Il s’agit donc d’une très bonne réponse fonctionnelle et anatomique, mais associée à une hypertonie oculaire (HTO) cortico-induite. Un champ visuel initial de référence est réalisé, qui est normal.
Malheureusement, 4 mois après la première injection, l’OMD récidive et nécessite une deuxième injection bilatérale d’implant de dexaméthasone, que nous réalisons sous couvert d’une instillation biquotidienne de dorzolamide/timolol. À J7, la PIO est à 18 OD et 19 OG sous dorzolamide/timolol, puis, à 6 semaines postinjection, elle est à 22 sous bithérapie hypotonisante. La récupération fonctionnelle et anatomique est comparable à celle de la première injection. La gonioscopie retrouve un angle étroit et un aspect de double bosse irienne évoquant une anatomie d’iris plateau que l’ultrabiomicroscopie confirme, en mettant également en évidence une composante cristallinienne modérée (flèche cristallinienne autour de 400 microns ODG). Cela nous conduit à réaliser une iridotomie périphérique bilatérale.
Quatre mois plus tard, nous observons une nouvelle récidive OD uniquement, qui reçoit à nouveau un implant de dexaméthasone (troisième injection OD). Alors que la PIO à J7 est normale, à 6 semaines postinjection, elle est mesurée à 29 OD et 20 OG, toujours sous bithérapie ODG. Le traitement hypotonisant est alors majoré par l’ajout de bimatoprost 0,1mg/mL. Une trabéculoplastie au laser Selecta (SLT) est réalisée à droite. La PIO se normalise à 19 OD et 20 OG sous trithérapie.
À nouveau, 4 mois plus tard, la récidive intervient sur les 2 yeux, nécessitant une quatrième injection d’implant de dexaméthasone OD et une troisième injection OG, sous dorzolamide/timolol. À J7, la PIO est à 19 ODG sous bithérapie hypotonisante, mais l’examen à 6 semaines postinjection retrouve une PIO à 24 OD et 30 OG sous dorzolamide/timolol. Nous ajoutons donc le bimatoprost 0,1mg/mL et décidons de réaliser un laser SLT à gauche. L’AV est à 4/10 P3 OD en raison du développement d’une cataracte malgré une rétine asséchée, et à 6,3/10 P2 OG en raison d’une cataracte plus modérée.
Trois semaines plus tard la PIO est maîtrisée à 21 OD et 22 OG sous trithérapie. Le champ visuel Humphrey 24-2 retrouve 2 points contigus anormaux en nasal supérieur de l’œil gauche avec un VFI à 98% OG.
L’indication d’une chirurgie de la cataracte est posée et doit intervenir en conditions d’assèchement rétinien complet. Nous reprenons un traitement anti-VEGF alors que la rétine est asséchée afin d’encadrer la chirurgie de la cataracte, d’espacer les injections d’implant de dexaméthasone et ainsi de préserver les fibres optiques de la patiente qui ont varié sur 2 OCT consécutifs des fibres optiques péripapillaires (figure 4).
Conclusion
Le traitement de l’OMD résistant aux anti-VEGF est rendu complexe lorsqu’il existe une HTO cortico-induite alors que le patient ne répond qu’à l’implant de dexaméthasone. Il faut alors gérer à la fois le traitement de l’OMD, l’HTO et le déficit progressif possible en fibres optiques. Toutefois, le risque d’altérations rétiniennes sévères, si l’OMD n’est pas traité, impose de poursuivre les injections et nécessite donc la prise en charge conjointe par le rétinologue et le glaucomatologue quand cela est possible, ou implique pour le rétinologue de pouvoir gérer l’HTO.
Quelques notions peuvent permettre cette gestion :
- la Société française d’ophtalmologie et la Société française du glaucome ont édité des recommandations [1] précises afin d’orienter la prise en charge de ces patients difficiles et la surveillance pressionnelle est bien codifiée [2,3] ;
- les analogues de prostaglandines habituellement prescrits en première intention dans le cas d’une HTO sont à éviter dans un premier temps puisqu’ils favorisent le maintien de l’OMD ;
- le laser SLT apporte de bons résultats sur les hypertonies cortico-induites et peut aider à limiter l’escalade thérapeutique hypotonisante ;
- enfin, chez un patient présentant une hypertonie cortico-induite et des injections d’implant de dexaméthasone répétées, l’implant de fluocinolone est à proscrire.
Dans tous les cas, les décisions sont à prendre au cas par cas et les dossiers nécessitent souvent une discussion collégiale.
Références bibliographiques
[1] Recommandations SFG/SFO : Conduite à tenir face au risque d’hypertonie oculaire après une injection intra-vitréenne. https://www.leglaucome.fr/2017/recommandations-sfg-sfo-2017/
[2] Poli M et al. Ocular hypertension after intravitreal injection: Screening and management. J Fr Ophtalmol. 2017;40(3):e77-e82.