Echos SFO - Actualité ciclosporine

Inflammation de la surface oculaire et mécanismes d’action de la ciclosporine
D’après l’intervention du Pr Christophe Baudouin
Le Pr Baudouin a tout d’abord rappelé la physiologie de la surface oculaire et les différents mécanismes sous-jacents à son atteinte. Outre les insuffisances de sécrétion lacrymale et les pathologies neurotrophiques, l’instabilité du film lacrymal tient une place importante et souvent sous-estimée. L’équilibre de ce film peut être rompu lorsque les facteurs protecteurs, comme les antioxydants, ne suffisent plus à pallier les agressions subies par la surface oculaire. Cette rupture prend la forme d’un effet seuil qui, lorsqu’il est dépassé, entraîne une cascade nocive : via l’inflammation neurogène et l’activation du système immunitaire, un cercle vicieux se met en place, où la sécheresse entraîne l’inflammation et inversement. La perte des facteurs de protection de la surface oculaire est alors visible sur les empreintes conjonctivales, tout comme des infiltrats inflammatoires qui sont présents dans le cas d’une sécheresse même non liée au syndrome de Goujerot-Sjögren.
Pour traiter cette part inflammatoire de la sécheresse oculaire, les AINS sont à délaisser, en raison de leur kératotoxicité. Les corticoïdes en collyre ne sont également pas dénués d’effets secondaires et c’est ainsi que l’usage de la ciclosporine s’est développé dans cette indication. Cet inhibiteur de la calcineurine limite les voies de transduction des lymphocytes T activés et des macrophages, et donc l’immunité adaptative et innée. Sur les surfaces oculaires inflammatoires, elle a montré une augmentation de la sécrétion lacrymale et de la densité cellulaire en mucocytes via son effet immunomodulateur.
L’étude SANSIKA a montré l’efficacité de l’Ikervis (ciclosporine 0,1%) sur les kératites de classes Oxford 3 et 4, sur le critère de la réduction de la classe d’Oxford par rapport au véhicule seul – l’émulsion cationique enveloppant la ciclosporine en tant qu’excipient.
Les irritations à l’installation en sont le principal effet secondaire car le passage systémique est virtuel. Le délai d’efficacité de la ciclosporine étant retardé, des collyres corticoïdes peuvent être utilisés en adjuvants dans les premières semaines.
Indication de la ciclosporine chez l’enfant
D’après l’intervention du Dr Serge Doan
Le Dr Doan a présenté les différentes formes disponibles de ciclosporine en collyre. Outre les préparations hospitalières de 0,05 à 2%, l’Ikervis (0,1% en émulsion cationique) possède l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans les cas de sécheresse avec kératite sévère ; le Verkazia (0,1% en émulsion cationique) possède l’AMM dans les cas de kératoconjonctivite vernale ; enfin, le Ciclograft (2%, solution de miglyol) est en autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour prévenir le rejet de greffe de cornée. L’émulsion cationique permet une bonne fixation sur la surface oculaire qui est chargée négativement, améliorant la délivrance.
L’indication majoritaire chez l’enfant est la kératoconjonctivite vernale. Cette pathologie, plus fréquente dans les pays chauds, touche prioritairement les garçons avant l’âge de 10 ans dans un contexte atopique et disparaît à la puberté. Le bilan allergologique est positif chez 50% de ces jeunes patients. Les complications potentielles sont l’ulcère cornéen, la plaque vernale et le développement d’un kératocône lié aux frottements oculaires.
Les autres complications retrouvées sont iatrogènes, liées à la prise de corticoïdes ; c’est pourquoi ils ne devraient pas être donnés en l’absence de kératite. Le traitement usuel de la kératoconjonctivite associe les lunettes teintées par temps ensoleillé, les larmes artificielles froides et les collyres dégranulants. Dans le cas d’une poussée de kératite récente, une cure courte de corticothérapie sur 3 jours est indiquée ; si la poussée est plus traînante, ils seront administrés pendant 7 à 15 jours avec décroissance. L’ulcère vernal nécessite une corticothérapie à forte dose jusqu’à la fermeture, tandis que la plaque vernale impose la réalisation d’un grattage cornéen préalable. La place de la ciclosporine réside dans le traitement de fond des formes corticodépendantes (plus de 7 jours de corticoïdes par mois) ou dans les suites de formes compliquées. Le Verkazia possède l’AMM dans cette indication, en 1 à 4 instillations par jour ; les préparations hospitalières sont également utilisables pour les doses supérieures. L’utilisation de la ciclosporine est indiquée au printemps et en été, périodes d’activité de la maladie. En cas d’échec, le Tacrolimus est disponible en collyre dans le cadre d’une ATU.
L’autre indication chez l’enfant est la rosacée compliquée d’une kératite sévère qui peut laisser des cicatrices invalidantes ; la ciclosporine y est utilisée aux doses de 0,5 à 2% à raison de 4 gouttes par jour, en cas d’échec de l’azithromycine ou d’emblée dans les formes sévères. Chez l’enfant, la tolérance à l’instillation est excellente et bien souvent meilleure que chez l’adulte. Il existe un risque infectieux sur la surface oculaire, comparable à celui retrouvé chez l’adulte. Ce risque concerne surtout les patients atopiques et se caractérise par de possibles lésions à molluscum, papillomavirus ou HSV. La tolérance à l’instillation est améliorée par la conservation au réfrigérateur, l’association avec une larme artificielle et l’application au coucher.
Indication de la ciclosporine chez l’adulte
D’après l’intervention du Pr Marc Labetoulle
Le Pr Labetoulle a présenté la bibliographie concernant la ciclosporine dans l’indication de la sécheresse oculaire. Une étude de Cross WD et al. de 2002 a rapporté que les patients souffrant d’une sécheresse oculaire sévère réduisaient de 55% l’instillation d’autres collyres prescrits en « si besoin ». 21% des patients stoppaient tout de même la ciclosporine, à cause de l’irritation due à une galénique différente de celle d’aujourd’hui. L’étude SANSIKA a d’ailleurs montré que ces arrêts étaient moins fréquents lorsque les patients étaient prévenus de ce possible inconfort. L’étude post-SANSIKA a révélé que le risque de rechute de la kératite était d’autant plus faible que le traitement par ciclosporine avait été prolongé. Enfin, les équipes des Pr Baudouin et Borderie ont montré en 2016 une repousse des nerfs cornéens sous ciclosporine, couplée à une amélioration de la surface oculaire dans les cas de sécheresse sévère.
La deuxième indication concerne les kératoconjonctivites atopiques de l’adulte, pour lesquelles une revue Cochrane, en 2015, a conclu à une efficacité limitée mais permettant une épargne cortisonique.
Dans les kératoconjonctivites à adénovirus, la ciclosporine sur plusieurs mois présente un intérêt en cas de corticodépendance. Pour les kératites à HSV, la ciclosporine permet de réduire la corticodépendance et de diminuer la fréquence des récidives, en association avec un antiviral oral.
Enfin, pour la prévention du rejet de greffe, il n’y a pas d’étude randomisée contrôlée en double aveugle sur la ciclosporine. Il existe cependant un large consensus pour son utilisation chez les patients à risque : néovascularisation, grand diamètre, greffes itératives, antécédent de kératite herpétique, âge inférieur à 12 ans. Le Ciclograft 2% dispose d’une ATU pour cette indication.
Enfin les pathologies inflammatoires de la surface oculaire telles que l’ulcère de Mooren ou la kératoconjonctivite de Thygeson sont de bonnes indications de la molécule.
Ciclosporine et carcinome, précaution d’usage
D’après l’intervention du Pr Nathalie Cassoux
Le Pr Cassoux a présenté une série de 10 cas de patients traités à l’institut Curie pour un carcinome conjonctival et ayant un antécédent de traitement par ciclosporine collyre.
Le carcinome conjonctival est une tumeur rare, dont l’incidence est inférieure à celle du mélanome de l’uvée et dont les facteurs de risque sont les UV, l’infection par VIH et le papillomavirus, l’immunosuppression médicamenteuse, xeroderma pigmentosum et la dyskératose conjonctivale. La ciclosporine orale et l’azathioprine sont également des facteurs de risque rapportés. En ce qui concerne la ciclosporine topique, il n’y a pas de lien de causalité démontré ; le Pr Cassoux émet plusieurs hypothèses : soit la survenue d’un carcinome conjonctival est un événement trop rare pour montrer une éventuelle différence ; soit il n’y a effectivement pas de lien de causalité. Il est également possible qu’un biais de sélection soit présent dans l’inclusion des études ; en effet, la ciclosporine est contre-indiquée en présence d’une lésion dysplasique de la surface oculaire, et une attention particulière est apportée à ce sujet lors de l’inclusion de patients. Il est possible que les cas observés soient survenus dans un contexte de lésion précancéreuse méconnue ou aient été pris à tort pour une pathologie inflammatoire.
Le Pr Cassoux a donc rappelé l’importance de l’évaluation du terrain initial et d’un suivi rapproché des patients sous ciclosporine collyre face à une atopie sévère ou à une inflammation mal étiquetée.