Corneal collagen cross-linking : bonnes et mauvaises indications
Le corneal collagen cross-linking (CXL) est apparu au début des années 2000 comme le seul recours efficace pour tenter de freiner la progression du kératocône (KC). Bien que les études à son sujet furent initialement critiquées, il est à ce jour devenu la procédure dominante pour stabiliser les cornées bio-mécaniquement faibles. Diverses évolutions sont venues transformer les pratiques initialement stéréotypées. Les indications se sont également diversifiées, dépassant le spectre du KC, ambitionnant des objectifs réfractifs associés et se combinant à d’autres procédures. De nombreux protocoles de CXL sont à présent disponibles et il devient plus compliqué de choisir les bonnes indications et d’écarter les mauvaises. Cet article propose une analyse pragmatique des différentes revendications du CXL pour aider à faire ces choix.
Les bonnes indications
Durcir la cornée pour ralentir la progression du KC
C’est l’indication princeps lorsque le KC est confirmé dans son aggravation ou lorsque le patient présente le profil pour une aggravation rapide (cornée fine, frottements, jeune, atopique…). La modalité reconnue comme étant efficace est le CXL epi-off dans sa version conventionnelle ou accélérée. Les modalités epi-on sont pour l’instant soit inefficaces, soit pas assez efficaces. Une nouvelle génération de CXL optimisés par la saturation en oxygène pourrait améliorer grandement les performances dans un avenir assez proche (figure).
Augmenter la résistance à la digestion enzymatique
La procédure PACK-CXL est de plus en plus populaire pour limiter les dégâts cornéens d’une infection, le plus souvent en complément des traitements pharmacologiques anti-infectieux traditionnels. Assez peu de procédures ont été proposées pour les réactions inflammatoires nécrosantes mais cela pourrait représenter une thérapeutique intéressante, adjuvante aux anti-inflammatoires. Certaines tentatives ont été faites de cross-linker des lamelles cornéennes de donneurs pour optimiser la résistance de patchs tectoniques lors de greffes à chaud. Des anneaux intracornéens cross-linkés ont également été proposés en alternative aux anneaux intracornéens de PMMA. Dans ces indications, l’augmentation des liaisons entre les lamelles de collagène diminue l’efficacité des enzymes protéolytiques et retarde ainsi la nécrose tissulaire dans le cas d’une inflammation sous-jacente. Les protocoles sont encore peu élaborés et d’autres agents photoréactifs, tels que le Rose Bengale, sont en cours d’expérimentation.
Lutter contre les frottements oculaires
Il a été évoqué que le facteur le plus critique de l’aggravation des KC était la persistance des frottements oculaires incoercibles malgré une information éclairée sur le sujet. Certains patients décrivent ainsi la cessation de l’envie de frotter dans les suites du CXL, ce qui contribue grandement à la stabilisation. Outre l’éducation, c’est sans doute l’effet biologique et anti-inflammatoire du protocole de CXL qui réussit à soulager certains patients des frottements agressifs. Une insensibilité transitoire est observée pendant plusieurs mois, reliée au débridement épithélial et à l’apoptose du plexus nerveux superficiel.
Lutter contre la néovascularisation cornéenne
Il est possible que les radicaux libres hyperactifs libérés localement par le CXL engendrent des lésions des endothéliums vasculaires et limitent ainsi la néovascularisation cornéenne. Pour l’instant, il n’existe pas suffisamment d’études focalisées sur ce sujet, mais nul doute que la solution puisse être prochainement développée dans certaines indications. Dans ce contexte, la toxicité sur les cellules souches limbiques devra certainement être considérée.
Les mauvaises indications
Prévenir la déformation d’une cornée irrégulière non kératoconique
Les ectasies post-Lasik sont de bonnes indications au CXL, à condition que cela concerne le stroma sous-jacent au volet superficiel. Les kératotomies radiaires ou les déformations secondaires de greffons cornéens ne sont pas de bonnes indications car le problème est plutôt lié au glissement des lamelles préalablement découpées, à la non-régénération du collagène, à l’obturation des incisions par des bouchons épithéliaux.
Renforcer le volet d’un Lasik ou la stabilité d’un Smile, d’une PKR
Combiner un geste de CXL à un geste de chirurgie réfractive fait planer le doute sur la bonne sélection du patient et risque d’induire un aléa dans la cicatrisation, qui n’est pas raisonnable dans le domaine de la chirurgie réfractive cornéenne.
Aplatir la cornée à des fins réfractives
L’augmentation de l’intensité du CXL permet de condenser le tissu cornéen dans une certaine mesure. Un CXL uniquement central peut effectivement aplatir la cornée et corriger de petites myopies. Cependant, la prédictibilité reste à démonter et il faut sans doute rester prudent car certaines cornées cross-linkées CXL ont démonté un aplatissement rémanent pendant plusieurs années.
Stériliser un foyer infectieux cornéen
L’effet in vitro des UVA et des radicaux libres est incontestable sur certains germes de type amibes ou champignons. Le problème est la libération in situ dans le cas d’un foyer infectieux. En effet, cette dernière est dépendante de la diffusion du produit et de l’éclairement secondaire. Or, ces 2 éléments sont hautement compromis par la densité des infiltrats, leur profondeur et la diffusion optique des UVA dans leur milieu. L’effet est plutôt intéressant pour borner l’infection et ralentir la progression en dehors du foyer, les études sont difficiles à mener.
Diminuer un œdème sur cornée décompensée
Certaines publications rapportent une diminution significative de l’épaisseur cornéenne après un CXL sur une cornée œdémateuse. Cependant l’effet est souvent insuffisant, transitoire et pourvoyeur de troubles de la cicatrisation, ne rendant pas la procédure très populaire actuellement.
Conclusion
Le CXL est une procédure favorisant la réticulation de la matrice de collagène cornéen mais aussi le renouvellement cellulaire intrastromal. De nombreuses applications ont pu être proposées pour élargir le spectre des applications possibles, mais seules celles orientées vers la prise en charge du kératocône ont réellement démontré leur sécurité et efficacité à long terme. L’avenir nous dira si les nouveaux protocoles en cours d’investigations pourront réellement apporter des avancées significatives dans le domaine de l’utilisation des agents photosensibilisants pour la cornée.
Pour en savoir plus
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