Controverse kératocône : cross-linking cornéen Epi-Off/Epi-On

Le Pr David Touboul a rappelé que le kératocône était plus à risque de progresser chez des patients jeunes, entre 15 et 25 ans. Freiner son évolution est essentiel, par le cross-linking cornéen (CXL) en cas d’aggravation. La surveillance doit être régulière et adaptée, avec dépistage des apparentés, arrêt des frottements oculaires et traitement de l’inflammation de la surface oculaire (sécheresse, dysfonctionnement des glandes de Meibomius, allergie). Différents marqueurs d’efficacité du CXL sont utilisés : topographiques par la diminution de la kératométrie la plus cambrée (Kmax), optiques par la profondeur des lignes de démarcation à l’OCT, biologiques par la perte kératocytaire et la dénervation sur la microscopie confocale, et comportementaux par inhibition des frottements oculaires post-CXL.
Le premier CXL décrit par Theo Seiler était Epi-Off, selon le protocole de Dresde, par instillation de riboflavine 1% pendant 30 minutes après la désépithélialisation des 8 mm cornéens centraux, puis exposition à des UV-A à 3 mW/cm2 pour une fluence totale de 5,4 mJ/cm2. Le Pr Pierre Fournié a expliqué que l’ablation de l’épithélium cornéen était indispensable pour permettre la diffusion dans le stroma de la riboflavine, qui est une macromolécule et qui, sinon, ne franchirait pas les barrières épithéliales. L’épithélium cornéen joue aussi un rôle d’absorption d’environ 20% des UV-A.
La littérature est abondante sur le CXL depuis sa preuve de concept en 1998 et les premiers résultats cliniques publiés en 2003. Le Pr Fournié a rapporté les résultats sur un suivi long de 10 ans, en cours de publication, d’une cohorte de 89 yeux de patients traités par CXL épi-off conventionnel au CHU de Toulouse entre 2006 et 2011. Il a constaté une diminution progressive des kératométries sur 10 ans de l’ordre de 2 D. Une diminution du cylindre cornéen de 6,34 à 5,19 D et de l’équivalent sphérique de 3,15 à 2,43 D a également été retrouvée. L’acuité visuelle s’améliore de manière significative, même si le gain moyen à 10 ans est inférieur à une ligne, de 0,6 à 0,67. Seuls 6 yeux (6,75%) ont vu une progression de plus de 1 D du Kmax sur cette période. Trois (3,37%) ont bénéficié d’une seconde procédure. Les effets indésirables sur la série toulousaine de 943 yeux post-CXL Epi-On étaient un haze persistant au-delà de 1 an dans 4,5% des cas, généralement sans retentissement visuel, un retard de cicatrisation épithéliale dans 1,3%, des infiltrats aseptiques dans 1,3%, des kératites infectieuses dans 0,8%, une nécrose cornéenne grave dans 1 cas (0,11%).
Le CXL Epi-Off conventionnel bénéficie aujourd’hui d’un recul prolongé pour l’évaluation de son efficacité et de sa sécurité. Le Pr Fournié a ensuite rapporté des résultats de la littérature. Une méta-analyse pédiatrique de 37 publications, portant sur 2 078 yeux d’enfants opérés de CXL retrouve un risque d’échappement post-CXL et de reprise évolutive du kératocône plusieurs années après le CXL avec un taux de retraitement de 9,1% en moyenne. Des techniques accélérées ont vu le jour dès 2007 pour diminuer le temps opératoire en augmentant la dose d’UV-A délivrée pour une énergie finale identique. Des méta-analyses ont confirmé une stabilité au long cours identique entre le CXL conventionnel et le CXL accéléré, malgré une ligne de démarcation moins profonde à l’OCT. Enfin, l’équipe de Farhad Hafezi a publié récemment un protocole sub400 où la durée d’exposition aux UV-A est ajustée à l’épaisseur cornéenne lorsqu’elle est inférieure à 400 microns pour réduire la profondeur de traitement et limiter la toxicité endothéliale du CXL.
Le Pr Touboul a fait l’état des lieux des techniques de CXL Epi-On qui ont été développées pour limiter les douleurs et les troubles de la cicatrisation cornéenne, en conservant l’épithélium cornéen. Le problème réside dans le franchissement de l’épithélium par la riboflavine. Des adjuvants comme le chlorure de benzalkonium, l’EDTA, ont été utilisés pour relâcher les jonctions épithéliales. Rapidement, ces techniques ont été abandonnées devant l’insuffisance de résultat et un certain nombre de patients retraités par la méthode conventionnelle Epi-Off.
Pour autant, le Pr Touboul a rappelé les innovations technologiques dans ce domaine Epi-On, comme l’essor de la iontophorèse utilisée depuis 2010. La riboflavine ionisée, grâce à un faible courant électrique, pénètre plus facilement dans le stroma cornéen. Les résultats dans les différentes études sont mitigés, le taux de progression et le nombre de retraitements sont plus importants qu’avec une méthode Epi-Off. Les OCT réalisés en postopératoire montrent une ligne de démarcation inhomogène et moins profonde. Cependant, cette procédure reste utile dans des cas plus limites (pachymétrie inférieure à 400 microns). Plus récemment, une technique prometteuse par supplémentation en oxygène est apparue. La riboflavine est instillée sur la cornée dans un milieu enrichi en oxygène grâce à des lunettes (Boost Goggles), puis suivie d’une irradiation UV-A pulsée. Des évaluations ex vivo montrent une meilleure efficacité du CXL sur la biomécanique de la cornée dans un milieu enrichi en oxygène. Des études en cours montrent une efficacité supérieure à celle des CXL accélérés et assez équivalente à celle du CXL conventionnel, notamment sur la profondeur de la ligne de démarcation à l’OCT. Cependant cette méthode ne bénéficie pas d’un très long recul.
Les méta-analyses qui comparent les techniques de CXL Epi-Off et Epi-On attestent la comparabilité difficile en raison de faibles effectifs, de techniques et de protocoles variables, de durées de suivi différentes et de critères de jugement variables selon les études. Le CXL Epi-Off reste une méthode de référence éprouvée, efficace. Néanmoins, des innovations voient le jour pour réduire les effets indésirables, soit en accélérant la procédure, soit en préservant l’épithélium. Les procédures les plus récentes sont prometteuses et en évaluation.