Conjonctivite récidivante : se méfier !
Mme P., âgée de 60 ans, aux antécédents d’hypertension artérielle et de syndrome d’apnée du sommeil, consulte en urgence pour une rougeur oculaire droite évoluant depuis 4 mois. Elle avait déjà consulté en ophtalmologie à plusieurs reprises pour un œil rouge et avait bénéficié de traitements topiques pour des conjonctivites ou des épisclérites récidivantes, sans bénéfice. Elle se plaint actuellement d’une rougeur oculaire droite persistante, mais également d’épisodes de gonflement palpébral intermittent et d’une diplopie binoculaire oblique apparue une semaine plus tôt.
La patiente présente en effet une exophtalmie droite minime axile et pulsatile, une limitation de l’abduction et de l’élévation de l’œil droit, ainsi qu’un ptosis. L’acuité visuelle est mesurée à 7/10 P2 à droite et 10/10 P2 à gauche. Les pupilles sont isocores, réactives, sans déficit pupillaire afférent relatif et il n’y a pas d’hypoesthésie cornéenne droite ; l’examen à la lampe à fente retrouve un minime chémosis droit avec une hyperhémie conjonctivale et une dilatation des vaisseaux épiscléraux (figure 1). La pression intraoculaire est mesurée à 17 mmHg à droite et 14 mmHg à gauche. Le fond d’œil met en évidence un œdème papillaire droit. Devant l’association d’une rougeur conjonctivale traînante avec une dilatation des vaisseaux épiscléraux, un œdème papillaire et une parésie oculomotrice, le diagnostic de fistule carotido-caverneuse (FCC) est évoqué. La patiente rapporte un traumatisme crânien survenu 1 mois avant le début de la symptomatologie ophtalmologique, suivi de l’apparition d’acouphènes. Une IRM cérébrale et orbitaire est demandée et conforte la suspicion clinique. Le diagnostic de FCC indirecte (de type B selon la classification de Barrow) est confirmé par l’artériographie cérébrale (figure 2). La patiente bénéficie immédiatement d’une embolisation par voie veineuse et l’examen à J2 postopératoire montre une nette régression de la rougeur oculaire, du chémosis, du ptosis ainsi que de l’œdème papillaire droit.
Discussion
La fistule carotido-caverneuse est une communication artérioveineuse entre le système carotidien et le sinus caverneux. Il s’agit d’une urgence diagnostique et thérapeutique. En effet, dans le cas d’une forme directe à haut débit, un retard de prise en charge peut engager le pronostic visuel (cécité par neuropathie optique, hypertonie oculaire, occlusion veineuse) et vital (hémorragie méningée ou intracérébrale). Le tableau clinique classique associe une exophtalmie axile pulsatile avec un souffle à la palpation, un œdème palpébral, un ptosis, un chémosis et une dilatation des vaisseaux épiscléraux « en tête de méduse ». Il existe souvent une hypertonie oculaire et l’examen du fond d’œil peut retrouver un œdème papillaire avec dilatation des veines rétiniennes et parfois des hémorragies intrarétiniennes ou intravitréennes. L’existence d’un acouphène pulsatile dans ce cadre doit faire évoquer le diagnostic. La symptomatologie peut être uni- ou bilatérale en raison de la communication des sinus caverneux droit et gauche. Il existe plusieurs types de fistules, selon la classification artériographique de Barrow [1], ce qui explique les variations de présentation clinique. La symptomatologie est bruyante et brutale dans les FCC de type A, mais elle peut être très progressive, chronique, voire rémittente pour les FCC de types B-D. Cela explique que les délais diagnostiques soient supérieurs à 1 an dans plus de 50% des cas. Cependant ce tableau complet est rarement présent aux stades initiaux et la présentation clinique est souvent incomplète. Il faut donc penser à évoquer ce diagnostic devant un tableau de rougeur oculaire persistante, attribuée à une conjonctivite, résistante aux soins locaux ou encore devant des paralysies oculomotrices récidivantes, a fortiori à bascule [2].
Le diagnostic peut être orienté par l’échographie-doppler couleur ou l’IRM cérébrale et orbitaire centrée sur le sinus caverneux, mais c’est l’artériographie cérébrale qui est le gold standard pour la confirmation diagnostique et le traitement endovasculaire. Le traitement repose le plus souvent sur l’embolisation par voie endovasculaire veineuse afin de minimiser les risques d’occlusion carotidienne.
Point fort
La fistule carotido-caverneuse est une pathologie rare mais grave, pouvant engager le pronostic visuel et vital. Le tableau clinique initial peut être trompeur et il faut savoir y penser devant une conjonctivite traînante résistante aux traitements locaux, avant que le tableau n’évolue vers une parésie oculomotrice ou une neuropathie optique.
Références bibliographiques
[1] Barrow DL, Spector RH, Braun IF et al. Classification and treatment of spontaneous carotid-cavernous sinus fistulas. J Neurosurg. 1985;62(2):248-56.
[2] Kurata A, Takano M, Tokiwa K et al. Spontaneous carotid cavernous fistula presenting only with cranial nerve palsies. AJNR Am J Neuroradiol. 1993;14(5):1097-101.