Compte rendu de Rétine en pratique 2022 : la myopie maladie

L’édition 2022 de Rétine en pratique a fait le focus sur la myopie sous toutes ses coutures, de sa définition, son épidémiologie et ses facteurs de risque aux moyens de prévention, ainsi que l’atteinte structurelle de la myopie forte.

Définition, épidémiologie
En introduction, le Pr Ramin Tadayoni a proposé une définition des termes associés à la myopie, pour lesquels il n’existe pas de consensus. La myopie axiale se distingue des myopies réfractive ou secondaire (syndromique). Elle se mesure sous cycloplégie.
Concernant la myopie forte, les sociétés savantes s’entendent à la définir par une longueur axiale (LA) supérieure à 26-26,5 mm.
La myopie pathologique se définit par une élongation excessive du globe, associée à des changements structurels rétiniens ou du nerf optique : staphylome, maculopathie myopique atrophique, néovasculaire, tractionnelle, neuropathie optique myopique…
Cécile Delcourt a montré les chiffres de cette réelle épidémie mondiale de myopie, notamment en Asie du Sud-Est, où plus de 80% de la population est concernée. En France comme en Europe, 50% des jeunes adultes sont myopes et 5% myopes forts [1,2]. Les projections pour 2050 indiquent que 5 milliards d’individus seront myopes, et 1 milliard myopes forts dont 65 millions en Europe.
L’âge de survenue de la myopie influence l’évolution vers une myopie forte : si la myopie apparaît à 7, 8 ou 9 ans, alors le risque d’être myope fort augmente de 20 à 50%. Une erreur réfractive supérieure à -3 D avant l’âge de 10 ans évolue vers la myopie forte dans 100% des cas [3]. La maladie progresse plus vite entre 6 et 9 ans, de -0,5 à -1 D/an et de -0,35 à -0,75 après 10 ans. Concernant la LA, l’équipe de Caroline Klaver a proposé un abaque de LA et de son évolution dans le temps entre 6 et 15 ans. Après 20 ans, il existe un ralentissement de l’élongation du globe mais un allongement persiste chez le myope fort, d’autant plus grand que le patient est jeune et que sa LA initiale est élevée [4].
La maculopathie myopique se caractérise par la composante atrophique, dont la progression dépend principalement de la sévérité initiale et de la longueur axiale. Les études révèlent que les yeux dont l’erreur réfractive dépassait -10 D ou avaient une LA supérieure à 28 mm présentaient plus fréquemment une maculopathie myopique et des formes sévères à partir de 29,5 mm [5]. Ainsi, il est pertinent de réduire au plus tôt cette élongation du globe.
Les différents facteurs influençant la survenue ou la progression de la myopie ont été détaillés par plusieurs communications. L’hérédité (parents myopes ou myopes forts) se cumule et se potentialise avec les facteurs environnementaux aggravants : le travail de près (accommodation), l’exposition aux LED/écran, le niveau d’études, le milieu urbain.
Les facteurs protecteurs sont l’activité extérieure et la lumière du jour via la sécrétion de dopamine et la réduction du défocus hypermétropique. Les facteurs ethniques jouent un rôle génétique mineur mais plutôt culturellement médié, les Asiatiques étant plus myopes que les Afro-Américains.
Enfin, l’altération du rythme circadien pourrait être associée à la myopie par variation de la dopamine et la mélatonine.

Prévention de la progression
Le Dr Gilles Martin a expliqué les différentes stratégies de prévention de la progression de la myopie chez l’enfant. À titre préventif, il convient de recommander 2 heures quotidiennes d’activité extérieure (réduction de 30% de la progression myopique), de réduire le temps dédié aux activités de près, de reculer les supports de lecture à plus de 30 cm, de faire des pauses toutes les 20 minutes dans le travail de près, d’améliorer l’éclairage et enfin de respecter un temps de sommeil suffisant (plus de 9 h). L’utilisation des écrans doit être limitée à 2 heures par jour entre 5 et 12 ans [6].
Les myopies sous cycloplégie de plus de -0,50 D avec une acuité visuelle inférieure à 10/10 SC doivent mener à une correction optique totale en port permanent. Une stratégie de freination sera envisagée chez un enfant à risque (âge inférieur à 10 ans, parents myopes, sujet asiatique, prématuré) ou si l’évolution myopique dépasse 0,50 D ou plus par an. Elle reposera principalement sur des verres défocalisants, dont la prescription est possible dès l’âge de 4 ans, et, pour certains enfants sportifs, sur des lentilles de contact défocalisantes ou l’orthokératologie. L’atropine à faible dose (0,05%), disponible en pharmacie hospitalière et peu coûteuse, est bien tolérée après une phase d’adaptation de 2 semaines. Quelle que soit la méthode utilisée, une surveillance de la réfraction et de la biométrie tous les 6 mois permettra de juger de la nécessité de combiner des traitements freinateurs si la myopie progresse toujours de 0,50 à 1 D/an. Le traitement devra probablement être maintenu jusqu’à l’adolescence.

Nouveautés en myopie pathologique
 

L’imagerie en OCT ultra grand champ avec le nouvel OCT Canon Xephilio permet de mieux caractériser le vitré du myope fort, dont le vieillissement sera pathologique par la persistance d’attaches vitréennes sur les vaisseaux rétiniens, la présence d’un vitréoschisis, le caractère asymétrique du décollement du vitré, ou encore la verticalisation des attaches vitréennes dans l’œil long (figure 1) [7].
 

Figure 1. Vitré du myope fort : schéma (d’après [7]) des particularités du décollement postérieur du vitré du myope fort. Images OCT montrant l’aspect schisique du vitré en regard d’un fovéoschisis myopique, les attaches vasculaires et l’attache pathologique en périphérie.

Le Pr Kyoko Ohno-Matsui a présenté son analyse de la morphologie choroïdienne chez 175 patients myopes forts. La morphologie choroïdienne était fréquemment altérée (59%) et les caractéristiques suivantes étaient observées : asymétrie des vortiqueuses, notamment en cas de staphylome (43%), veines choroïdiennes isolées traversant la macula (56%, figure 2) et veines anastomotiques (24%). Les vaisseaux choroïdiens s’amincissent avec le temps, en privilégiant celui de plus grande taille. Les larges vaisseaux pourraient participer à la pathogenèse des néovaisseaux choroïdiens (NVC) myopiques [8].

Figure 2. Cliché couleur et en angiographie au vert d’indocyanine grand champ d’un œil myope fort présentant une veine choroïdienne isolée traversant la macula (d’après la communication de Kyoko Ohno-Matsui).

Le Pr Alain Gaudric a souligné l’importance d’identifier les choroïdites multifocales (CMF) chez les myopes forts, présentes dans 11% des cas, dont les cicatrices juxtapapillaires apparaissent comme un petit cratère évolutif : d’abord un bombement de l’épithélium pigmentaire avec hypertransmission, laissant ensuite une excavation choroïdienne (figure 3). La présence de NVC associés à des cicatrices de CMF doit faire évoquer une activité de la maladie inflammatoire et, le cas échéant, justifie un traitement anti-inflammatoire associé aux anti-VEGF [9].

Figure 3. Clichés couleur, OCT-A et SD-OCT représentant les caractéristiques de la phase active et cicatricielle des lésions de choroïdite multifocale chez le myope (d’après la communication d’Alain Gaudric).

Le Pr Yves Cohen a détaillé les hypothèses physiopathologiques du syndrome de dysversion papillaire, présent dans les cas de staphylome inférieur, qui s’accompagne de complications maculaires dans 78% des cas. Il existe des plis choroïdiens radiaires en lien avec une élongation différentielle entre la zone staphylomateuse et la zone non staphylomateuse. Les anomalies pigmentaires représentent un point de rupture au niveau du changement de courbure. Le décollement séreux rétinien est, lui, expliqué par un « entonnoir fovéolaire » de la vascularisation choroïdienne avec une turbulence des flux choroïdiens, et n’est pas à traiter comme une exsudation néovasculaire [10].
Enfin il ne faudra pas oublier la neuropathie optique glaucomateuse, fréquente chez les myopes. Avant tout, il faudra évaluer les facteurs de risque individuels de glaucome et les facteurs de risque vasculaires. Les particularités du myope fort sont la pachymétrie fine, d’autant plus après une chirurgie réfractive, sous-estimant les valeurs de la pression intraoculaire (PIO), et les fluctuations nocturnes de la PIO. Sur le champ visuel, le « Mean Defect » peut être altéré par la baisse de la sensibilité rétinienne chez les myopes, ou même par des déficits « Glaucoma-Like ». L’atteinte anatomique précède l’atteinte fonctionnelle. Il faudra être attentif aux erreurs de segmentations [11]. Les myopes présentent fréquemment un déficit en fibres temporal supérieur et temporal inférieur en lien avec la dysversion papillaire. C’est dans le suivi longitudinal reproductible et l’analyse de la progression des champs visuels et des déficits en fibres que se feront le diagnostic et le suivi de la neuropathie optique glaucomateuse chez le myope.

Conclusion
La prise en charge du myope fort est transversale, longitudinale et transgénérationelle. Elle représente à elle seule une spécialité de l’ophtalmologie.

Références bibliographiques
[1] Williams KM, Bertelsen G, Cumberland P et al. Increasing prevalence of myopia in Europe and the impact of education. Ophthalmology. 2015;122(7):1489-97.
[2] Matamoros E, Ingrand P, Pelen F et al. Prevalence of myopia in France: a cross-sectional analysis. Medicine (Baltimore). 2015;94(45): e1976.
[3] Polling JR, Klaver C, Tideman JW. Myopia progression from wearing first glasses to adult age: the DREAM Study. Br J Ophthalmol. 2022;106(6): 820-4.
[4] Lee JT, Guo X, Li Z et al. Progression and longitudinal biometric changes in highly myopic eyes. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2020;61(4): 34.
[5] Flores-Moreno I, Puertas M, Almazán-Alonso E et al. Pathologic myopia and severe pathologic myopia: correlation with axial length. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2022;260(1):133-40.
[6] Németh J, Tapasztó B, Aclimandos WA et al. Update and guidance on management of myopia. European Society of Ophthalmology in cooperation with International Myopia Institute. Eur J Ophthalmol. 2021;31 (3):853-83.
[7] Takahashi H, Tanaka N, Shinohara K et al. Ultra-widefield optical coherence tomographic imaging of posterior vitreous in eyes with high myopia. Am J Ophthalmol. 2019;206: 102-12.
[8] Xie S, Fang Y, Du R et al. Role of dilated subfoveal choroidal veins in eyes with myopic macular neovascularization. Retina. 2021;41(5): 1063-70.
[9] Hady SK, Xie S, Freund KB et al. Prevalence and characteristics of multifocal choroiditis/punctate inner choroidopathy in pathologic myopia eyes with patchy atrophy. Retina. 2022;42(4):669-78.
[10] Cohen SY, Vignal-Clermont C, Trinh L, Ohno-Matsui K. Tilted disc syndrome (TDS): New hypotheses for posterior segment complications and their implications in other retinal diseases. Prog Retin Eye Res. 2022; 88:101020.
[11] Shin JW, Song MK, Sung KR. Longitudinal macular ganglion cell-inner plexiform layer measurements to detect glaucoma progression in high myopia. Am J Ophthalmol. 2021; 223:9-20.

Auteurs

  • Elise Philippakis

    Ophtalmologiste

    Chirurgie vitréo-rétinienne et myopie forte, hôpital Lariboisière, Paris

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