Commotions cérébrales chez le sportif et l’intérêt associé de l’ophtalmologie
Symposium Optic 2000

Les opticiens Optic 2000, supporteurs officiels des Jeux de Paris 2024, ont, au cours du congrès de la Société française d’ophtalmologie, développé le thème Sport et Vision. Dans ce cadre, a eu lieu le samedi 7 mai un symposium original portant sur les « Commotions cérébrales chez le sportif et l’intérêt associé de l’ophtalmologie ».
Quatre orateurs ont pu partager leurs connaissances autour de ce sujet :
- le Dr Martin Ducret, médecin du sport à l’INSEP, a rappelé la définition de la commotion cérébrale, et sa prise en charge chez le sportif de haut niveau ;
- le Dr Sophie Bonnin, ophtalmologiste à la Fondation Rothschild, a exposé quelques situations dans lesquelles l’examen ophtalmologique pouvait être utile pour le sportif commotionné ;
- Vivien Vasseur, coordinateur de la plateforme d’investigations cliniques de la Fondation Rothschild, a, en exclusivité, exposé les résultats de l’étude On-Rugby ;
- enfin, Clément Faucompré, de la plateforme StreetLab, a établi un état des lieux des outils d’évaluation des commotions cérébrales fondés sur les mouvements oculaires.
Que savoir au sujet de la commotion cérébrale en pratique ?
Martin Ducret
La définition de la commotion cérébrale est consensuelle, quel que soit le sport pratiqué ; elle est fondée sur 4 critères selon la conférence de consensus internationale de Berlin de 2016 :
- c’est un traumatisme crânien secondaire à la transmission directe ou indirecte d’une énergie cinétique à la tête ;
- une commotion cérébrale entraîne une dysfonction cérébrale immédiate et transitoire, caractérisée par au moins un des troubles suivants :
- symptômes somatiques (céphalées), cognitifs (sensation de brouillard) et/ou émotionnels (labilité émotionnelle),
- signes physiques (perte de connaissance, amnésie, déficit neurologique),
motionnelle),
- troubles de l’équilibre (instabilité de la démarche, par exemple),
- changements comportementaux,
- troubles cognitifs,
- troubles du sommeil/de l’éveil ;
- la commotion cérébrale peut être suivie pendant plusieurs jours d’une ou plusieurs plaintes fonctionnelles (comme des céphalées, des troubles de la concentration ou une labilité émotionnelle) : il s’agit du syndrome commotionnel ;
- les signes et symptômes ne sont expliqués par aucune autre cause. Aucun examen de neuro-imagerie ne doit être prescrit en première intention dans le cas d’une commotion cérébrale (sauf en présence de facteurs de risque associés ou de suspicion de traumatisme crânien plus sévère).
La prise en charge consiste en l’éviction du patient du terrain de jeu et une évaluation précise directe sur le terrain, puis une nouvelle évaluation dans les 24 à 48 heures. Le patient ne doit pas rester seul dans les 48 premières heures et il faut respecter une période de repos physique et cognitif relatif de quelques jours, le temps que les symptômes se résorbent.
La reprise du sport à risque de commotion n’est possible que si le syndrome commotionnel a totalement disparu et il faut alors envisager une reprise progressive du sport, du travail ou des cours.
Lorsque les symptômes évoluent depuis plus de 14 jours chez l’adulte ou depuis plus d’un mois chez l’enfant, il s’agit d’un syndrome commotionnel persistant. On peut craindre, si les symptômes se chronicisent, une encéphalopathie chronique posttraumatique mais aucun lien de causalité n’a été directement établi entre cette encéphalopathie et le nombre de commotions dans les grandes études de cohorte.
Utilité de l’ophtalmologie dans la prise en charge des commotions cérébrales chez le sportif
Sophie Bonnin
L’ophtalmologiste est utile au bord du terrain pour s’assurer de l’absence de contusion oculaire associée, qui nécessiterait une prise en charge spécialisée. Mais il peut aussi aider à diagnostiquer la commotion cérébrale grâce à un test de lecture rapide des nombres qui a été montré comme très fiable à la phase aiguë : une aggravation du score du « King-Devick Test » par rapport au score de base (avant match) multiplie par 5 la probabilité de commotion cérébrale [1].
Dans les suites d’une commotion cérébrale, le patient peut se plaindre d’une « gêne visuelle persistante », d’une vision floue, de céphalées et souvent d’une photophobie. La photophobie est d’ailleurs le deuxième symptôme le plus fréquent dans le cas d’une commotion cérébrale [2].
L’examen peut retrouver une insuffisance de convergence, des difficultés d’accommodation et des saccades anormales.
Les dysfonctions oculaires peuvent persister 3 à 5 mois après la commotion et sont prédictives d’une récupération plus longue [3].
L’examen ophtalmologique pourrait également être utile à plus long terme, notamment pour diagnostiquer et éventuellement prévenir un risque d’encéphalopathie chronique traumatique, maladie décrite chez des athlètes ayant des antécédents de commotion ou d’expositions à des chocs répétés. En effet, une modification des épaisseurs rétiniennes a été rapportée dans un grand nombre de maladies neurodégénératives et on peut se demander s’il existe aussi un amincissement des épaisseurs rétiniennes chez les sportifs ayant eu des commotions cérébrales répétées.
Peu de données sont disponibles à ce sujet. De façon paradoxale, une étude a montré l’augmentation des épaisseurs rétiniennes maculaires péripapillaires chez des boxeurs olympiques ayant été suivis pendant 18 mois, alors qu’au terme du suivi, ces épaisseurs étaient significativement plus fines que celles de témoins [4]. Une autre étude reprenait de façon rétrospective les données normatives de 13 rugbymen professionnels retraités mais ne montrait pas de corrélation entre le nombre de commotions et l’atteinte des fibres optiques péripapillaires [5].
Étude ON-Rugby
Vivien Vasseur
L’impact neurologique des sports de contact (rugby, football américain, boxe...) entraînant des collisions a été démontré dans de nombreuses publications. Concernant le rugby, les études publiées sont essentiellement fondées sur des questionnaires évaluant les troubles cognitifs et de l’humeur et/ou sur des populations ayant stoppé leurs activités sportives.
Aucune étude n’avait encore étudié de façon prospective d’éventuelles pertes neuronales in vivo chez le rugbyman.
Les données de l’étude ON-Rugby rapportent l’analyse de la variation des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires chez des rugbymen professionnels. Il s’agit d’une étude prospective, longitudinale, monocentrique de 59 sportifs examinés à 2 reprises à 1 an d’intervalle : la première visite a eu lieu pendant la coupure estivale (présaison) et la deuxième, avant la saison suivante. Tous les sportifs ont passé un examen ophtalmologique détaillé (rétinographies, OCT, OCT-A). Seuls 13 d’entre eux (22%) n’avaient jamais subi de commotion au cours de leur carrière. Les commotions cérébrales ont été recueillies pendant la saison par le staff médical. À l’inclusion, il existait une corrélation négative entre l’épaisseur de la couche des fibres optiques péripapillaires dans le quadrant temporal et le nombre de commotions cérébrales antérieures (p = 0,003). Ce travail montrait également, au cours du suivi (1 an), une diminution significative de l’épaisseur de la couche des fibres optiques péripapillaires, de la couche des cellules ganglionnaires maculaires, de la densité vasculaire et une augmentation de la taille de la zone avasculaire centrale, concernant la population globale des joueurs.
Parmi tous les joueurs, 14% ont eu au moins une commotion cérébrale lors de cette saison et on peut donc se demander si cette diminution des épaisseurs rétiniennes est expliquée seulement par les commotions cérébrales ou si l’atteinte neuronale pourrait également l’être par la répétition des impacts, même en l’absence de commotion.
De façon intéressante, la perte médiane de l’épaisseur de la couche des fibres optiques péripapillaires, moyenne globale mais aussi dans les quadrants nasal et temporal, était significativement plus grande chez les joueurs ayant eu au moins une commotion cérébrale durant la saison.
Ces premiers résultats confirment donc l’intérêt de la mesure des épaisseurs rétiniennes, et en particulier de la couche des fibres optiques péripapillaires, chez les sportifs de haut niveau, et sa potentielle corrélation avec des commotions cérébrales antérieures.
Oculomotricité et évaluation des commotions cérébrales. Comment améliorer les outils existants ?
Clément Faucompré
L’atteinte du système nerveux central est un enjeu de santé globale pour les sportifs professionnels ou amateurs, mais également dans les accidents de la vie quotidienne.
Or les traumatismes crâniens sont de gravité variable. Les microtraumatismes sont une accumulation de traumatismes légers sans aucun symptôme ni trouble cognitif, mais représentent une grande partie des collisions.
L’encéphalopathie traumatique chronique correspond à une dégénérescence progressive et irréversible du cerveau à long terme.
Plusieurs outils pourraient être développés pour améliorer la prise en charge des commotions cérébrales, mais leur temporalité est variable : des dispositifs (protège-dents, casques…) préviennent les impacts et des microtraumatismes ; d’autres outils (SCAT5, HIA, BESS, King-Devick) ont pour but de détecter la commotion sur le terrain. Et certains sont développés pour confirmer le diagnostic ou évaluer l’importance des symptômes dans les suites d’une commotion cérébrale, que ce soit à la phase aiguë ou chronique.
Plusieurs raisons rendent nécessaires le développement d’un outil multimodal : il existe en effet un large spectre des commotions cérébrales en fonction des individus ; les symptômes et les troubles cognitifs évoluent différemment au cours du temps et amènent à certaines compensations neuronales.
L’équipe de StreetLab est déjà reconnue pour développer des tests permettant de catégoriser l’évolution des maladies oculaires.
Or, les tâches oculomotrices seules ne sont pas suffisantes pour mesurer l’atteinte du système nerveux central, en cas de commotion cérébrale : des compensations cérébrales sont possibles [6], et celles-ci sont impossibles à détecter sur les performances liées à la tâche principale. Il faut donc mesurer simultanément d’autres indicateurs révélateurs des compensations :
- la dynamique pupillaire donne des indications sur le coût attentionnel, par la mesure de sa taille pendant la tâche ;
- la variabilité cardiaque renseigne sur l’atteinte du système nerveux autonome. Les commotions cérébrales entraînent l’altération du fonctionnement de la régulation de la fréquence cardiaque [7] ;
- des troubles de l’équilibre sont également observés chez les personnes commotionnées [8].
L’équipe de StreetLab a donc pour projet le développement d’un tel outil multimodal, qui pourra être appliqué aux différentes pratiques sportives.
Références bibliographiques
[1] Galetta KM, Liu M, Leong DF et al. The King-Devick test of rapid number naming for concussion detection: meta-analysis and systematic review of the literature. Concussion. 2015;1(2): CNC8.
[2] Harmon KG, Clugston JR, Dec K et al. American medical society for sports medicine position statement on concussion in sport. Br J Sports Med. 2019;53(4):213-25.
[3] Mucha A, Collins MW, Elbin RJ et al. A Brief Vestibular/Ocular Motor Screening (VOMS) assessment to evaluate concussions: preliminary findings. Am J Sports Med. 2014;42(10):2479-86.
[4] Childs C, Barker LA, Gage AM et al. Investigating possible retinal biomarkers of head trauma in Olympic boxers using optical coherence tomography. Eye Brain. 2018;10:101-10.
[5] Kelman JC, Hodge C, Stanwell P et al. Retinal nerve fibre changes in sports-related repetitive traumatic brain injury. Clin Exp Ophthalmol. 2020;48(2):204-11.
[6] Kellar D, Newman S, Pestilli F et al. Comparing fMRI activation during smooth pursuit eye movements among contact sport athletes, non-contact sport athletes, and non-athletes. Neuroimage Clin. 2018;18:413-24.
[7] Gall B, Parkhouse W, Goodman D. Heart rate variability of recently concussed athletes at rest and exercise. Med Sci Sports Exerc. 2004;36(8): 1269-74.
[8] Mitchell KM, Cinelli ME. Balance control in youth hockey players with and without a history of concussions during a lower limb reaching task. Clin Biomech (Bristol, Avon). 2019;67:142-7.