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Comment calculer le cylindre et l’axe d’un implant torique ?

Il existe une offre abondante de calculateurs pour implants toriques et il est recommandé aux chirurgiens débutants d’utiliser celui dédié au modèle d’implant torique qu’ils envisagent de poser. Les pièges, rares, sont exposés dans cet article ; il est néanmoins recommandé de bien s’assurer de la qualité de la mesure de l’astigmatisme cornéen en recourant largement à la topographie cornéenne ou en utilisant un topographe-biomètre de dernière génération.

Un astigmatisme d’origine cornéenne supérieur à 1 D est présent chez 40% des patients candidats à une chirurgie de la cataracte [1]. Sa neutralisation est un prérequis à l’obtention d’une bonne acuité visuelle non corrigée en vision de loin. Un doublet de cylindres de Jackson identiques en magnitude mais séparés d’un angle de 90 ° se comporte optiquement comme un verre neutre. Selon ce principe, une lentille intraoculaire torique peut être insérée dans le sac capsulaire au cours de la chirurgie de la cataracte, et orientée de manière à neutraliser l’astigmatisme généré par le dioptre cornéen. L’optique d’un implant de cristallin artificiel torique comporte une puissance variable comprise entre 2 valeurs extrêmes (ex. : 22 et 25 D), qui détermine la puissance du cylindre correcteur dans le plan de l’implant (ex. : 3,0 D). La cible réfractive (équivalent sphérique de la réfraction postopératoire visée) détermine la puissance sphérique de l’implant (23,50 D dans l’exemple précédent). Pour la plupart des fabricants, cette puissance est nominale et correspond à l’équivalent sphérique de la lentille intraoculaire torique.
Le choix de la puissance du cylindre d’un implant torique est déterminé selon une méthode qui varie selon que l’on utilise un calculateur dédié, conçu par le fabricant de l’implant (calculateurs toriques en ligne des sociétés Zeiss, Alcon, BVI/Physiol, J&J…), ou générique (formule de calcul biométrique avec option de calcul torique : Barrett Toric, Kane Toric, EVO Toric…).
La distance séparant le plan de l’implant torique de celui de la cornée doit être prise en compte pour le calcul de la magnitude optimale du cylindre, car il faut considérer sa valeur transférée depuis la cornée dans le plan de l’implant. Le rapport entre les magnitudes de l’astigmatisme dans ce plan et celui de la cornée est généralement proche de 1,5. Il n’est toutefois pas recommandé d’utiliser un tel rapport constant car sa valeur varie sensiblement avec la position effective de l’implant ainsi que sa puissance sphérique. Ces données sont prédites ou calculées selon des modalités propres à la méthode ou à la formule considérée.
Ainsi, la détermination du cylindre optimal de l’implant torique, pour un œil à opérer de la cataracte, peut être appréhendée comme la différence entre les puissances d’implant calculées pour atteindre la réfraction cible selon chacun des méridiens principaux de la cornée : la valeur absolue de la différence entre les puissances obtenues correspond alors à la magnitude théorique idéale du cylindre.
Pour réussir le calcul de la puissance d’un implant torique et obtenir une précision réfractive optimale, il est nécessaire de prendre en compte les éléments détaillés ci-après.

Détermination du cylindre cornéen

L’utilisation d’un topographe cornéen est recommandée pour confirmer la présence d’une toricité cornéenne dont la composante régulière justifie a priori l’utilisation d’un implant torique. Le port de lentilles de contact souples doit être interrompu depuis une semaine, et celui de lentilles rigides depuis un mois. L’examen doit être de bonne qualité et il est indiqué de le répéter en cas de doute (sécheresse oculaire, clignements, mauvaise ouverture palpébrale).

Alors que la topographie spéculaire limite le recueil des données topographiques à la surface antérieure de la cornée, l’utilisation d’un topographe-tomographe (caméra Scheimpflug, système de balayage OCT haute résolution du segment antérieur) fournit l’estimation de l’astigmatisme cornéen postérieur et permet le calcul de l’astigmatisme cornéen total réel qui pourra, selon le contexte, être préféré à l’astigmatisme cornéen estimé à partir de la seule surface antérieure avec l’utilisation de l’indice kératométrique. Quand les données de la face postérieure sont disponibles, le mode de calcul de l’astigmatisme cornéen total fait appel à la formule paraxiale de Gullstrand appliquée à la cornée assimilée à une lentille épaisse, ou une méthode de ray tracing.
Dans le cas d’une composante irrégulière marquée de l’astigmatisme antérieur, il peut être intéressant d’utiliser une décomposition mathématique de la courbure cornéenne en séries de Fourier (figures 1a et 1b). Cette méthode permet de décomposer les données de topographie cornéenne antérieure en composantes fondamentales. Parmi celles-ci, la composante qui correspond à l’astigmatisme régulier peut suggérer l’axe d’orientation optimal de l’implant torique à insérer.

Saisie des informations pour les calculateurs toriques en ligne

La saisie des informations biométriques dans un calculateur dédié est nécessaire pour le calcul de la puissance du cylindre de l’implant (figure 2). L’estimation de l’astigmatisme cornéen se fonde sur une mesure kératométrique ou topographique qui concerne dans la plupart des cas la seule face antérieure de la cornée. Cette mesure est exprimée en dioptries de puissance kératométrique, calculée avec une valeur d’indice minorée vis-à-vis de l’indice physique du stroma cornéen – celle-ci est proche de 1,376. La valeur retenue pour l’indice kératométrique est généralement égale à 1,3375 par défaut mais elle est ajustable avec la plupart des formulaires. Elle est susceptible de varier selon les biomètres et les formules de calcul de puissance d’implant. Il est recommandé d’utiliser la même valeur d’indice pour toutes les étapes de calcul, incluant la détermination du cylindre cornéen ainsi que la puissance sphérique de l’implant. Renseigner la valeur d’indice utilisée par le biomètre dans le calculateur torique, ou exprimer les valeurs des courbures cornéennes antérieures en millimètres permet de pallier le risque de discordance entre les modules utilisés pour le calcul du cylindre et la puissance sphérique de l’implant.

Certains algorithmes de calcul modifient la valeur de l’astigmatisme cornéen estimé en fonction de l’indice kératométrique en intégrant une valeur prédite d’astigmatisme postérieur selon des données statistiques (nomogramme de Baylor, nomogramme de Goggin, formule de Abulafia-Koch). Une orientation directe ou conforme (« selon la règle », méridiens verticaux plus cambrés que les méridiens horizontaux) est plus fréquemment observée au niveau de la surface postérieure de la cornée. En raison de la réduction de l’indice de réfraction lors du passage de la lumière du stroma postérieur vers l’humeur aqueuse (1,376 vs 1,336), ce type de toricité postérieure induit un astigmatisme optique de direction non conforme (inverse). Un astigmatisme antérieur non conforme (inverse) est ainsi souvent renforcé par la contribution de la face postérieure de la cornée.

Astigmatisme chirurgical induit

La prise en compte de l’astigmatisme chirurgical induit permet d’améliorer la précision de prédiction théorique de la puissance et du cylindre de l’implant torique. Sa mesure se fonde sur l’étude rétrospective de la variation de l’astigmatisme cornéen après une chirurgie de la cataracte, pour un chirurgien et une technique (largeur et localisation de l’incision) donnés. L’utilisation d’incisions dont la largeur est inférieure à 2,5 mm induit généralement un astigmatisme de faible magnitude. Il peut être négligé ou estimé proche de 0,1 D en l’absence de données rétrospectives. Dans le cas où l’astigmatisme chirurgical induit est anticipé comme nul, l’orientation optimale de l’implant torique est superposable à celle du cylindre cornéen total estimée en préopératoire. La puissance maximale de l’implant est située dans un axe perpendiculaire à celui des haptiques ; ce dernier sera donc aligné selon une direction égale ou proche du méridien le plus cambré de la cornée, en fonction de l’orientation et de la magnitude de l’astigmatisme chirurgical induit.

Astigmatisme kératométrique antérieur ou cornéen total

Il est important de distinguer les formules qui se fondent sur l’utilisation d’une simple estimation de la puissance cornéenne postérieure ou sur la mesure directe de celle-ci par un topographe moderne. Les biomètres optiques les plus répandus ne permettent pas de mesurer la courbure de la face postérieure de la cornée. Divers travaux ont toutefois permis d’estimer la contribution moyenne de la surface cornéenne postérieure à l’astigmatisme cornéen total et de générer divers nomogrammes (Koch-Abulafia, Goggin, etc.).
L’essor des topographes incluant une fonction de biométrie utilisant la technologie Scheimpflug (Pentacam AXL, Oculus) ou HR-OCT (Anterion, Heidelberg Eng.) offre la possibilité de mesurer la toricité de la cornée postérieure et de calculer l’astigmatisme cornéen total réel.
La saisie d’un astigmatisme cornéen réel (non extrapolé), calculé selon les topographies antérieure et postérieure, est possible avec certaines formules de calcul et peut avoir un intérêt pour les yeux « atypiques », comme ceux présentant un antécédent de chirurgie cornéenne ou un kératocône.
Il est important de vérifier dans ce cas que le calculateur permet la saisie de l’astigmatisme cornéen total calculé, comme la combinaison des toricités antérieure et postérieure, et n’effectue pas une compensation additionnelle pour l’astigmatisme postérieur. Dans le cas d’un astigmatisme antérieur oblique, la présence d’une toricité postérieure directe marquée peut induire une modification sensible de l’axe de l’astigmatisme cornéen total vis-à-vis de celui de la face antérieure de la cornée.

Choix de la magnitude du cylindre résiduel attendu

Les calculateurs en ligne fournissent une estimation de l’astigmatisme réfractif oculaire total après une chirurgie de la cataracte en fonction du cylindre choisi – le pas de celui-ci est de 0,50 D pour les implants toriques Zeiss, et de 0,75 D pour la plupart des autres fabricants. Il est recommandé de viser la magnitude résiduelle la plus faible, même si celle-ci implique un changement d’axe (« flipped axis »). Certains auteurs suggèrent de viser un astigmatisme résiduel d’orientation directe quand cela est possible, afin d’anticiper l’évolution statistique vers un astigmatisme inverse avec le temps. Dans la plupart des études publiées sur les résultats de l’implantation, l’astigmatisme réfractif moyen est compris entre −0,72 ± 0,43 D et −1,03 ± 0,79. Cet intervalle est lié au cumul de facteurs limitants incluant la qualité de l’estimation du cylindre cornéen, ainsi que l’orientation « imparfaite » de l’implant torique dans le sac capsulaire [2,3].

Références bibliographiques
[1] Ferreira TB, Ribeiro F. How can we improve toric intraocular lens calculation methods? Current insights. Clin Ophthalmol. 2020;14: 1899-908.
[2] Teus MA, Arruabarrena C, Hernández-Verdejo JL et al. Correlation between keratometric and refractive astigmatism in pseudophakic eyes. J Cataract Refract Surg. 2010;36(10):1671-5.
[3] Hayashi K, Hayashi H, Nakao F, Hayashi F. Influence of astigmatism on multifocal and monofocal intraocular lenses. Am J Ophthalmol. 2000;130(4):477-82.

Auteurs

  • Damien Gatinel

    Ophtalmologiste

    Fondation ophtalmologique A. de Rothschild, Paris

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