Choriorétinite placoïde postérieure : une présentation rare de la syphilis
Un homme âgé de 52 ans se présente pour une photophobie et une baisse d’acuité visuelle bilatérale et progressive depuis 2 semaines. Son seul antécédent médical notable est une infection chronique par le VIH bien contrôlée sous trithérapie, avec une charge virale indétectable et des CD4 supérieurs à 200/mm3
L’examen clinique retrouve une acuité visuelle de 6/10 P4 à droite et de 8/10 P2 à gauche. Les segments antérieurs sont calmes, l’examen du fond d’œil révèle une hyalite minime aux 2 yeux, un œdème papillaire bilatéral associé à des hémorragies péripapillaires, des altérations de l’épithélium pigmentaire bilatérales diffuses ainsi qu’un naevus temporo maculaire de l’œil droit (figure 1).
L’OCT maculaire montre une désorganisation de la ligne ellipsoïde, des interruptions de la membrane limitante externe, de fines élévations de l’épithélium pigmentaire réparties autours de la macula ainsi que des hypersignaux au sein de la choriocapillaire (figure 2).
À l’autofluorescence, on observe une hyperautofluorescence maculaire en plaque à bord irrégulier (figure 3). L’angiographie à la fluorescéine confirme l’œdème papillaire et retrouve une vascularite plutôt veineuse péripapillaire. L’ICG met en évidence un aspect légèrement granulaire au temps tardif, probablement en lien avec une altération de l’épithélium pigmentaire (figure 4).
Devant cette suspicion d’atteinte maculaire placoïde d’une syphilis, un bilan général est alors prescrit. L’IRM cérébrale ainsi que la mesure de la pression artérielle sont normales, alors que la sérologie syphilitique revient positive.
On pose donc le diagnostic de neurorétinite syphilitique avec des lésions placoïdes maculaires bilatérales. Un traitement par pénicilline G par voie intraveineuse (IV) de 14 jours est mis en place. Il a été décidé de ne pas introduire de corticothérapie préventive de la réaction d’Herxeimer.
Évolution
Quatre mois après le traitement, le patient a pleinement récupéré. Son acuité visuelle est mesurée à 10/10 P2, le fond d’œil est sans particularité, les OCT maculaires objectivent une récupération ad integrum des photorécepteurs avec persistance d’une discrète irrégularité de l’épithélium pigmentaire (figure 5).
Discussion
La syphilis, aussi appelée grande simulatrice, est causée par le spirochète Treponema pallidum. Actuellement en recrudescence, elle redevient un problème de santé public. Une atteinte ophtalmologique est classiquement retrouvée au cours des phases secondaires ou tertiaires de la maladie. Elle peut se présenter sous de nombreuses manières : uvéite antérieure granulomateuse, kératite interstitielle, périphlébite, hyalite, rétinite focale, papillite, décollement séreux rétinien, paralysie oculomotrice, nécrose rétinienne, choriorétinite… L’atteinte maculaire sous la forme d’une placoïde postérieure, décrite par Gass et al. en 1990, est la plus fréquente chez les patients infectés par le VIH [1]. C’est une atteinte de la choriocapillaire et de l’épithélium pigmentaire par des dépôts de complexe immuns. Le diagnostic de syphilis se fait sur les tests sérologiques TPHA et VDRL, et doit systématiquement être associé au dépistage du VIH (co-infection dans 50 à 70%). De plus, en raison de la fréquente association à une atteinte du système nerveux central asymptomatique, on réalisera systématiquement une ponction lombaire face à une uvéite ou à une atteinte du nerf optique [2]. Dans notre cas, le geste avait été refusé par le patient. Le pronostic visuel est favorable dans la grande majorité des cas, sous réserve d’une prise en charge rapide par pénicilline G IV pendant 15 jours [3,4].
Les grands diagnostics différentiels à évoquer devant ce tableau étaient une hypertension artérielle maligne ainsi qu’une lésion cérébrale compliquée d’une hypertension intracrânienne en raison de l’œdème papillaire bilatéral. Un syndrome des taches blanches, notamment un MEWDS, était aussi à évoquer devant l’association des plages hyper-autofluorescentes et l’âge jeune du patient.
Références bibliographiques
[1] Gass JD, Braunstein RA, Chenoweth RG. Acute syphilitic posterior placoid chorioretinitis. Ophthalmology. 1990;97(10):1288-97.
[2] Chiquet C, Khayi H, Puech C et al. [Ocular syphilis]. J Fr Ophtalmol. 2014;37(4):329-36.
[3] Hong MC, Sheu SJ, Wu TT, Chuang CT. Ocular uveitis as the initial presentation of syphilis. J Chin Med Assoc. 2007;70(7):274-80.
[4] Zhang R, Qian J, Wang Z, Yuan Y. [Ocular manifestations of syphilitic uveoretinitis in patients co-infected with human immunodeficiency virus]. Zhonghua Yan Ke Za Zhi. 2015; 51(10):739-45.