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Choix de l’anesthésie en ophtalmologie

Le choix de la bonne modalité d’anesthésie oculaire est une donnée primordiale pour le confort du patient et le succès de la chirurgie. Il ne doit pas être négligé mais ajusté au cas par cas. Quelques définitions sont à poser avant d’aborder les avantages et les inconvénients des différentes options. La réglementation concernant l’acte d’anesthésie est évolutive et implique des recommandations officielles qui diffèrent parfois de la réalité des pratiques.

Différentes modalités de l’anesthésie

Il faut distinguer 3 types d’anesthésies en ophtalmologie : générale, locorégionale et topique (figure 1)

Anesthésie générale
L’anesthésie générale est pratiquée dans moins de 3% des cas pour la cataracte selon les différents sondages réalisés ces dernières années par la SAFIR (Dr Richard Gold). Elle est souvent justifiée par un terrain peu compatible avec une autre modalité d’anesthésie ou par la complexité de la chirurgie. C’est par exemple la règle pour les enfants, les explorations traumatologiques, les gestes orbitaires, les patients hyperalgiques ou peu compliants, les gestes à globe largement ouvert (kératoplasties), etc. Le spectre des complications vitales liées à l’anesthésie générale, pour le bénéfice d’une chirurgie oculaire, impose de bien peser l’indication.

Anesthésie locorégionale
Les anesthésies locorégionales impliquent une injection péribulbaire ou sous-ténonienne. Elles sont pratiquées pour la cataracte dans environ 20% des cas en France. L’avantage majeur est l’obtention de l’akinésie oculaire que ne permet pas le mode topique. Cependant, une bonne mobilité du globe est parfois un avantage, pour la chirurgie de la cataracte par exemple. L’absence d’injection limite les risques hémorragiques et de chémosis conjonctivaux parfois gênants pendant la chirurgie, et inesthétiques juste après. Précisons que parfois, une bonne anesthésie topique est préférable à une anesthésie locorégionale mal dosée. La topique peut bien sûr se combiner avec la locorégionale. Mentionnons que les injections rétrobulbaires sont désormais très rarement pratiquées car, bien que possiblement guidées par l’échographie, elles exposent à des risques perforants inutiles. Le plus souvent, c’est l’anesthésiste qui réalise les injections latérobulbaires mais certains ophtalmologistes les pratiquent eux-mêmes.

Anesthésie topique
Les anesthésies topiques sont fortement majoritaires en ophtalmologie, au dédire des chiffres officiels de l’Agence régionale de santé (ARS) qui se fondent sur les cotations de l’anesthésiste. Elles représentent par exemple plus de 75% des cas pour la cataracte. La confusion vient du fait que nombre de chirurgies sont cotées en mode locorégional alors que dans les faits, elles sont pratiquées en topique. Ces dernières peuvent être soit « non assistées » (appliquées purement en surface et/ou améliorées par une injection intracamérulaire), soit « assistées » par une prémédication orale ou intraveineuse qui implique la présence d’un anesthésiste disponible sur place. Les produits les plus utilisés sont les anxiolytiques de type benzodiazépines (Xanax [alprazolam]), les antihistaminiques à action centrale (Atarax [hydroxyzine]) et les anesthésiants IV à action rapide et courte (Diprivan [propofol]).
Il faut mentionner que les disparités d’usage sont fortement influencées par le type de chirurgie et par l’environnement de travail. Les locorégionales sont bien plus pratiquées par les rétinologues que par les chirurgiens du segment antérieur. Également, dans le secteur privé, la topique assistée est beaucoup plus fréquente que la topique pure, plus souvent imposée dans le secteur public en raison du manque de ressources en anesthésistes et en consultation préanesthésie qui lui sont afférentes. Le choix entre l’anesthésie topique non assistée, pure ou améliorée dépend des habitudes et du type d’intervention. Les nouvelles recommandations de l’ARS pour la cataracte (datant de mai 2020), suggèrent la topique non assistée en première intention, la locorégionale pour les temps opératoires plus longs et complexes, la générale étant réservée aux contre-indications des 2 premières options.
Enfin, il ne faut pas négliger les vertus d’un bon contact verbal avec le patient. Un environnement rassurant, une installation confortable, un voca- bulaire adapté, des gestes doux, une explication progressive et bienveillante des étapes au patient permet de détendre la situation et préparer à l’intervention. Ce temps de contact patient-soignant est primordial pour le succès de la prise en charge. Dans la mesure du possible, il doit être maintenu régulièrement (mais sans excès) pendant la chirurgie, surtout si c’est une anesthésie topique pouvant nécessiter un complément peropératoire.

Évolution des produits disponibles

Il est difficile de comparer strictement l’efficacité neurologique des différents anesthésiques car souvent, ils ont différents modes d’instillation. Les produits les plus diffusés ont une action de contact et reposent principalement sur l’oxybuprocaïne, la tétracaïne, la lidocaïne et la xylocaïne. Les 2 premières sont dispensées en collyres pour la surface oculaire. La tétracaïne est plus efficace, mais plus toxique, sur les jonctions épithéliales que l’oxybuprocaïne, qui sert souvent à la séquence préliminaire du badigeon à la bétadine. Les 2 dernières sont disponibles en solutions injectables, éventuellement couplées à d’autres fonctionnalités incluant un gel viscoélastique intracamérulaire, un gel de surface lubrifiant et un mydriatique intracamérulaire.

Le respect de la surface oculaire est devenu un enjeu important pour la chirurgie de la cataracte mais aussi pour les injections intravitréennes répétées qui induisent une sécheresse oculaire invalidante chez des patients âgés présentant une surface oculaire préalablement fragilisée. Dans ce cadre, les gels anesthésiques sont une avancée certaine car ils respectent au mieux les épithéliums tout en assurant une meilleure visibilité peropératoire et une diminution du recours à l’arrosage, tout en maintenant une bonne analgésie (figure 2).

Les seuls produits disponibles sont le gel de lidocaïne 2% (gel Ophtesic®) et 1% (dosettes de Visthésia®). Ils ont reçu l’AMM pour l’ophtalmologie, contrairement au gel de xylocaïne urétral, longtemps utilisé, qui ne doit plus être proposé. Les avantages du gel lidocaïne 2% sont : son packaging stérile, son volume suffisant pour remplacer les gels de visualisation et permettre plusieurs instillations, son caractère peu onéreux. Il faut faire attention à réaliser en premier la désinfection de la surface oculaire avant d’appliquer les gels anesthésiques, de manière à ne pas inhiber l’effet antiseptique. Les gels de lidocaïne intracamérulaires sont pertinents en complément à l’anesthésie de surface pour les chirurgies pouvant solliciter des tractions sur l’iris et des fluctuations de chambres, et pour des chirurgies compliquées ou prolongées. L’association de lidocaïne à un mydriatique intracamérulaire est disponible avec le Mydrane®, cependant il ne suffit généralement pas à assurer une anesthésie confortable, une anesthésie complémentaire de la surface est nécessaire.

Ce qui est douloureux pendant la chirurgie oculaire

La gestion de la douleur passe par la connaissance des gestes opératoires et des facteurs de risque favorables à la douleur. Certaines zones sont effectivement particulièrement sensibles à la douleur, en particulier celles qui comportent des vaisseaux sanguins. Le limbe cornéen, les zones conjonctivales les plus vascularisées, l’iris et le corps ciliaire sont les acteurs principaux. Paradoxalement la cornée, bien que très richement innervée, est assez facilement insensibilisée par les collyres ou les gels topiques. L’inflammation, qui dilate les vaisseaux, est un facteur de risque de faible efficacité des anesthésiques topiques. Dans l’œil, les fluctuations rapides de pression sont également douloureuses, exerçant des tractions brutales sur les fibres zonulaires et sur la base de l’iris. Le contact irien étant également une zone gâchette pouvant déclencher un myosis, souvent péjoratif (figure 3).

Il faudra donc anticiper une anesthésie renforcée pour les cas imposant des manœuvres iriennes (pupilloplasties, écarteurs iriens, cure de synéchies) ou des fluctuations de chambre antérieure (myopies fortes, explantations), le risque de complications cristalliniennes (donésis, luxations), pour les yeux inflammatoires, pour le recours prévisible à des sutures limbiques. Le risque de poussée pressionnelle intraoculaire est majoré en cas de douleur peropératoire, de patient pléthorique, de tension artérielle non maîtrisée. Les petits yeux doivent faire redouter des pics de pression intraoculaire et demandent parfois une sédation totale avec injection de Mannitol 20% pour faire reculer le plan irido-cristallinien.
Il est enfin primordial, dans la chirurgie topique, de ne pas demander d’arrêter les traitements habituellement pris, que ce soit pour la tension ou pour la coagulation du sang. Trop de patients viennent encore strictement à jeun pour des topiques pures et se trouvent en situation défavorable, avec hypoglycémie et parfois hypertension artérielle importante. Il faut se méfier également des patients à risque de malaise vagal et aux tendances claustrophobes.

Réglementation vis-à-vis des anesthésistes

Selon son dernier rapport, diffusé en 2020, la Haute Autorité de santé recommande à présent une consultation préopératoire pour les anesthésies locorégionales et topiques. Ce n’est qu’une recommandation mais celle-ci s’oppose à la pratique la plus actuelle. Bien que la bibliographie confirme que l’efficacité et la sécurité semblent statistiquement similaires, dans très la grande majorité des cas, entre anesthésie locale avec ou sans présence d’un anesthésiste ; il est cependant préconisé qu’un anesthésiste puisse être présent sur les sites réalisant des topiques pour éventuellement intervenir, impliquant mécaniquement une consultation d’anesthésie préopératoire. Malgré la difficulté à imposer la présence constante d’un anesthésiste en ophtalmologie, il est tout à fait rassurant pour les patients et pour le confort du chirurgien d’avoir un recours possible à l’anesthésiste. La gestion de la douleur aiguë, l’hypertension artérielle, la crise d’angoisse, la réaction anaphylactique, le manque de coopération, la complication peropératoire allongeant la durée sont autant de situations qui bénéficient incontestablement de la présence physique d’un anesthésiste opérationnel sur le plateau technique. L’anticipation des cas pouvant se compliquer peuvent faire choisir un mode d’anesthésie plus adapté, soit générale, soit assistée avec conversion en sédation générale toujours possible. L’évaluation préopératoire des risques liés à l’anesthésie est donc primordiale pour anticiper la meilleure approche. Ce temps de choix de la modalité d’anesthésie repose entièrement sur les épaules du chirurgien. Ainsi, les anxiolytiques sont utilisés pour assister l’anesthésie topique dans près de 30% des cas en France, les sédatifs IV sont régulièrement utilisés pour la gestion des imprévus ou en recours systématique dans certains centres, sous la responsabilité d’un anesthésiste.

Conclusion

Une bonne anesthésie oculaire doit être en phase avec le confort, la sécurité du patient, la difficulté chirurgicale et le plus grand respect des tissus oculaires. La majorité des actes sont à ce jour praticables en anesthésie topique non assistée avec des gels de surface et/ou intracamérulaires. L’anesthésie peut être assistée pour encore plus de confort mais implique le recours possible à la préconsultation d’anesthésie et à un anesthésiste présent sur place. Se posent alors les problématiques du flux et de la cotation des actes d’anesthésie qui restent controversées. Ce dernier point est néanmoins en contradiction évidente avec l’évolution des pratiques et la mise en place des circuits « fast track » pour la chirurgie de la cataracte, d’ores et déjà effectifs dans de nombreux centres.

 

Pour en savoir plus
HAS - Avis n° 2020.0031/AC/SEAP du collège de la HAS relatif à la définition des indications et non-indications de chacune des techniques d’anesthésie des actes chirurgicaux portant sur le cristallin et à la détermination des conditions de réalisation et de l’environnement requis.
Fan W-H, Wang D-P, Wen Q, Fan T-J. The cytotoxic effect of oxybuprocaine on human corneal epithelial cells by inducing cell cycle arrest and mitochondria-dependent apoptosis. Hum Exp Toxicol. 2017;36(8):765-75.
Chandra S, Sugiarto A, Robert Hotasi R et al. The effectiveness of 2% lidocaine gel compared to 0.5% tetracaine eye drop as topical anesthetic agent for phacoemulsification surgery. Anesth Pain Med. 2018;8(2):e68383.
Assia EI, Pras E, Yehezkel M et al. Topical anesthesia using lidocaine gel for cataract surgery. J Cataract Refract Surg. 1999;25(5): 635-9.
Kalyanasundaram TS, Hasan M. Corneal-wetting property of lignocaine 2% jelly. J Cataract Refract Surg. 2002;28(8):1444-5.

Auteurs

  • David Touboul

    Ophtalmologiste

    Centre national de référence pour le kératocône, CHU de Bordeaux, hôpital Pellegrin, Bordeaux

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