Astigmates presbytes et lentilles rigides

À l’heure actuelle, il est désormais possible de corriger à peu près tous les patients astigmates et presbytes qui le souhaitent, soit avec des lentilles souples toriques multifocales, soit avec des lentilles rigides multifocales. Chacun sait que l’astigmatisme cornéen est facilement corrigé grâce au ménisque de larmes induit par la présence d’une lentille rigide. La qualité de vision est meilleure et surtout stable. Cela est vrai pour les astigmatismes réguliers, mais plus encore pour les astigmatismes irréguliers, qu’ils soient post-traumatiques, postchirurgie réfractive, postgreffe, ou en présence d’un kératocône. Nous allons voir quels sont les moyens à notre disposition pour compenser ces astigmates devenus presbytes. Nous verrons ensuite quelles sont les indications.

Lentilles cornéennes multifocales

Nous disposons à ce jour de 2 systèmes de correction en lentilles : les concentriques et les segmentées.

Lentilles concentriques
Les lentilles concentriques possèdent majoritairement une géométrie à vision de loin centrale (VLC) et fonctionnent en mode simultané avec une participation de mode alterné. Elles existent également en vision de près centrale (VPC) et ne fonctionnent alors qu’en mode simultané. Il n’est pas rare d’associer ces 2 géométries sur un même patient afin d’optimiser la VL comme la VP (VL centrale sur l’œil dominant et VP centrale sur l’autre).
Ces lentilles rigides concentriques multifocales existent en différents diamètres, compris entre 8,50 et 12 mm.
Avantages : vision naturelle dans toutes les directions et bonne vision intermédiaire avec des puissances disponibles très étendues (± 25,00 D). Elles existent en outre en versions torique interne, torique externe et bitorique.
Inconvénients : pupillo-dépendance, petite perte des contrastes, apprentissage cérébral indispensable.

Lentilles segmentées
Les lentilles segmentées ne fonctionnent qu’en vision alternée. Leur géométrie est soit bifocale, soit trifocale, soit progressive à la manière de verres progressifs en lunettes. Elles n’existent qu’en lentilles cornéennes, leur diamètre allant de 8,50 à 10 mm. Avantages : pupillo-indépendance et vision des contrastes conservée.
Inconvénients : vision directionnelle, confort plus médiocre lié au prisme ballast et parfois à une instabilité dans les regards extrêmes. La dynamique des paupières est un élément primordial à prendre en compte. 

Lentilles hybrides multifocales

La première lentille hybride date de 1973 (Louis J. Page). À cette époque le but était d’allier la qualité optique de la lentille rigide perméable au gaz avec le confort de la lentille souple. Quarante-cinq ans plus tard, le but est le même. Ces lentilles offrent la même qualité de vision que les rigides cornéennes classiques avec, de surcroît, une meilleure stabilité sur la cornée et un meilleur confort. Elles permettent de corriger toutes les cornées, régulières et irrégulières, même chez des patients devenus presbytes.

Le tableau I regroupe les avantages et les inconvénients des lentilles hybrides multifocales vs les lentilles rigides cornéennes multifocales. Le tableau II, ceux des lentilles hybrides multifocales vs les lentilles souples multifocales toriques. Nous disposons en France de 2 lentilles hybrides multifocales : la lentille Eyebrid silicone (EBS) MF, distribuée par le laboratoire LCS ; et la lentille Duette progressive du laboratoire Synerges, distribuée par le laboratoire Menicon.

Eyebrid silicone multifocale
Sur les cornées régulières, la partie centrale rigide a un diamètre de 10 mm, mais elle peut être proposée en diamètre 8,50 pour les cornées irrégulières et les kératocônes. Le coefficient de diffusion (DK) est de 100. L’excentricité et le edge lift sont modifiables sur la zone rigide.
Cette partie rigide peut être torique interne pour des astigmatismes cornéens supérieurs à 40/100, torique externe pour les astigmatismes internes, et bitorique pour les astigmatismes mixtes. Elle peut être oblate pour gérer les cornées postchirurgicales. Les additions proposées vont de +0,75 à +3,00 avec les 2 géométries VLC et VPC. Le rayon de courbure proposé va de 4,40 à 10 mm et la puissance de +40,00 à -40,00 D, autant dire toutes les situations possibles !
La lentille Eyebrid existe en 4 diamètres : 14,00 ; 14,50 ; 14,90 et 15,50 mm, le 14,90 étant le diamètre de première intention.
La jupe souple en silicone hydrogel est en DK 50. Elle est modulable en fonction de son impact sur la sclère : J 0 ±1,00 par pas de 0,50.
Le choix du rayon est fonction de la topographie de la cornée. L’idéal est de faire un essai en lentille rigide cornéenne dans un premier temps, de géométrie adaptée à la cornée qu’elle soit sphérique, torique, oblate ou kératocônique, afin de déterminer le rayon, la puissance, voire le edge lift de la partie rigide de l’Eyebrid. La partie souple, appelée « jupe », est choisie arbitrairement standard et sera optimisée par la suite.

Cas clinique
Patiente de 52 ans portant des lentilles rigides depuis 30 ans. OD 7,60/9,60/-5,75 ; OG 7,60/9,60/-4,00. Il s’agit d’une monovision de 1,00 D pour compenser sa presbytie. Elle n’est pas satisfaite.
Sa réfraction lunettes est la suivante : OD 5° (-2,25) -6,00 ; OG 170° (-2,00) -5,25 ; add ODG +2,00.
• Un essai de lentilles rigides multifocales est pratiqué : OD 7,60/9,60/-5,75 add +2,00 ; OG 7,60/9,60/5,00 add +2,00. L’acuité est catastrophique : ODG 6/10 P4f. Les lentilles sont hautes, captées par la paupière supérieure.
• Des essais en lentilles segmentées sont réalisées, en augmentant la puissance du prisme et en abaissant la hauteur du segment inférieur, sans résultat !
• Il est décidé d’équiper cette patiente avec des lentilles hybrides : OD 7,60/14,90/-5,75 add +2,00 D, jupe 0 ; OG 7,60/ 14,90/-5,00 add +2,00 N, jupe 0. Le résultat est satisfaisant 10/10 P2. En fin de journée, la lentille est difficile à retirer, « colle » et laisse une empreinte conjonctivale. Pour y remédier, la jupe est aplatie de +1,00 des 2 côtés. 

Ce qu’il faut retenir
Chez un ancien porteur de lentilles rigides que l’on souhaite équiper en lentilles cornéennes multifocales, il est impératif de contrôler la position des lentilles portées sur la cornée. Si le décentrement est trop important, il est préférable de s’orienter vers des lentilles plus grandes qui vont recentrer la zone optique centrale.

Duette progressive
Cette lentille est essentiellement destinée aux cornées régulières et sa partie rigide a un diamètre de 8,50 et un DK/e de 130. Elle n’existe pas encore en version torique.
La jupe de DK/e 84 est proposée en 4 versions possibles : 7,90 steep, 8,10 medium, 8,40 flat, 8,70 flat 2.
Le choix de la jupe est fonction du diamètre cornéen. Pour un diamètre cornéen inférieur ou égal à 11,7 le choix se porte sur la jupe 8,40 flat ou 8,10 medium.

Pour un diamètre cornéen supérieur ou égal à 11,8, le choix sera 8,10 medium. Le choix du rayon doit être au minimum de 0,10 à 0,15 plus serré que le K plat pour une cornée quasi sphérique, et d’autant plus serré que la toricité cornéenne est élevée.
AC < 2,00 D : Ro = K -0,10 à -0,15 (-0,50 à -0,75).
AC = 2,00 D et plus mais ≤ à 3,00 D : Ro = K -0,20 (-1,00).
AC = 3,00 D et plus (#0,60) : Ro = K -0,30 (-1,50).
AC = 5,00 D (#1,20) : Ro = K -0,40 (-2,00 D).
Cela implique un ajout de puissance négative à la correction de loin, fonction de l’ampleur du serrage.
Nous disposons désormais en France des 2 versions VPC et VLC avec 3 additions : +1,00/+1,75/+2,50. L’addition de +1,00 couvre en moyenne jusqu’à 1,50 d’addition lunette. Les additions +1,75 jusqu’à 2,25 et +2,50 sont destinées aux presbyties fortes.

Cas clinique
Patiente de 49 ans ayant essayé des lentilles multifocales sphériques puis toriques, sans résultat satisfaisant.
Sa réfraction lunettes est la suivante : OD 165° (-0,75) -3,50 add +1,75 ; OG 15° (-1,00) -4,00 add +1,75.
Kératométrie : 7,90/7,75 ; 7,95/7,75
Diamètre cornéen : 11,40  OD préféré en VL
Prescription de la lentille duette progressive :
OD 7,80/14,50/-4,00, jupe 8,40, add +1,75 VLC ; OG 7,80/14,50/-4,75, jupe 8,40, add +1,75 VPC.
Résultat satisfaisant 10/10 P2.

Ce qu’il faut retenir
Le rayon de courbure de la partie rigide doit être resserré d’au moins 0,10 par rapport au K le plus plat, et d’autant plus que l’astigmatisme est important. De plus, il est impératif de ne pas oublier d’ajuster la puissance de la partie rigide en fonction du serrage.

Lentilles sclérales multifocales

Une seule lentille est actuellement disponible sur le marché français : la iflex SC MF du laboratoire Novacel. Elle est proposée en VL et en VPC. Une toricité est également possible. De diamètre allant de 15 à 24 mm avec un Ro de 6,00 à 10 mm et des puissances de -30,00 à +30,00, le principe optique le plus utilisé est à VPC avec une taille de zone optique modulable. Cette lentille est entièrement customisable.

Aux États-Unis, il en existe de très nombreuses et elles sont largement utilisées dans de nombreux cas : tout d’abord devant des cornées irrégulières, les kératocônes et les postchirurgies réfractives, les postgreffes, mais également devant les anomalies de la surface oculaire et les sécheresses sévères où elles deviennent un moyen de correction et un traitement permettant de soulager les patients. Elles sont également utilisées lorsque le port de lentilles classiques souples ou rigides devient moins confortable.

L’adaptation de ces lentilles sclérales doit se faire en 2 temps. Le premier est celui du choix de la géométrie idéale pour l’œil à adapter. Une fois cette géométrie définie, il importe d’appliquer la correction multifocale selon les principes habituels de correction des lentilles multifocales souples ou rigides.
En cas d’échec de la correction multifocale, il est plus facile de tenter une monovision à condition que chaque œil dispose d’une acuité efficace, ce qui n’est pas toujours le cas avec ces patients relevant de ce type de correction.

Orthokératologie

Toujours en lentilles rigides, une autre technique permet de corriger la presbytie : l’orthokératologie. Les lentilles d’orthokératologie vont modifier le profil cornéen par remodelage afin d’obtenir une cornée hyperprolate, au moins sur l’œil de près. Même si l’anneau concentrique hyperconvergent créé par le remodelage apporte une partie de la correction de près, l’usage d’une bascule est quasi systématique.

Cas clinique
Homme de 50 ans ayant été équipé de lentilles souples toriques MF puis de lentilles rigides cornéennes multifocales sans obtenir de confort au cours de la journée. Il travaille en continu sur ordinateur et se plaint de sécheresse oculaire.
L’idée est de lui proposer l’orthokératologie, solution à laquelle il avait déjà pensé, son fils étant lui-même équipé pour un contrôle de myopie.
Sa réfraction lunettes est la suivante : OD 170° -0,75 -0,75 add +1,75 ; OG 180° -1,00 -0,50 add +1,75
Œil droit préféré de loin
Le patient a été équipé avec : OD DRLM M 1,00 K 7,55 D 10,60 P 7,85 ; OG DRLH H 1,75 K 7,75 C 0,75 D 10,40 P 7,85 P’ 7,65
Ci-contre les topographies lors du contrôle à 2,5 ans. Le résultat est spectaculaire et ce patient porte cette correction depuis plus de 2 ans, sans qu’il soit nécessaire d’y apporter de modifications.

Préconisations

Nous disposons à l’heure actuelle d’un arsenal de lentilles de contact multifocales qui nous permettent de répondre à toute demande de patient motivé, quel que soit l’état de sa cornée. Pour conclure, il est utile de rappeler les indications de chacune d’entre elles en fonction des caractéristiques du patient.

En faveur des lentilles souples multifocales toriques
- Anciens porteurs de souples (sphériques, toriques simples, MF non toriques).
- Intolérance aux rigides ou mauvais résultat (mauvais centrage).
- Astigmatisme interne ou mixte.
- Port souhaité ± occasionnel.

En faveur des lentilles rigides cornéennes sphériques ou toriques multifocales
- Anciens porteurs de rigides (sous réserve d’une dynamique des paupières correcte).
- Astigmatismes cornéens (favoriser des toriques internes dès 2,00 D d’astigmatisme cornéen pour favoriser la stabilité et le centrage).
- Astigmatismes irréguliers.
- Sécheresse oculaire.

En faveur des lentilles hybrides multifocales
- Vision instable ou décevante en lentilles cornéennes.
- Cornée oblate ou kératocônique.

En faveur des lentilles sclérales multifocales
- Porteurs de sclérales.
- Astigmatismes irréguliers après échec d’autres techniques.
- Difficultés d’adaptation ou de confort en lentilles rigides ou hybrides.
- Syndrômes secs.

En faveur de l’orthokératologie
- Porteurs d’orthokératologie.
- Sécheresse oculaire et environnement desséchant.
- Lassitude des lentilles de jour (environnement poussiéreux).
- Vision instable et décevante en lentilles souples multifocales toriques.
- Intolérance aux lentilles rigides multifocales de jour.

Pour en savoir plus
Bennett ES. Contact lens correction of presbyopia. Clin Exp Optom. 2008; 91(3):265-78.
Peyre C. Presbytie et lentilles de contact. In : Malet F. Les lentilles de contact. Rapport annuel de la Société française d’ophtalmologie. Paris : Masson 2009:461-534.
Peyre C. Presbytie et lentilles de contact. In : Cochener B. Presbytie. Rapport annuel de la Société française d’ophtalmologie. Paris : Masson 2012:37-58.
Dinardo A, Fosson T. Multifocal Contact Lens Success: F act or Fiction. Michigan College. CLS Nov 2014.
Watanabe R. Multifocals for astigmats. 2012. Contact lens spectrum: May 17.

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