Aperçu des réactions psychiques de patients atteints de DMLA et champs d’intervention possibles des psychologues

Il est rare, dans notre système hospitalier, que des psychologues interviennent dans un service de consultations en ophtalmologie. Dans l’équipe du Pr Éric Souied, au Centre hospitalier intercommunal de Créteil, nous sommes deux psychologues à rencontrer les patients atteints d’une DMLA ainsi que leurs proches. Cette volonté du service s’inscrit dans le souci de proposer un accompagnement face à une pathologie singulière qui intervient à une certaine période de la vie, impliquant un traitement particulier et qui induit des représentations spécifiques. Après quelques mois dans le service, nous vous proposons un tour d’horizon descriptif de nos premières observations sur les conséquences psychiques de la DMLA.  

 Dans les deux types de DMLA, qu’elle soit chronique (DMLA exsudative) ou incurable (DMLA atrophique), les patients sont confrontés à l’irréversibilité et à l’incertitude de la maladie. L’apparition des symptômes, la consultation, les examens, l’annonce du diagnostic, la prise en charge et parfois un premier traitement se concentrent dans un temps extrêmement court mais indispensable pour que les soins ophtalmologiques soient efficients. La nécessité de l’urgence médicale peut alors se heurter à la temporalité psychique des patients qui ont besoin de réaliser ce qu’implique cette pathologie.

Les patients atteints d’une DMLA exsudative ont un traitement qui prévoit des injections intravitréennes (IVT) régulières et entrent dans un parcours de soins à vie. Malgré la rapidité et l’efficacité des soignants lors des IVT, ce traitement peut être vécu comme intrusif tant sur le plan somatique que psychique. Les patients sont suspendus à chaque nouvelle consultation, qui impliquera ou non un traitement, à la fois salvateur et inquiétant, attendu et redouté.
Ceux atteints d’une DMLA atrophique sont confrontés à une évolution certaine de la maladie, avec une baisse plus ou moins rapide de leur acuité visuelle. Dans cette situation, c’est l’absence de traitement qui peut induire un sentiment d’abandon et s’avérer anxiogène.

Auprès des patients, médecins et paramédicaux sont en première ligne. Ils sont le réceptacle de leurs réactions, parfois intenses, dès l’annonce de la maladie et tout au long de leur suivi. Percevant bien la composante émotionnelle et l’anxiété qui peuvent être débordantes et difficiles à contenir dans le temps de la consultation médicale, ils sont amenés à nous adresser les patients.

Réactions des patients

Au cours des entretiens, les patients manifestent des angoisses inhérentes à la maladie, mais également en lien avec ce moment de vulnérabilité somatique et psychique qu’est le vieillissement.
Ils verbalisent la peur de ne plus voir et la place que cela occupe au quotidien. Les empêchements auxquels ils sont confrontés entravent en permanence leur autonomie. Ils nous disent leur souffrance devant l’impossibilité de conduire, devant les difficultés croissantes à lire même de simples courriers administratifs. Leurs activités régulières telles que coudre, jardiner, se déplacer seuls, préparer leurs repas ou encore prendre leurs médicaments deviennent contraignantes, voire impossibles. Toute l’organisation de leur vie, projets actuels et futurs, est bouleversée.
En effet, l’atteinte de la vue renvoie à la notion de perte concrète d’un sens fondamental pour l’être humain sur lequel il s’appuyait jusque-là. Par ricochet, cet événement, à un âge plus fragile, peut réactiver d’autres pertes, traumas ou deuils, non élaborés.
Chaque patient fait avec son histoire, son vécu, son organisation défensive.
Certains, dès l’annonce du diagnostic, expriment leur détresse. L’inquiétude face à la dégénérescence les envahit de manière plus ou moins importante selon leurs fragilités. Des patients vont jusqu’à assimiler la DMLA au cancer tant l’invalidité est prégnante et les renvoie à une impuissance massive. Pour d’autres, l’usure due à la répétition des injections peut devenir insupportable. Devant ce traitement, lourd, contraignant, invasif et bien qu’indispensable, certains patients souhaitent l’arrêter.
D’autres, à l’inverse, s’appuient sur le traitement et, rassurés par la stabilisation de leur vue, accueillent avec soulagement le protocole de soins, l’idéalisant même parfois, comme l’évoque une patiente : « La piqûre, c’est un plaisir, on ne sent rien, ce sont les gouttes qui brûlent. »

Tous ces mouvements psychiques peuvent être entendus comme des mécanismes de défense plus ou moins efficients, permettant de gérer l’angoisse et l’impuissance à laquelle les confronte la maladie, ou comme l’expression des pulsions de vie ou de mort qui se manifestent et seront à accueillir et à accompagner.

Interactions familiales

Par ailleurs, les patients abordent au cours des entretiens les remaniements familiaux induits par l’entrée dans la pathologie. La place et les rôles de chacun sont bouleversés. Les patients prennent le statut de malade et les proches doivent parfois prendre celui d’aidant. Plus profondément, la maladie modifie le regard que les patients portent sur eux-mêmes et que leurs proches portent sur eux.
Le patient peut alors craindre de déranger, voire de devenir une charge, ce qui peut susciter honte et culpabilité.
De leur côté, les proches peuvent éprouver un sentiment à la fois de compassion, d’inquiétude, de responsabilité, qui modifie la relation. Ils ont à composer avec leur propre organisation défensive et accueillent la maladie en fonction de leur personnalité et de leur relation préexistante avec le patient. Il leur est parfois difficile de reconnaître et/ou d’accepter cette diminution. Certains peuvent devenir surprotecteurs ou nier les effets de la DMLA. Parfois, la détresse ou les plaintes du patient plongent les proches dans un sentiment d’impuissance ou de désarroi, voire de colère.
Il est important de préciser que l’une des caractéristiques de la DMLA est son invisibilité. Physiquement, on ne perçoit pas de changement et il est difficile pour le patient de rendre compte des troubles visuels dont il est atteint. Le patient peut avoir le sentiment de ne pas être compris ou de ne pas être pris en considération. Ce sont tous ces aspects que les psychologues vont accueillir, accompagner et tenter de dénouer.

Rôle du psychologue

Le travail psychique auprès des patients permet d’évaluer ses modalités défensives, ses ressources psychiques et relationnelles. Accueillir la souffrance, l’inquiétude ou encore la résurgence éventuelle de traumas est essentiel et demande du temps. Nous offrons un espace d’écoute, de parole, d’accueil, de tous ces mouvements psychiques qui traversent le sujet et son entourage.
Notre intervention se fait nécessairement en décalage du soin somatique afin de favoriser l’expression des ressentis et de permettre l’élaboration progressive de leur vécu.
Pour autant, les soins psychiques ne peuvent se penser qu’en lien avec les soins somatiques et dans un travail pluridisciplinaire. Le soutien psychologique vise à encourager la compliance, la compréhension du diagnostic et des protocoles de soins, ainsi que l’adhésion au suivi thérapeutique.
Néanmoins, il est fondamental de prendre en compte la réaction de certains patients qui, débordés par de multiples soins, renoncent au traitement de leur DMLA. Faire entendre la position du sujet et soutenir le patient dans ses choix fait partie du fondement de notre travail.
Un autre aspect de notre rôle consiste à soutenir le patient face au caractère répétitif du traitement, et notamment des IVT lorsqu’il les supporte mal. La fréquence des injections rappelle que la maladie est agissante, chronique, et nécessite constamment d’être enrayée. La piqûre soigne tout en rappelant la persistance de la maladie. L’écoute et l’accueil peuvent alors permettre de contenir angoisse et lassitude.
Enfin, l’accompagnement permet de soutenir le patient face à la chronicité, l’absence de rémission, la perte d’autonomie, la crainte de la dépendance liée à la DMLA et à l’âge auquel elle survient. Il encourage tout autant le patient à composer avec ces pertes, à apprivoiser la maladie et vivre avec, en mobilisant ses ressources.

Une symbolique singulière

Au-delà de la fonction visuelle, le regard est un vecteur de communication humaine qui touche à la fois à la reconnaissance de l’autre, de soi et au sentiment d’exister. Il est l’un des contacts relationnels fondamentaux, celui des parents qui regardent le bébé, du bébé qui se nourrit de ce regard pour se construire psychiquement. Si la vue intervient dans la relation à l’autre, l’attaque de celle-ci peut renvoyer à la perte : perte du lien, de la communication avec l’autre, de l’expressivité du visage et des significations infra-verbales. Et c’est justement la reconnaissance des détails, des visages, qui est menacée et qui constitue un symptôme prégnant de la DMLA.
Concernant les IVT, l’imaginaire qu’elles convoquent est tout aussi suggestif. Dans les représentations non médicales, l’œil est une partie du corps qu’il n’est pas possible de percer, sinon dans le but de nuire, d’endommager la vue. La mythologie est empreinte de ces représentations, en témoigne l’histoire d’Œdipe. Celles-ci sont présentes, souvent de façon inconsciente chez les patients que nous rencontrons.

Conclusion

Ainsi, la DMLA, par les nombreux aspects qu’elle recouvre – tant sur le plan symbolique, sur le sens qu’elle touche, sur les conséquences concrètes qu’elle engendre, que sur le traitement qu’elle suppose en termes d’intervention (IVT) comme de durée (chronicité) – est une pathologie très singulière.
C’est dans ce contexte qu’est pensée la prise en charge psychique des patients ainsi que de leurs proches. Continuer à développer cette proposition de soins est indispensable.

Pour en savoir plus
Chaumet H. Malvoyants : les mal vus du handicap invisible. Le Carnet Psy. 2022/1;249:32-5.
Cohen SY, Souied E, Nghiêm-Buffet S, Desmettre T. DMLA. Guide à l’usage des patients et de leur entourage. Medica Libris. 2019.
Oyonarte M, Pauc M, Villard M. Perte de la vue : de la révolte et du désespoir... à une nouvelle indépendance ? Le Journal des psychologues. 2021/1;383:62-6.

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