À chaque situation sa lentille
Mme G., 18 ans et sans antécédents particuliers hormis un terrain allergique, nous a été adressée en 2013 au CHRU de Lille pour un kératocône évolutif. L’examen initial retrouvait un astigmatisme important de 6 D lié à un kératocône de stade I. Son acuité visuelle était relativement préservée après une correction optique adaptée (10f/10 et 8/10), mais on notait une amélioration de l’acuité au trou sténopéique, ce qui présageait un gain en lentilles rigides.
Sa réfraction et sa kératométrie étaient les suivantes en 2013 :
OD : -4,25 (-5,50) 67° K = 7,32 K’ = 6,73 Km = 7,03
OG : -5,75 (-6,25) 107° K = 7,32 K’ = 6,63 Km = 6,98
Efficacité des rigides
Nous lui avons proposé les lentilles rigides Rose K2 de Menicon, indiquées pour les kératocônes et les cornées irrégulières, avec un rayon ro de 7 mm en se basant sur son Km. L’acuité visuelle remontait bien après surcorrection :
OD : ro = 7,00 P = -4,00 AV = 12/10 avec -1,00
OG : ro = 7,00 P = -4,00 AV = 12/10 avec -2,00
La lentille à droite étant trop serrée au centre, il a fallu l’aplatir en augmentant le rayon, et les bords étant trop ouverts aux 2 yeux, nous avons diminué le edge lift :
OD : ro = 7,10 P = -4,50 EL = -0,50
OG : ro = 7,00 P = -6,00 EL = -0,50
Après 1 mois de port, nous avons constaté à l’examen que les lentilles étaient trop serrées. Un aplatissement de 0,10 mm et une augmentation classique de la puissance de 0,50 D ont été nécessaires :
OD : ro = 7,20 P = -4,00 EL = -0,50
OG : ro = 7,10 P = -5,50 EL = -0,50
Lors du suivi, erratique, la puissance des lentilles a dû être réadaptée à plusieurs reprises en raison de l’évolution du kératocône. Celui-ci étant plus marqué à gauche, et surtout plus évolutif par comparaison avec les topographies initiales (figure 1B), nous avons proposé un cross-linking à l’œil gauche uniquement dans un premier temps.
Confort des hybrides
En parallèle, la patiente se plaignait d’un inconfort sous lentilles rigides et d’un encrassement fréquent lié au maquillage. On retrouvait notamment un marquage central à droite (figure 2). Nous lui avons suggéré de passer aux lentilles hybrides, les Eyebrid Silicone de LCS (figure 3), qui offrent un bien meilleur confort. Le choix des lentilles s’est basé sur la géométrie des dernières Rose K2 utilisées mais le rayon à droite a été resserré à cause du marquage central :
OD : ro = 7,10 P = -4,75 Jupe = 0 AV = 12/10
OG : ro = 7,10 P = -6,25 Jupe = 0 AV = 12/10
La patiente a ensuite été perdue de vue pendant 2 ans. Elle a reconsulté en 2016 en raison d’une baisse d’acuité visuelle à 3 et 4/10, cohérente au regard de la kératométrie :
OD : -9,75 (-8,00) 49° K = 6,64 K’ = 5,94 Km = 6,29
OG : -8,25 (-9,00) 107° K = 6,87 K’ = 6,10 Km = 6,49
Les topographies montraient une évolution du kératocône du côté droit, l’œil non traité (figure 1C). Nous lui proposons le cross-linking à droite et en profitons pour la réadapter en lentilles hybrides avec quelques réajustements de géométrie et de puissance jusqu’en 2020, pour alors switcher vers les EyeBrid AirKone, la nouvelle version des hybrides de LCS adaptée pour les kératocônes.
Des sclérales tout-terrain
Malheureusement la patiente doit consulter en 2020 aux urgences pour un épisode d’abcès sous lentille après avoir essayé les lentilles souples de sa sœur pendant 2 semaines. L’examen clinique retrouvait un petit abcès périphérique (figure 4) qui a dû être traité par collyres fortifiés. Ceux-ci ont permis une rapide régression des symptômes mais avec une taie séquellaire à 6 mois.
À la suite de cet épisode infectieux, la meilleure solution pour continuer à l’équiper en lentilles était d’opter pour les lentilles sclérales. Nous lui avons proposé les AKS de LCS, avec une flèche standard (4 200 et 4 300 µm) malgré le kératocône. Elles lui ont permis, avec une seule consultation de contrôle, de retrouver une très bonne acuité visuelle avec une image fluo tout à fait satisfaisante (figure 5). Le prochain contrôle est prévu à 6 mois.
Bilan
La patiente a ainsi pu tester un bon panel de lentilles, avec chacune ses avantages et ses inconvénients :
- les souples, plus faciles à adapter mais avec lesquelles elle a fait les frais de leur inconvénient principal, le risque infectieux ;
- les rigides, qui permettent, au prix d’une adaptation et d’un confort initial plus difficiles, d’obtenir une meilleure qualité visuelle, surtout grâce à la prise en charge de l’astigmatisme cornéen ;
- les hybrides, qui allient le confort des souples et la qualité visuelle des rigides, mais un peu plus difficiles à manipuler et plus coûteuses ;
- les sclérales, plus compliquées à manipuler mais qui ont l’avantage de pouvoir être adaptées sur tout type de cornée irrégulière, comme chez notre patiente avec son kératocône et ses séquelles d’abcès. Elles offrent en parallèle un très bon confort et une excellente acuité visuelle.
Pour en savoir plus.
loise J. Les avancées en contactologie. Rapport 2019-2020 SFOALC. Paris : Med-line.
Narduzzi J. Le kératocône en 2015. Rapport de la SFOALC 2015. Paris: Med-line.
Malet F. Les lentilles de contact. Rapport 2009 SFO. Paris : Masson.