Y a-t-il une place pour la chirurgie réfractive dans la myopie de l’enfant ?

Les actualités sur l’augmentation de la fréquence de la myopie dans le monde, les tentatives de freination de cette épidémie poussent à s’interroger sur une possible place de la chirurgie réfractive dans la myopie de l’enfant, tout en étant bien averti des risques de cette chirurgie en regard des particularités opératoires liées au jeune âge des patients.

La chirurgie réfractive en ophtalmologie pédiatrique est l’exemple même de la confrontation entre 2 domaines :
- l’évolution très rapidement croissante de la chirurgie réfractive chez l’adulte, avec l’avènement de techniques de plus en plus pointues et performantes ;
- le côté beaucoup plus stable et traditionnel de la prise en charge des troubles de réfraction chez l’enfant (lunettes, lentilles) et du traitement de l’amblyopie (occlusion, pénalisation…).

Historique

Dès le début des années 2000, la chirurgie réfractive pédiatrique a fait l’objet dans la littérature de séries succinctes, correspondant généralement à des échecs de traitements conventionnels réfractifs ou d’amblyopie, ou à des amblyopies bilatérales chez des enfants non adaptables en correction optique [1-4]. Des méta-analyses ont commencé à regrouper ces études [5]. Depuis la mise au point faite dans le rapport d’Ophtalmologie Pédiatrique de la Société française d’ophtalmologie en 2017 [6], peu de nouvelles séries ont été publiées.

Préalables 

Il convient avant toute discussion de ne pas oublier que :
- l’enfant peut supporter des fortes corrections optiques en lunettes, même dans le cas d’une d’anisométropie importante, et une adaptation en lentilles est envisageable par des contactologues spécialisés, quel que soit l’âge (figure 1) ;
- la mise en route du traitement de l’amblyopie doit être d’autant plus précoce que le trouble réfractif est important, si possible dès les premières années de vie : tout retard rendra le résultat plus aléatoire ;
- la résolution d’un trouble réfractif ne sera que de peu d’apport sans la poursuite de l’amblyothérapie (figure 2).

Néanmoins, le port d’une correction optique peut s’avérer très difficile, notamment dans le cas :
- d’une anisométropie importante, bien au-delà des chiffres minimaux susceptibles d’induire une amblyopie unilatérale : l’acuité visuelle (AV) du bon œil, parfois maximale sans correction, peut rendre d’autant plus difficile le port des lunettes, et l’adaptation en lentilles, qui pourrait réduire l’aniséiconie, n’est pas toujours tolérée ;
- d’un enfant présentant des troubles du comportement (autisme, infirmité motrice cérébrale…), des problèmes de posture ou de dysmorphie faciale, qui rendent difficile le port d’une correction optique : une forte amétropie bilatérale sera alors responsable d’une amblyopie bilatérale.
Dans ces cas, on peut réfléchir aux bénéfices/risques chez un enfant d’une chirurgie réfractive, dont le but pourra être, non pas une emmétropie pas toujours envisageable, mais une moindre dépendance à la correction optique, sans exclure la poursuite de l’amblyothérapie.

Figure 1. Enfant myope fort (-15 D), équipé en lentilles.
Figure 2. Amblyothérapie par occlusion.

Techniques de chirurgie réfractive chez l’enfant myope

Elles sont de 2 types :
- la chirurgie intraoculaire : l’extraction du cristallin clair, avec ou sans implantation, avec ses complications rétiniennes potentielles, tend à céder la place aux implants phakes (figure 3) ;
- la chirurgie cornéenne au laser (figure 4).

Figure 3. Implant phake.
Figure 4. Photokératectomie réfractive.

Chirurgie intraoculaire avec implantation
L. Tychsen et al. rapportent en 2008 une série de 12 enfants âgés de 4 à 17 ans, présentant des troubles graves du comportement, non compliants au port d’une correction optique, ayant bénéficié d’implants phakes pour des amétropies supérieures à 10 dioptries (D), avec un suivi moyen de 9 mois [2]. La même équipe publie en 2017 une série plus large d’implantations phakes sur 40 yeux de 23 jeunes patients âgés de 1,8 à 17 ans, dont 57% avec des troubles du comportement, myopes de -3 à -14 D, avec un suivi moyen de 15 mois [7]. Même si, dans ces contextes, les fonctions visuelles peuvent être difficiles à apprécier, une amélioration du comportement relationnel et de l’attention de l’enfant est notée par les auteurs, avec un résultat réfractif de ± 1 D du but recherché dans 88% des cas, et de 1,5 D dans 12% des cas. Les complications sont rares : une explantation-réimplantation [2], 2 blocs pupillaires [7]. D’autres auteurs [3,8] rapportent des implantations avec des implants phakes à fixation irienne ou de chambre postérieure chez des enfants âgés de 2 à 15 ans présentant des amblyopies profondes, le plus souvent par forte myopie unilatérale allant jusqu’à -18 D, avec un gain de 1 à 3 lignes d’AV sans correction et but atteint en moyenne à 0,5-1,5 D.
Les implants de chambre antérieure à fixation irienne requièrent une profondeur de chambre correcte (supérieure à 3 mm). Les complications (luxation, perte de cellules endothéliales, glaucome), qui sembleraient pouvoir être majorées chez les enfants ayant tendance à se frotter les yeux, sont peu rapportées par les auteurs, mais les suivis sont limités dans le temps. Alio et al. [8] notent une perte endothéliale de 6% à 2 ans, et 11% à 5 ans. Les résultats sur la vision binoculaire et l’amblyopie dépendent des âges d’intervention et des tests utilisés.
Les implants phakes de chambre postérieure n’ont pas non plus dans ces séries induit de glaucome ou de cataracte, mais là encore, le suivi est trop court pour pouvoir réellement en juger.

Chirurgie cornéenne
Les techniques utilisées chez l’enfant myope sont photo-ablatives par Laser Excimer, soit de surface par photokératectomie réfractive (PKR) ou par Laser-assisted sub-epithelial keratectomie (Lasek), soit in situ par Laser assisted in situ keratomileusis (Lasik) ou par Small incision lenticule extraction (Smile).
Le premier facteur limitant par rapport à l’adulte est le manque de coopération de l’enfant, responsable de problèmes pré-, per- et postopératoires :
- difficulté de précision des examens préopératoires ;
- nécessité d’une anesthésie générale (AG) induisant :
→ l’obligation d’un centre de chirurgie réfractive habilité à la pratique de l’AG pédiatrique (risques potentiels de dysfonctionnement des lasers avec les produits halogénés),
→ une absence de fixation oculaire peropératoire (centrage de la photoablation délicat),
→ une reconnaissance irienne en préopératoire immédiat qui a pu être suggérée, l’enfant n’étant que partiellement endormi, mais avec des limites de précision ;
- risques majorés de frottements oculaires en postopératoire, poussant de nombreux auteurs à privilégier des techniques de surface pour des amétropies nettement supérieures à celles préconisées chez l’adulte, exposant à des complications :
→ haze : 8 à 27% des cas de PKR pédiatriques pour Pirouzian et al. [9],
→ ectasie cornéenne dont le risque est difficile à évaluer étant donné le recul limité des séries. Un cas d’hydrops aigu a été rapporté chez un adulte de 24 ans opéré dans l’enfance d’un glaucome suivi d’une PKR [10].
Ces données sont à associer à l’absence de consensus sur le traitement postopératoire (corticothérapie au long cours, antimitotiques…), et à la majoration du risque de régression de l’effet réfractif par la croissance du globe oculaire.
Les indications rejoignent celles des chirurgies cristalliniennes : amblyopies profondes par anisométropie importante ou par fortes amétropies bilatérales, rebelles aux traitements conventionnels classiques. Les auteurs rapportent des résultats réfractifs obtenus à 1,5 D du but espéré, des améliorations de l’AV sans correction, des gains de vision stéréoscopique et des traitements d’amblyopie facilités [4,11].
Il faut souligner que le but de ces chirurgies n’est généralement pas l’emmétropie mais une réduction des fortes amétropies, et que les résultats sur la vision stéréoscopique selon les auteurs sont variables. On sait que plus la reprise du traitement d’amblyopie est repoussée, plus son résultat est aléatoire. L’âge des enfants opérés va de 1 à 17 ans : plus il est tardif, plus l’amélioration est limitée à un meilleur confort sans correction optique sur un terrain de comportement difficile.
Les complications décrites sont rares, le risque de régression peu analysé, mais le recul des séries ne dépasse pas 1 à 5 ans. L. Tychsen et al. rapportent le cas d’un patient de 13 ans porteur d’une rétinopathie des prématurés, opéré à l’âge de 3 ans en Lasek pour myopie de -12 D, présentant 10 années plus tard une myopie de -9 D, à nouveau traitée par implantation phake [7].

Méta-analyses

Les résultats des méta-analyses [10,12,13] aident à l’orientation sur le type de chirurgie selon l’amétropie initiale :
- la chirurgie intraoculaire par implants phakes est privilégiée pour les amétropies les plus importantes (myopies au-delà de 10 D), sous réserve d’une profondeur de chambre antérieure compatible ;
- la chirurgie cornéenne photo-ablative est réservée à des amétropies moindres, sous réserve d’une pachymétrie correcte, avec possible sous-correction volontaire de la cible réfractive, en connaissant les risques potentiels de régression de l’effet réfractif.
Tous les auteurs s’accordent sur la nécessité d’études randomisées au long cours. L’étude PEDIG ATS19, qui devait comparer l’efficacité et la sécurité d’un traitement chirurgical (PKR) à un traitement non chirurgical, est malheureusement actuellement suspendue.  

Conclusion

L’enfant, en chirurgie réfractive, est une entité propre, pas seulement un « petit adulte ». Tout son avenir visuel est devant lui, il faut garder en mémoire la nécessité de la précocité d’adaptation d’une correction optique, suivie si besoin de la mise en route rapide d’une amblyothérapie, optimalement dès les premières années de vie.
Certains cas très ciblés d’amblyopies profondes par anisométropie importante ou fortes myopies bilatérales, rebelles à tout traitement conventionnel optique ou contactologique, en particulier chez des enfants présentant des troubles du comportement, des problèmes de posture, de dysmorphie faciale, peuvent être des indications chirurgicales à discuter, à adresser dans des centres de référence alliant chirurgie réfractive et possibilité d’anesthésie générale, avec collaboration étroite entre ophtalmo-pédiatres, contactologues, strabologues, anesthésistes pédiatriques et chirurgiens réfractifs. Ces indications demandent encore à être validées par des études prospectives randomisées au long cours.

À retenir
Les risques pré-, per- et postopératoires inhérents à la coopération limitée de l’enfant, le manque de consensus sur ce terrain et l’absence d’études randomisées au long cours doivent inciter à la prudence.
Les indications à discuter pourraient :
- être des amblyopies profondes par anisométropie importante ou par fortes amétropies bilatérales ;
- concerner des patients rebelles à tout traitement conventionnel optique ou contactologique ;
- concerner en particulier des enfants présentant des troubles graves du comportement, des problèmes de posture, de dysmorphie faciale, les rendant inaptes à un port de lunettes ou de lentilles.

Références bibliographiques
[1] Saxena R, Van Minderhout HM, Luyten GP. Anterior chamber iris-fixated phakic intraocular lens for anisometropic amblyopia. J Cataract Refract Surg. 2003;29(4):835-8.
[2] Tychsen L, Hoekel J, Ghasia F, Yoon-Huang G. Phakic intraocular lens correction of high ametropia in children with neurobehavioral disorders. J AAPOS. 2008;12(3):282-9.
[3] Lesueur L, Arne JL. Phakic posterior chamber lens implantation in children with high myopia. J Cataract Refract Surg. 1999;25(12): 1571-75.
[4] Autrata R, Rehurek J. Clinical results of excimer laser photorefractive keratectomy for high myopic anisometropia in children: four-year follow-up. J Cataract Refract Surg. 2003;29(4):694-702.
[5] Daoud YJ, Hutchinson A, Wallace DK et al. Refractive surgery in children: treatment options, outcomes, and controversies. Am J Ophthalmol. 2009;147(4):573-82.
[6] Costet C, Gambarelli N. Prise en charge particulière de la réfraction de l’enfant : que penser de la chirurgie réfractive ? In : Denis D, Bui Quoc E, Aziz-Alessi A. Ophtalmologie pédiatrique – Rapport SFO. Elsevier Masson 2017;127-30.
[7] Tychsen L, Faron N, Hoekel J. Phakic intraocular collamer lens (Visian ICL) implantation for correction of myopia in spectacle-aversive special needs children. Am J Ophtalmol. 2017;175:77-86.
[8] Alio JL, Toffaha BT, Laria C, Piñero DP. Phakic intraocular lens implantation for treatment of anisometropia and amblyopia in children: 5-year follow-up. J Refract Surg. 2011;27(7):494-501.
[9] Pirouzian A, Hashemian H, Khodaparast M. Update on paediatric refractive surgery. European Ophthalmic Review. 2015;9(2):104-10.
[10] Bandivadekar P, Sharma N, Pillai G  et al. Acute hydrops with secondary bacterial keratitis: sequelae of paediatric refractive surgery. Int Ophthalmol. 2014;34(6):1275-8.
[11] Paysse EA, Coats DK, Hussein M  et al. Long-term outcomes of photorefractive keratectomy for anisometropic amblyopia in children. Ophthalmology. 2006;113(2):169-76.
[12] Stahl ED. Pediatric refractive surgery. Curr Opin Ophthalmol. 2017;28(4):305-9.
[13] Kraus CL, Culican SM. New advances in amblyopia therapy II: refractive therapies. Br J Ophthalmol. 2018;102(12):1611-4.

Auteurs

  • Christine Costet

    Ophtalmologiste

    Polyclinique Saint-George, Fondation Lenval, Nice

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